Georges-Louis Bouchez © Belga

Francs Borains: « Depuis que Bouchez est président, un vent nouveau souffle sur le club »

Lander Deweer Journaliste free-lance

L’économiste sportif Trudo Dejonghe n’y croit guère, mais le président Georges-Louis Bouchez en est absolument certain : dans cinq ans, ses Francs Borains joueront en 1A.

Il y a les supporters de football, il y a les fanatiques, et puis il y a Philippe Jacob, surnommé Bomber. En entrant dans le stade Robert Urbain de Boussu-Bois, coiffé de sa casquette et de son maillot Royal Francs Borains, Jacob explique qu’il a déménagé il y a plusieurs années de Wasmes, la ville voisine, pour se rapprocher du club de son coeur. Et comme sa femme de l’époque n’avait pas envie de déménager, il a changé de femme. « Les Francs Borains sont le plus grand amour de ma vie », dit-il. « Tout le reste doit céder ».

Jacob est un supporter du club de football local depuis son plus jeune âge, même si le club a changé de nom et de couleur plusieurs fois depuis. Son grand-père, qui a travaillé toute sa vie dans les mines et est décédé de silicose, l’emmenait au stade et c’est là que l’étincelle s’est produite : la camaraderie entre les supporters, les chants et les applaudissements faisaient oublier la dure vie sous terre ou à l’usine. « Mon plus beau moment ? La demi-finale de la Coupe de Belgique contre le Cercle de Bruges, en 1986. Nous sommes allés à Bruges avec des dizaines d’autocars. Toute la région était en émoi. C’était mythique. »

Trente-cinq ans plus tard, Jacob peut recommencer à rêver. Car malgré la crise sanitaire, 2020 a été une année faste pour les Francs Borains : le club est passé de la deuxième à la première division amateur, l’ancienne troisième nationale, et avec le président MR Georges-Louis Bouchez, il a un nouveau patron extrêmement ambitieux. « D’ici cinq ans, nous jouerons en 1A », a déclaré Bouchez lors de sa nomination en avril, alors que We Are the Champions résonnait dans les loges du Stade Robert Urbain. « J’ai passé toute mon enfance au Borinage. C’est un honneur pour moi. »

Les amateurs de football flamands ont réagi de manière attentiste, parfois narquoise. Ceux qui savaient déjà où était le Borinage, entre Mons et la frontière française, ne croyaient pas qu’une nouvelle équipe de première division puisse émerger dans ce pays de terrils et de chômage. Mais le coeur de Jacob a fait un bond et Dante Brogno, icône du football dans le Hainaut et actuel entraîneur des Francs Borains, se montre également enthousiaste.

« Depuis que Bouchez est président, un vent nouveau souffle sur le club », déclare Brogno au téléphone avant la rencontre. « Il y a une nouvelle énergie, on la sent partout. C’est d’autant plus regrettable que nous passons par une saison blanche, une saison sans classement. Nous avons commencé la saison par une victoire, l’équipe se portait bien, nous aurions pu lutter pour la promotion en 1B. »

« Nous existons toujours », dit Philippe Jacob en riant. « Comparé aux autres équipes de la région, c’est déjà beaucoup. Mais la vie est dure. Surtout sans football, comme l’année dernière. »

Les jours de gloire du RAEC Mons, au début de ce siècle une valeur sûre de la plus haute division de football, et de l’ancien vainqueur de la coupe RAA La Louviéroise, appartiennent au passé. Le terrain est en friche. Le Borinage est la région de football la plus endormie du pays », déclare Trudo Dejonghe, économiste sportif à la KU Leuven, au téléphone. « On attend qu’elle se réveille. »

Dejonghe suit le club depuis longtemps et connaît bien la région. Il pense que le football peut créer un sentiment d’appartenance et briser l’absence de perspective dans le Borinage. Comme cela s’est produit à Manchester et à Dortmund : un géant sportif sur les ruines de l’ancienne industrie.

