La petite Haifa entourée de sa famille. © DR

Est-il possible d’accueillir un migrant chez soi?

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Face à la crise des migrants, des initiatives citoyennes voient le jour en Europe. En Belgique, des Bruxellois ont décidé d’aider des Syriens à émigrer en Belgique via un visa humanitaire. En France et en Suisse, des organisations proposent un encadrement pour accueillir des réfugiés au sein même d’une structure familiale.

Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), quelque 150 000 migrants ont rejoint l’Europe par la Méditerranée depuis le début de l’année, soit une augmentation de 80 % par rapport à la même période l’année dernière. Ils viennent pour la plupart du Maghreb, de la corne de l’Afrique et du Proche-Orient. Plus de 1.900 personnes ont trouvé la mort au cours de leur périlleuse traversée cette année.

À ce jour, aucun accord définitif n’a été trouvé sur la répartition d’ici deux ans de 60.000 de ces migrants en Europe sur une base volontaire et non contraignante comme le souhaitait initialement la Commission. Il s’agit de répartir 40.000 demandeurs d’asile débarqués ces dernières semaines sur les côtes grecques et italiennes, et 20.000 réfugiés enregistrés par le HCR actuellement hébergés dans les pays limitrophes de la Syrie, principalement en Turquie. Au total, seulement 29.000 d’entre eux seront accueillis, dont 1.364 personnes en Belgique. La France et l’Allemagne ont accepté, pour leur part, d’accueillir un tiers de ces 60 000 réfugiés.

Des Bruxellois font venir des Syriens en Belgique par leurs propres moyens

Cette option volontaire, un groupe de 45 Bruxellois de tous âges, professions et milieux sociaux, organisé sous la bannière Un Visa, Une Vie n’a pas attendu que l’UE se mette d’accord sur le sort des migrants pour la prendre. Ils ont décidé de se montrer garants financièrement et moralement de l’installation et de l’intégration en Belgique d’une douzaine de ressortissants syriens. Les réfugiés n’ayant pas d’autre choix que d’entrer en Belgique illégalement pour ensuite introduire une demande d’asile, ce groupe de citoyens a emprunté une autre voie légale, beaucoup moins utilisée: celle du visa humanitaire (lire l’encadré ci-dessous).

Anne-Laure Losseau est coordinatrice de ce projet: « Nous nous sentions concernés, responsables même du sort de ces migrants et nous nous sommes demandés, ‘que peut-on faire à notre échelle, même minuscule pour ces personnes qui sont à nos portes’ ? « . Elle entre alors en contact avec un pharmacien syrien de Schaerbeek, Ghazi El Rass. Ce dernier coordonne depuis le déclenchement de la guerre civile en 2011 l’envoi d’aide humanitaire à la frontière entre la Turquie et la Syrie et participe à un large réseau d’organisations humanitaires syriennes actives dans ces deux pays. Ghazi El Rass met ensuite le groupe en contact avec deux familles très vulnérables d’un camp de déplacés situé à la frontière entre la Syrie et la Turquie. Au sein de ces familles, Haifa, 4 ans, souffre d’une grave malformation cardiaque nécessitant une opération, tandis que Marwa, 5 ans, blessée lors d’une attaque aérienne, est partiellement paralysée de la jambe gauche. Elle aussi a besoin d’une intervention chirurgicale.

La procédure d’obtention des visas humanitaires qui dure au minimum 6 mois a été très rapide. « On ne s’y attendait pas du tout, mais en deux semaines, nous avons obtenu une réponse positive de l’Etat belge, la procédure a été incroyablement rapide !« , s’enthousiasme Anne-Laure Losseau. Pour appuyer le dossier, elle s’est rendue en personne sur place afin d’aider les familles à l’ambassade d’Ankara dans leurs démarches administratives. « Nous avons financé les frais liés à leurs demandes de visas – au total environ 3000 euros – ainsi que leurs dépenses sur place avec le soutien de sympathisants, d’amis et de la famille« , détaille-t-elle.

À l’heure qu’il est, les deux familles sont en transit en Turquie. « Il y avait quand même un élément risqué dans cette aventure, ils ont été obligés de traverser clandestinement la frontière turque, car il n’y a pas d’ambassade belge en Syrie. Ce visa humanitaire leur donne maintenant l’autorisation de prendre l’avion pour arriver sur le sol belge. Ils ne devront pas risquer leur vie sur des bateaux de fortune en Méditerranée « , nous confie Anne-Laure Losseau, avec soulagement.

