La personnalité du président compte parfois plus que le programme du parti. © getty images

Présidents de parti, mode d’emploi: les stratégies de Bouchez, De Wever et Magnette pour régner dans l’arène politique

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

« En Belgique, les présidents de parti sont tout-puissants »: une phrase souvent entendue en politique belge. Mais comment les partis utilisent-ils leurs présidents ? Certains sont des bons soldats au service du collectif, tandis que d’autres profitent du collectif pour vendre leur personnalité dans les médias. Tous se mettent en ordre de marche pour la campagne électorale.

C’était un scoop du Soir. Ces derniers mois, PS, MR et Ecolo auraient secrètement négocié une refonte des institution francophones. Loin des radars médiatiques, Paul Magnette, Georges-Louis Bouchez, Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane se sont en réalité parlé deux fois, entre juillet 2022 et avril 2023. Le bilan de ce plan à trois partis qu’on n’avait pas vu venir ? Une manchette du Soir, une vague feuille de route pour alléger le coût de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et la promesse d’un énième débat sur la simplification du paysage institutionnel. Si certains se réjouissent de la bonne entente affichée entre les trois présidents de parti, d’autres pointent un mauvais signal envoyé à des citoyens qui, aujourd’hui, réclament et méritent plus de transparence dans le débat.

Que des présidents de parti court-circuitent le processus politique habituel en évitant les débats à la Chambre n’a rien d’une exception. C’en est presque devenu une habitude. « En Belgique, les présidents de parti sont tout-puissants, estime François Heinderyckx, professeur en communication politique à l’ULB. C’est vers eux que l’on se tourne pour connaitre les tendances du moment. On a le sentiment qu’ils ont souvent le dernier mot ». De nombreux observateurs avaient ainsi attribué l’échec de la réforme fiscale menée par le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) aux seules exigences du MR et de son président Georges-Louis Bouchez.

Des présidents de parti tout-puissants

François Heinderyckx, professeur en communication politique à l’ULB

Le modèle belge du président de parti n’est pas universel. François Heinderyckx glisse que dans certains pays, son rôle n’est que logistique. « Cela démontre que le système politique belge est encore très particratique, précise Benjamin Biard, politologue au sein du Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp). Les partis restent le centre de gravité alors même qu’ils n’apparaissent pas dans la Constitution ».

« Le plus important en politique, c’est l’authenticité »

François Heinderyckx, professeur en communication politique à l’ULB

« On assiste à une présidentialisation de l’offre politique en Belgique, assure Nicolas Baygert, spécialiste de la communication politique et enseignant à l’IHECS. Dans la majorité des partis, ce n’est plus le programme mais la personnalité du président qui détermine l’image que s’en fait l’électeur. En parallèle, je constate que la communication politique est de plus en plus emprunte de conflits et de dramatisation ». Une analyse partagée par François Heinderyckx. « La médiatisation des présidents de parti est davantage due à leur personnalité qu’à une stratégie de leur parti. Quelqu’un d’introverti ne deviendra pas exubérant sur les réseaux sociaux en accédant à la présidence d’un parti. Et si on voulait le faire, cela sonnerait faux. Le plus important en politique, c’est l’authenticité ».

La triple casquette des présidents de parti

Benjamin Biard, politologue au sein du Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp)

Selon Benjamin Biard, les présidents de parti ont une triple casquette en Belgique. « Un : ils doivent peser sur les négociations. Deux : ils jouent un rôle dans la sélection du personnel politique, via la confection des listes électorales. Trois : ils ont un impact sur la formation des gouvernements ». Le politologue cite en exemple le Mouvement Réformateur, qui a vu trois nouvelles têtes être propulsées à des postes ministériels sous cette législature (Adrien Dolimont – ministre wallon du Budget, Hadja Lahbib – ministre des Affaires étrangères et Françoise Bertieaux – ministre de l’Enseignement supérieur). « Ces personnes ont été choisies par leur président de parti, en l’occurrence Georges-Louis Bouchez ».

« La présidence de Georges-Louis Bouchez n’a pas fait l’objet d’une contestation médiatique importante »

Benjamin Biard, politologue au sein du Crisp

À moins d’un an des prochaines élections législatives, il faut s’attendre à ce que les présidents de parti occupent les devants de la scène politique, au détriment de l’action des gouvernements, plutôt à l’heure des affaires courantes alors que la campagne électorale est lancée. Dans ce contexte, de nombreux partis font le choix de la continuité pour ne pas risquer une débâcle le soir du 9 juin 2024. Ainsi, Paul Magnette a été réélu à la tête du Parti Socialiste en mars dernier. Chez Ecolo, on a fait le choix de reporter les élections internes à 2025, une fois que les urnes auront livré leur verdict.

Le MR et la particip’opposition de Georges-Louis Bouchez

Au MR, on se déchire sur la question de l’avenir de Georges-Louis Bouchez à la présidence du parti. « On sait que sa présidence ne fait pas consensus au sein du parti, explique Benjamin Biard. Souvenons-nous de ce fameux G11 qui avait été instauré en 2020 pour encadrer le Montois afin d’éviter tout dérapage ou décision trop centralisée. Certains à l’époque parlaient de belles-mères, mais la présidence du libéral n’a pas fait l’objet d’une contestation médiatique importante ».

