A Mons et dans le monde laïque, on attribue à Valérie Glatigny et Georges-Louis Bouchez des sympathies pour la rivale de l’UCL. © belga image

Crise à la FWB sur le master en médecine à l’UMons: pourquoi MR, PS et Ecolo se déchirent

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui avait jusqu’à présent été plutôt épargné par les tensions, est gravement divisé sur la question de l’organisation, par l’UMons (avec l’ULB), d’un master en médecine. Les vieilles tensions entre catholiques et laïques, entre gauche et droite, ne sont pas loin…

Soixante-sept étudiants peuvent-ils faire tomber un gouvernement? Ou quelques dizaines de milliers d’euros sur un budget de 625 millions? Sans doute pas. Mais l’orgueil touché d’un chef-lieu de province, peut-être bien.

Aujourd’hui, la Région flamande bloque sur son plan azote, l’exécutif bruxellois cale sur la friche Josaphat, le gouvernement wallon a coincé sur le décret Crucke, et aucun nœud fédéral ne paraît encore pouvoir se dénouer de sitôt. Il ne restait donc plus que la coalition PS-MR-Ecolo à la Fédération Wallonie-Bruxelles à ne pas encore être tétanisée. C’est terminé depuis que Valérie Glatigny, la ministre MR de l’Enseignement supérieur de la FWB a annoncé, à La Libre le 7 février, qu’elle proposerait à ses collègues de refuser les demandes d’habilitation de l’UMons (avec l’ULB), pour un master en médecine, et de l’UNamur, pour un master de spécialisation en médecine générale (avec l’UCLouvain). La stupéfaction, et la colère, n’ont alors pas fait que gagner le rectorat montois, où l’obtention de ce master, pour compléter le bachelier déjà organisé, est un objectif prioritaire. Entre géopolitique universitaire, économie des soins de santé, ambitions politiques locales et nationales et relents de guerre scolaire, la mécanique des petites causes et des grands effets s’est enclenchée. Elle promet de rudes semaines dans l’espace politique francophone.

« Doit-on avoir une université dans chaque petite ville? Où s’arrêtera-t-on après? »

Valérie Glatigny

«Une fausse solution à un vrai problème», répondait Valérie Glatigny, le 15 février, sur La Première, pour justifier sa proposition de refus, avant, un petit brin d’énervement dans la voix, d’oser rétrograder l’ancienne préfecture du département de Jemappes: «Doit-on avoir une université dans chaque petite ville? Où s’arrêtera-t-on après?», se demandait-elle. C’est le gouvernement dans son ensemble, et non la ministre fonctionnelle, qui est censé se prononcer sur les 57 demandes d’habilitation validées par l’ Ares, l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur de la FWB. Celle-ci donne, en ces matières, son avis à l’exécutif. Valérie Glatigny et son parti considèrent ne devoir en accepter que 55. Mais son ministre-président et camarade Pierre-Yves Jeholet n’avait, pas plus que les autres ministres, été averti de cette sortie. La séance plénière du parlement qui la suivait vit des parlementaires hainuyers, y compris de la majorité, déchaînés. Et le point, au gouvernement du lendemain matin, ne fut abordé que pour déplorer la forme, désapprouvée par le ministre-président lui-même.

Philippe Dubois exerce son dernier mandat de recteur de l’UMons. L’obtention du master en médecine est, et a toujours été, une de ses principales ambitions.
Philippe Dubois exerce son dernier mandat de recteur de l’UMons: l’obtention du master en médecine est, et a toujours été, une de ses principales ambitions. © belga image

Sur le fond, il faut savoir ceci, qui donne à chacun ses raisons et aux autres leurs torts…

Jusqu’à présent, les étudiants qui terminent leur baccalauréat en médecine à Mons bouclent leur parcours dans la capitale, généralement à l’ULB, déjà engagée dans un partenariat avec l’université montoise. Ils sont 67 cette année en troisième. Il paraît peu probable que ces carabins abandonnent leurs études une fois le bachot obtenu parce qu’ils sont contraints de koter ou de prendre le train.

Mais qu’ils puissent accomplir un master à Mons n’en augmentera, quoi qu’il en soit, pas le nombre, puisque ces études sont strictement contingentées en Belgique francophone.

Il n’est pas moins incontestable que la province la plus peuplée de Wallonie est proportionnellement moins desservie en enseignement universitaire, puisque l’UMons (10 000 étudiants) n’est pas une université complète, que la pénurie de médecins la guette, et que l’existence d’un master de médecine à l’UMONS, donc sur son territoire, peut être un moyen, parmi d’autres, de la limiter.

Mais il n’est pas contestable non plus que les finances de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont dans un piteux état, que son enseignement supérieur est notoirement impécunieux et que la dispersion des moyens qu’implique la création de ce master, plus coûteux que d’autres disciplines (14 000 euros par an et par étudiant en médecine contre 4 600 euros pour les sciences humaines), a fortiori dans une institution plus petite (les étudiants en médecine de l’UCLouvain, de l’ULiège et de l’ULB ne sont financés qu’à 85% au-delà d’un certain nombre), ne risque pas de renflouer le trésor francophone.

Mais les défenseurs de l’UMons ont raison de pointer le faible coût relatif de l’habilitation qu’ils réclament pour la rentrée académique prochaine. Il est estimé à moins de 150 000 euros par an.