Est-il possible d'accueillir un migrant chez soi?
© un Visa, une Vie

Le 29 juillet dernier, Haifa et Marwa accompagnées de leurs parents ont débarqué sur le sol belge. Anne-Laure Losseau a fait le trajet avec eux à partir d’Ankara et le reste du groupe était à l’aéroport pour les accueillir. « En Belgique, nous donnerons à ces personnes la protection, les moyens financiers et le temps nécessaire à leur intégration en les hébergeant temporairement au sein de nos foyers. L’important est de soigner ces deux fillettes dont la situation médicale est urgente. Chaque personne ressource au sein de notre groupe pourra leur venir en aide d’une façon ou d’une autre, et notamment des juristes pour le suivi de leurs dossiers de régularisation« .

« Une faveur, et non un droit »

En Belgique, l’obtention d’un visa humanitaire est une faveur et non en droit, sous la responsabilité du secrétaire d’État à l’immigration Theo Francken. Cette piste humanitaire est soutenue par le CD&V et l’Open Vld parmi les mesures qu’il conviendrait de prendre pour freiner le phénomène de la migration illégale qui voit des milliers de personnes se retrouver entre les mains de passeurs criminels avec, pour nombre d’entre eux, la noyade en mer méditerranée comme issue fatale. En 2014 pourtant, peu de visas de cette catégorie ont été accordés, seulement 208. Un nombre qui est toutefois en augmentation. (Lire aussi l’encadré ci-dessous)

Preuve que les choses bougent au niveau politique, depuis le mois de mai, 25 citoyens de toute obédience et issues de toutes les communautés du pays ont réussi à faire venir en Belgique, par avion et dans la plus grande discrétion, 244 chrétiens en provenance d’Alep. Le groupe était soutenu dans sa démarche par le gouvernement fédéral.

« L’appel de ce groupe m’a fait réfléchir« , a confié le secrétaire d’État Theo Francken. « J’y ai donc répondu favorablement. La politique du gouvernement en la matière se fonde sur deux axes« , a-t-il rappelé. « Nous sommes humains avec les plus vulnérables et fermes avec ceux qui abusent de notre hospitalité. Ici, nous démontrons que nous passons aussi à l’acte sur l’aspect humain de notre politique. » Après avoir été accueillis par des membres du groupe d’action, les 244 Syriens ont été pris en charge par les services d’accueil de demandeurs d’asile. « Ils suivront la procédure classique et sont appelés à suivre le parcours d’intégration propre à la région où ils sont hébergés« , a ajouté Theo Francken.

Selon de nouveaux chiffres du HCR, le nombre de réfugiés syriens dépasse désormais les 4 millions. Un chiffre impressionnant qui a augmenté d’un million au cours des dix derniers mois qui ont vu l’État islamique s’emparer de villes stratégiques comme Palmyre. La grande majorité d’entre eux se trouve dans les pays voisins de la Syrie. Le HCR table maintenant sur 4,27 millions de réfugiés syriens d’ici à la fin de l’année auxquels s’ajoutent les quelque 7,6 millions de déplacés à l’intérieur même du pays.

« C’est presque devenu un grand frère pour les enfants

Ailleurs en Europe, en Allemagne et aux Pays-Bas, des actions d’hospitalité de particuliers vis-à-vis de réfugiés émergent aussi. En France, l’organisation Jesuite Refugee Service propose déjà depuis 2009 à des personnes ou à des communautés religieuses d’accueillir un demandeur d’asile sous leur toit, pour un temps déterminé de 4 à 6 semaines. L’initiative a été baptisée tout simplement Welcome . « Les demandeurs d’asile en France sont des personnes en situation régulière, elles ont un « récépissé » délivré par l’administration qui leur permet de rester sur le territoire tout le long de la procédure et jusqu’à obtention du statut du réfugié », nous explique Marcela Villalobos, coordinatrice nationale du projet dans l’Hexagone.