Nicolas Baygaert
Nicolas Baygert enseigne la communication politique à l’IHECS © dr

La stratégie du président libéral ? Nos deux experts évoquent la « particip’opposition ». « Il s’agit de participer à une majorité gouvernementale tout en adoptant une posture de l’opposition, note Nicolas Baygert. Georges-Louis Bouchez se distingue des autres présidents de parti de par son style communicationnel clivant. Il impose sa grille de lecture de l’actualité, souvent sur Twitter, dans un style offensif et en optant pour une forme d’hypermédiatisation. Opter pour cette stratégie permet de se démarquer en prenant le contre-pied des partis progressistes de la Vivaldi, tout en mettant certains thèmes à l’agenda ». Benjamin Biard embraie : « À moins d’un an des élections, il est important de laisser sa marque sur l’action publique. Le président du Mouvement Réformateur l’a bien compris et a excellé dans cet exercice. Avec, parfois, des reproches qui lui ont été adressés de bloquer l’action gouvernementale ».

Tom Ongena, la marionnette de De Croo à l’Open Vld

Une tactique à l’opposé de la voie choisie par le pendant flamand du MR, l’Open Vld. Le parti du Premier ministre, sur une pente descendante dans les sondages, ne peut plus se permettre de faire du surplace. Ce constat dressé, et n’en pouvant plus de la cohabitation difficile avec un Alexander De Croo obligé de tirer à gauche comme leader de la Vivaldi, Egbert Lachaert a quitté la tête des libéraux flamands à la fin du mois de juin.

Tom Ongena (Open VLD), une fonction utilitaire à l’ombre du Premier ministre. © getty images

Est alors rentré sur le terrain miné de la campagne du Vld le remplaçant de luxe Tom Ongena, inconnu du grand public tant au sud qu’au nord du pays. D’abord intérimaire, celui que l’on a directement surnommé « la marionnette de De Croo » a été officialisé, lors d’un congrès des libéraux, comme chef de file de l’Open Vld. La tâche ingrate de Tom Ongena ? Gérer les aspects pratiques de la campagne électorale, dans l’ombre d’un Alexander qui tient les rênes politiques des bleus flamands.

« On peut dire que Tom Ongena a reçu un CDD jusqu’aux élections »

Nicolas Baygert, expert en communication politique

« On peut comparer cette situation à celle vécue par Olivier Chastel à l’époque où Charles Michel était Premier ministre », avance Benjamin Biard. « L’enjeu, pour Tom Ongena, est de rassembler les troupes et mettre la campagne en ordre de marche, pour se montrer unis face aux électeurs ».

« L’enjeu de ce changement de président, à quelques mois des élections, est de ne pas faire trop d’ombre à celui qui incarne véritablement l’Open Vld, et qui est Alexander De Croo, analyse Nicolas Baygert. Dans ce contexte-là, il est quasi impossible, peu importe la personne, d’imprimer sa patte afin de définir un autre cap pour le parti. On peut dire que Tom Ongena a reçu un CDD jusqu’aux élections ».

Paul Magnette, le shadow prime minister

À côté du modèle de particip’opposition incarné par Georges-Louis Bouchez, il y a le modèle du shadow prime minister, adopté selon Nicolas Baygert par le président du PS Paul Magnette. « On voit ça dans d’autres pays, ce sont des premiers ministres de l’ombre qui jouent un rôle particulier ». Celui qui enseigne la com’ politique à l’IHECS déroule la stratégie du bourgmestre de Charleroi. « Je trouve sa stratégie médiatique assez offensive depuis quelque temps, en particulier vis-à-vis des partis de droite ». Nicolas Baygert va jusqu’à dire que le président socialiste, à l’image de Georges-Louis Bouchez, s’inscrit désormais dans une logique de campagne permanente.

François Heinderyckx n’est pas d’accord sur ce point. « Paul Magnette est très à l’aise dans les médias mais pas omniprésent pour autant. Il adopte – peut-être sans le savoir – une stratégie de la rareté de la parole. C’est-à-dire qu’il intervient quand il a quelque chose à dire, ce qui peut avoir plus d’écho que d’intervenir à tout bout de champ. Le risque, dans ce dernier cas, est que vos interventions les plus importantes se noient dans un flot de paroles incessant ».

La rareté de la parole de Bart De Wever

«Pour la Flandre. Pour le bien-être.» En congrès le 14 mai, Bart De Wever a réitéré sa volonté de mettre en œuvre le confédéralisme. © belgaimage

Bart De Wever, lui, est un adepte de longue date de la rareté de la parole médiatique. Mais quand il publie l’essai Woke, les rédactions francophones lui ouvrent grand les bras. « Depuis le début de sa carrière, Bart De Wever fait de la métapolitique, indique Nicolas Baygert. En publiant un tel livre, il peut critiquer certaines idées progressistes et imposer sa grille de valeurs. Le président de la N-VA se place en idéologue, au-dessus des querelles politiques du quotidien ».

Peu importe les parti et la personnalités de leurs présidents, tous partagent le même objectif, résume Benjamin Biard. « L’idée est de faire parler de soi, de son parti et de son projet. Et, à la veille des élections, de mettre à l’agenda certains thèmes qui sont chers à sa formation politique et qui seront au cœur de la campagne électorale ». « Le juste milieu, pour un président de parti, c’est d’être présent sans être omniprésent, tout en se distinguant de ses concurrents, conclut François Heinderyckx ». Un équilibre que les concernés devront trouver, sous peine d’être sanctionnés lors d’un scrutin que tous redoutent.

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