« Les Francs Borains pourraient être un deuxième Racing Genk, un club fusionné qui trouve ses racines dans l’industrie minière délabrée et qui compte de nombreux supporters issus des quartiers d’immigrés », déclare Dejonghe. « C’est un peu cru, mais les meilleurs footballeurs ne viennent pas des régions les plus riches. On apprend à jouer au football sur les places. Il doit y avoir beaucoup de jeunes talents dans le Borinage. »

Philippe Jacob sait de quoi il parle. Il a vu Marouane Fellaini porter le maillot du club de ses rêves, chez les scolaires. Impressionnant, dit-il. « Mais un an plus tard, Charleroi est venu le chercher, comme cela arrive souvent ici malheureusement. »

‘Le club phare’

Georges-Louis Bouchez entre dans le Stade Robert Urbain dans une voiture noire métallisée. Avec sa démarche familière et un soupçon de parfum, il donne un coup de coude à Philippe Jacob. Sur la poitrine de sa veste d’entraînement, l’inscription « GLB ».

« Tout avance rapidement », déclare Bouchez en montant les escaliers qui mènent à la tribune principale. Nous allons rénover les loges, renforcer l’éclairage et le rendre moins énergivore, et nous attaquer aux autres tribunes là où c’est nécessaire, tout en développant l’organisation des jeunes. La crise du coranvirus a un peu ralenti les choses, mais notre objectif reste le même : nous voulons jouer en 1A d’ici cinq saisons ».

Le plan étape par étape est prêt. Bouchez veut investir dans l’infrastructure, attirer de meilleurs joueurs chaque année et ainsi devenir le club phare de la région. « Depuis mon arrivée, nous avons décroché des sponsors, dont une entreprise de construction, et des négociations sont en cours avec d’autres parties intéressées. En ce moment, nous sommes déjà le plus grand club du Borinage. Nous devons construire sur cette base. Nous devons canaliser tout l’argent et l’énergie vers un seul grand club, et non quatre ou cinq petits. »

Son rêve va au-delà des questions sportives, poursuit Bouchez. Il veut utiliser le club pour relancer l’économie et redonner de l’espoir aux jeunes, le nouveau Francs Borains a aussi des ambitions sociales.

« Ce sont de grands projets, je le sais », dit Georges-Louis Bouchez, le regard fixé sur l’herbe longue du terrain de football et sur la terrasse Saint-Antoine à côté du stade. Mais je suis bien entouré, par des gens qui connaissent bien la région et le sport, et je suis naturellement ambitieux. Personne ne se réveille en pensant qu’aujourd’hui ça ne marchera pas, non? »

Spectateurs

Depuis peu, l’économiste sportif Trudo Dejonghe utilise l’histoire de Georges-Louis Bouchez et des Francs Borains dans ses cours, comme exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Dejonghe : « L’un des principes de base pour un club de football sain est d’avoir un marché, non seulement en termes d’argent de la télévision, mais aussi en termes de sponsors et de spectateurs. Je ne vois pas ça dans cette histoire. La région est assez peu peuplée, il y a peu de grandes entreprises qui peuvent investir et il y a un grand écart entre Mons et le Borinage. Je ne pense pas que les habitants de la ville iront un jour à Boussu pour voir Francs Borains. Seul le mouvement inverse a un avenir : les supporters des villages qui vont voir un club en ville. Cela ne fonctionne jamais dans l’autre sens. A l’époque, les Montois n’allaient même pas voir le RAEC Mons. Le stade n’était jamais plein, même s’ils jouaient en première division. »

Georges-Louis Bouchez : « Si nous jouons en 1A et si le Club Bruges, le Standard ou Anderlecht viennent nous rendre visite, les gens viendront. Je fais partie d’une nouvelle génération. Je connais l’histoire de ma région, mais je ne l’ai pas vécue. La dernière mine de la région du Borinage était fermée depuis des années lorsque je suis né. Je suis tourné vers l’avenir : nous devons préserver, et même chérir, l’identité du Borinage, mais nous devons aussi être capables de transcender les contradictions du passé. Et soyons clairs : je n’avais pas besoin de ce club pour ma carrière politique. J’étais déjà président du MR avant de commencer ici. Strictement parlant, je ne peux que perdre avec ce projet. Mais je crois vraiment que ma notoriété d’homme politique peut contribuer à attirer des bailleurs de fonds potentiels. Tout le monde est toujours à la recherche d’une plus grande stratégie, mais pour moi, c’est simple : j’aime le football et je veux faire avancer ma région ».

