« Il ne faut pas que cela devienne une guerre »: les émotions, armes redoutables en politique?
Les émotions jouent un rôle en politique. Parfois utilisées par les partis pour influencer l’opinion publique, elles peuvent s’avérer plus efficaces que des arguments bien ficelés pour gagner des voix aux prochaines élections. Retour sur 4 séquences qui ont marqué la législature Vivaldi, avec le politologue Philippe De Vries (UAntwerpen).
Les émotions, armes rhétoriques à la disposition de la classe politique ou sentiments humains universels ? « Elle est utilisée plus ou moins intentionnellement, analyse Philippe De Vries, qui enseigne la communication politique à l’Université d’Anvers. Parfois stratégiquement, parfois parce que nos dirigeants sont des êtres humains qui ressentent aussi des émotions ».
Celles-ci se matérialisent dans la communication non-verbale des politiques, ou dans les mots qu’ils utilisent pour s’exprimer, que ce soit au parlement ou dans les médias. Qu’ils le veuillent ou non, leurs déclarations ont un effet sur le public, difficile à mesurer mais bien présent. « On sait que ceux qui votent pour les partis extrémistes sont plus sensibles à l’appel des émotions, explique Philippe De Vries. Même si l’impact des émotions sur le public diminue avec le niveau de formation scolaire, les émotions fonctionnent avec tout le monde ».
« L’attaque est forte, il ne faut pas que le débat démocratique devienne une guerre »
Philippe De Vries, politologue (UAntwerpen)
Plusieurs dizaines d’émotions liées à la politique ont été identifiées par les chercheurs. Elles peuvent être négatives, neutres ou positives. « Il s’agit notamment de l’angoisse, l’inquiétude, la joie, l’ennui, etc. Chacune d’entre elles a un effet différent, mais on sait que les émotions négatives ont un impact supérieur. »
Philippe De Vries explique que les réseaux sociaux ont augmenté l’importance des émotions dans le débat politique. « La nouvelle génération use et abuse des vidéos sur les plateformes pour jouer sur les émotions des électeurs. Le problème, c’est que ce genre de contenu très court ne renferme souvent qu’un argument/contre-argument ». Le politologue explique que les émotions utilisées stratégiquement par la classe politique « peuvent par exemple susciter un sentiment de proximité ou de ressemblance, afin d’attirer le public pour qu’il écoute les propos et y adhère ensuite ». La législature a été marquée par différents moments d’émotions, voulus ou non. En voici quatre.
1. La lettre ouverte d’Alexander De Croo
Le 21 juillet dernier, jour de fête nationale belge, le Premier ministre s’était exprimé aux Belges dans une lettre ouverte, avouant sa difficulté à gouverner la Vivaldi par moments. La démarche en avait surpris plus d’un. « La lettre ouverte du Premier contenait une certaine dose d’émotion, mais limitée, estime Philippe De Vries. Cette fonction demande d’être un homme d’Etat, d’avoir du leadership. Le fait que De Croo avoue ne pas toujours avoir fait les choses comme il le fallait ébranle peut-être la confiance que le public avait en lui. »
2. Conner Rousseau et Molenbeek
“Quand je roule à Molenbeek, je ne me sens pas en Belgique”. Au printemps 2022, le président de Vooruit, parti socialiste flamand, effectue une sortie dans les médias qui fait encore beaucoup de bruit à l’heure actuelle. « La déclaration de Conner Rousseau s’inscrit dans le nouveau positionnement de Vooruit, plus concret et plus direct, continue Philippe De Vries. Selon moi, l’objectif du président de parti était d’aller prendre des voix aux partis de centre-droit ou de droite, en jouant sur l’imaginaire qui règne autour de la commune de Molenbeek ».
3. Georges-Louis Bouchez et le « Parti de la Sieste »
Utiliser le sigle du Parti Socialiste – devenu Parti de la Sieste le temps d’une interview – pour tenter de le décrédibiliser aux yeux de l’opinion publique. Une attaque et un appel aux émotions négatives attribués à Georges-Louis Bouchez, en février dernier. « Les partis libéral et socialiste se positionnent sur un thème qui leur est cher et sur lequel ils s’affrontent depuis la nuit des temps : l’emploi ». Ici, le chercheur universitaire s’interroge sur la stratégie du président du Mouvement Réformateur. « L’attaque est forte, il ne faut pas que le débat démocratique devienne une guerre. Sortie de son contexte, ce genre de déclaration peut avoir un impact non négligeable sur le public ». Philippe De Vries pense qu’une telle sortie médiatique permet de renforcer l’électorat des libéraux, et de réaffirmer le positionnement du parti sur la thématique.
4. Olivier Vandecasteele et les visas iraniens
Enfin, assurément l’un des dossiers les plus forts en émotion de la législature : la libération du travailleur humanitaire Olivier Vandecasteele, suivie de l’affaire de l’octroi des visas à une délégation iranienne. « Le retour d’Olivier Vandecasteele était déjà fort en émotion. Cette dernière a été exacerbée par la communication du gouvernement, notamment avec la mise en scène et les images prises par son retour sur le sol belge ». Et les visas iraniens ? « Lors des débats, tant à la Chambre, que dans les médias et au sein des partis, des mots forts ont été échangés ». La ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib avait été vivement critiquée pour sa gestion du dossier, avant d’échapper in extremis à une démission. « Ce sont des dossiers où les choix individuels sont très clairs, ce qui rend les personnes qui les prennent plus vulnérables à la critique et suscitent de l’émotion ».
Comment la classe politique devrait-elle utiliser les émotions à l’avenir ? Le politologue adresse plusieurs recommandations. « Il faut plus de réflexion sur la manière de communiquer autour de tous ces dossiers. Nous devons éviter à tout prix que les citoyens soient encore plus dégoûtés de la politique qu’ils ne le sont déjà. »
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