Mais ceux qui se sont, dans les instances de l’Ares, opposés à cette habilitation, n’ont pas tort de faire observer que, dans un système d’enveloppe fermée, tout surcoût quelque part est à compenser par des économies ailleurs, et donc, potentiellement, chez eux: les représentants de l’UCL et de Saint-Louis (qui ont fusionné mais qui ont encore droit à deux voix distinctes) ont voté contre ce master montois. A l’ULiège, où s’organise le seul master en médecine de Wallonie, l’opposition était moins explicite. Et certaines des autres habilitations que la ministre Glatigny recommande de donner impliqueront de toute façon une redistribution au sein de cette enveloppe férocement concurrentielle, par exemple ce bachelier de l’UCLouvain en droit à Charleroi, le cinquième que dispensera l’université catholique.

«Une trahison à l’égard de Mons»

Politiquement, les réactions ont été d’une violence proportionnelle aux distances, géographique et partisane, les séparant de l’énonciatrice. A la fois montois et socialiste, le bourgmestre Nicolas Martin estimait que «la prise de position du MR et de son président Georges-Louis Bouchez est une trahison à l’égard de Mons et du Hainaut». Le Carolorégien qui préside le Parti socialiste, lui, s’énervait sur Twitter: «Le MR ne peut pas stigmatiser et dénigrer le Hainaut dès qu’il le peut et en même temps utiliser tous ses leviers politiques pour freiner son essor en bloquant son développement universitaire.»

Le PTB, dans l’opposition, Ecolo, dans la majorité, mais aussi le récent Engagé Jean-Luc Crucke, qui interpellera la ministre le 1er mars, l’Interrégionale Wallonne de la FGTB et la Fédération des étudiants francophones se positionnaient offensivement eux aussi. Même le collège provincial du Hainaut, composé d’une coalition entre socialistes et réformateurs, envoyait un communiqué déplorant la recommandation de la ministre. «L’ avis défavorable exprimé par la ministre à l’égard de la demande d’habilitation déposée en codiplômation avec l’ULB va à l’encontre d’arguments forts et pertinents avancés par les deux institutions universitaires, et d’ailleurs entendus par les instances de l’Ares», avance-t-il.

Si on analyse les besoins du territoire, ce n’est pas la priorité.

Le MR, pourtant, tient fermement ses positions. On n’attend pas de lui qu’il se plie devant les revendications de la FGTB wallonne ou de la FEF. Le 27 février, en conseil de parti, les libéraux ont affiché leur volonté commune de ne pas céder «au chantage». Le président de sa fédération provinciale, Denis Ducarme, a déclaré soutenir Valérie Glatigny, le ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Pierre-Yves Jeholet, partage, sur le fond, l’appréciation de sa ministre, et puis, il y a le président du MR, Georges-Louis Bouchez (qui, nous dit-on, a découvert lundi la position adoptée par le collège provincial hainuyer).

Georges-Louis Bouchez est montois et s’est déjà exprimé contre l’organisation de ce master dans sa cité d’élection. «C’est un vieil objectif qui avait été placé à une époque et qui est toujours poursuivi par atavisme. Mais si on analyse les besoins du territoire, ce n’est pas la priorité. Ça ne se marie pas avec les contingents de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ma position est commune à celle de la ministre», a-t-il énoncé dans le quotidien régional La Province.

Le master en médecine à l’UMONS ravive les tensions « laïques vs. catholiques »

Le Montois avait, lorsqu’il a été élu président de son parti en novembre 2019, promis de céder son poste de chef de groupe Mons en Mieux au conseil communal, le cumul lui semblant alors intenable. Il l’est toujours aujourd’hui, et ne peut à cet égard être taxé de sous-localisme sur le sujet. Mais depuis il s’est également fait désigner au CA de l’UMons, ce cumul lui semblant tenable. L’idée d’intégrer une structure poussée depuis des décennies par le PS, réputée proche des milieux laïques et parfois baignée d’un esprit de citadelle qui rendrait presque les Liégeois jaloux, devait tenter le jeune président des Francs Borains. Il a suivi le dernier conseil d’administration depuis le Luxembourg, où il était en déplacement professionnel. En visioconférence, il a froidement rappelé la position de la ministre, qui est aussi la sienne, à ses collègues administrateurs. Dans la foulée de ce rappel distanciel une rumeur montait en ville: solidaire dans la désillusion, le CA envisageait une démission collective. Il n’en a jusqu’à présent rien été. Les libéraux et lui, à qui, dans l’autre monde, on reproche de plus en plus, depuis la fusion entre l’UCL et Saint-Louis, de s’aligner sur les intérêts de la grande université catholique, dominante dans notre paysage académique, n’ont donc pas l’air d’avoir envie de flancher.

Le gouvernement (PS-MR-Ecolo) de la Fédération Wallonie-Bruxelles devra trancher. Il risque de rester bloqué longtemps après ça...
Le gouvernement (PS-MR-Ecolo) de la Fédération Wallonie-Bruxelles devra trancher quant à l’organisation d’un master en médecine à l’UMONS. Il risque de rester bloqué longtemps après ça… © belga image

Mais le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne s’est pas encore prononcé. Le point reviendra à l’ordre du jour de sa séance du 2 mars. On pourrait reporter la discussion pour un peu calmer les bagarres. Le temps ne presse pas encore mais il s’écoule déjà: les 55 ou 57 habilitations sont normalement censées pouvoir se déployer en septembre. Il n’y a, en cette matière, pas de compromis possible: soit le gouvernement décide de donner ces deux habilitations, et l’UMons et le boulevard de l’Empereur exultent, soit il choisit de les refuser, et l’avenue de la Toison d’Or et Ottignies et Louvain-en-Woluwe respirent. S’il ne parvient pas à décider, c’est le parlement, légalement souverain, qui tranchera. Dans tous les cas, la tripartite francophone risque bien de ne plus rien décider de vraiment signifiant après ça.

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