Dejonghe : « Je me demande pourquoi ils sont si têtus en Wallonie. Peut-être est-ce en partie dû au fait qu’il n’existe encore aucune formation en gestion du sport, comme à la VUB ou à Bruges. C’est ainsi que l’on maintient la vieille culture sportive, même dans des grands clubs comme le Standard et Charleroi : un riche homme d’affaires ou un étranger inconnu rachète le club et, avec l’aide de quelques managers, place des joueurs étrangers bon marché, souvent français, et essaie de les revendre avec un bénéfice après un ou deux ans. »

Bouchez : « Il y a simplement moins d’argent ici qu’en Flandre, je pense que cela explique tout. Mais si vous avez moins d’argent, vous devez gérer votre budget intelligemment. Lorsque je suis devenu échevin à Mons en 2013, j’ai vu ce qui a mal tourné au RAEC Mons, alors encore en première division. Le sponsor du maillot était un constructeur de vérandas flamand, presque aucun effort n’a été fait pour impliquer les résidents locaux dans le club et l’organisation entière dépendait trop d’un seul mécène. Nous ne voulons pas de ça. Mon travail consiste à mettre en place une structure qui gérera le club de manière professionnelle tout en étant moi-même un bon vendeur du club ».

Dejonghe : « Agents et mécènes, voilà à quoi ressemble le monde du football en Wallonie depuis des années. Il n’y a pas d’histoire durable avec une culture d’entreprise moderne, comme à Zulte-Waregem ou au Club de Bruges. »

Bouchez : « Nous allons certainement travailler avec des managers et chercher des footballeurs talentueux en France. Mais nous allons également investir dans notre propre jeunesse. Je suis un supporter du Racing Genk depuis des années. Ils sont en effet notre grand exemple : nous avons la même histoire, le même mélange de cultures, le même arrière-pays. Mais ils ne jouent pas avec onze jeunes joueurs chaque année, n’est-ce pas ? De temps en temps, il y en a un qui perce, mais pour le reste, ils achètent des étrangers jeunes et talentueux, non. Le fait que nous n’ayons pas été capables de construire une histoire similaire dans le Borinage ne signifie pas que nous ne devons pas continuer à essayer. Quand on joue en troisième division, il faut oser regarder vers le haut. Sinon, autant se replonger dans la vie provinciale et en faire un petit club convivial. »

Une équipe d’Icare

« J’espère me tromper, mais pour être honnête, je n’y crois pas trop », répond Dejonghe. Il est tout simplement très difficile de gérer un club de football prospère dans une région économiquement peu prospère. Parce que la dernière chose que l’on fera sera de mettre son argent dans le sport. Il faut d’abord s’occuper d’un meilleur enseignement, de meilleurs soins de santé, d’un plus grand nombre d’emplois et ce n’est qu’ensuite que viennent les loisirs, le sport et la culture. Je continue à trouver cette histoire étrange. C’est comme si je revoyais les années soixante et septante, quand les Balthazar Boma (NDLR: un personnage de la série populaire flamande F.C. De Kampioenen) surgissaient partout en essayant de se rendre populaires grâce au football. En Wallonie, on a parfois une de ces équipes d’Icare qui veulent voler vers le soleil et qui, tôt ou tard, se brûlent les ailes. A l’époque, il y avait Seraing, puis Tubize et maintenant Francs Borains. Une belle anecdote à insérer dans un livre d’histoire du sport dans vingt ans ».

Bouchez : « Je serai encore là dans cinq ans, ne vous inquiétez pas. Nous avons désespérément besoin de plus de fierté ici, et je suis convaincu que le football peut la fournir. « Depuis bien trop longtemps, il y a une atmosphère dépressive dans cette région. »

Après un selfie avec le président, Philippe Jacob rentre chez lui, deux rues plus loin. Pendant dix ans, il a été facteur à Bruxelles, entre autres pour Joëlle Milquet (cdH), maintenant il est en congé de maladie. « J’ai 57 ans », dit-il. « Avant de mourir, je veux voir les Francs Borains jouer en première division. Ça devrait marcher, non? »

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