Cette prise en charge permet à des personnes déplacées qui ont souvent traversé de nombreuses épreuves de retrouver des repères, de se familiariser avec la culture du pays qui les accueille et de mieux s’y intégrer. Les familles bénévoles sont épaulées par un tuteur, et une coordinatrice du réseau, qui veille au déroulement du séjour, ce « projet d’hospitalité » s’effectuant dans le cadre d’une « charte de bonnes pratiques ». Marcela Villalobos définit cet échange comme « une relation de « donnant-donnant », qui transforme le regard des deux côtés ». Pour la région parisienne, le réseau français du JRS compte 40 familles et 10 communautés religieuses. Le projet comprend également 15 antennes locales (Bordeaux, Toulouse, Marseille, Rennes, Nantes, Orléans, Grenoble, Lyon, etc).

Une Française, Marie Boissier s’est portée volontaire en tant qu’accueillante. Elle partage sa maison avec un jeune réfugié afghan de 25 ans. Elle témoigne sur le site du Nouvel Obs: « Nous savons que ce jeune homme a une histoire douloureuse, mais il n’a pas abordé le sujet avec nous. Cela doit être difficile pour lui, nous n’avons donc pas cherché à en savoir plus : l’idée n’est pas de le faire parler à tout prix. » Elle ajoute : « Quand il est là, il aime passer du temps avec les enfants et jouer au ballon avec eux. On voit qu’il apprécie leur présence et qu’il s’occupe d’eux de façon tout à fait naturelle. Les enfants l’aiment aussi beaucoup. C’est presque devenu un grand frère pour eux.  » Concluant : « Cette cohabitation est une expérience très enrichissante pour nous et si c’était à refaire, nous nous engagerions de nouveau sans hésiter ».

Une expérience similaire, initiée par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), a été lancée en mars dernier. La famille Christen a ouvert les portes de sa maison à Morad, un Érythréen de 24 ans pour une période de 6 mois. En acceptant d’héberger le jeune homme au sein même de son cocon familial, les Christen sont devenus les premiers en Suisse à accueillir un demandeur d’asile, inaugurant de la sorte le projet de l’OSAR, en partenariat avec l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM). Depuis, une autre famille du canton d’Argovie a accueilli une famille syrienne, tandis qu’une troisième expérience est sur le point d’être lancée en terre vaudoise.

« Une aventure de longue haleine qui demande un engagement conséquent »

La démarche, dont le principal objectif est de faciliter et d’accélérer l’intégration de ces personnes qui resteront en Suisse durablement, ne s’applique cependant pas à tous les migrants, ni à toutes les familles, explique le journal suisse 24 heures. « Ce projet s’adresse aux demandeurs d’asile qui ont de fortes probabilités d’obtenir un permis F* ou un statut de réfugié. Il est aussi destiné aux personnes qui détiennent déjà un permis F et dont l’immense majorité resteront en Suisse« , précise Evi Kassimidis, chargée de communication auprès de l’EVAM. Quant aux candidats à l’hébergement, Stefan Frey, porte-parole de l’OSAR, prévient: « Il y a des gens choqués par les images qu’ils voient à la télévision et qui veulent aider, mais l’émotion seule ne rend pas apte à se lancer dans un tel projet. C’est une aventure de longue haleine qui demande un engagement conséquent. »

Et chez nous? La branche belge du JRS travaille pour le moment à l’élaboration d’une initiative d’hospitalité inspirée du projet français, nous confie Baudouin Van Overstraeten, directeur du JRS-Belgium.

Et même si ces actions citoyennes représentent quelques gouttes d’eau dans l’océan, Baudouin Van Overstraeten et Anne-Laure Losseau sont sur la même longueur d’onde quand ils disent espérer qu’elles réussissent déjà à « changer les mentalités« .

C’est quoi un visa humanitaire ?

Dans des situations spéciales, pour des raisons humanitaires, comme l’accès à des soins médicaux, une personne peut introduire une demande de visa humanitaire pour être accueillie en Belgique. Alors qu’en 2013, seulement 55 réponses positives avaient été données aux demandeurs, le nombre a grimpé en 2014. Selon Katrien Janssen, une porte-parole du secrétaire d’Etat à l’immigration Theo Francken, en 2014, 393 demandes de visas humanitaires (toutes nationalités confondues) ont été introduites. 315 décisions ont été prises, dont 208 se sont révélées positives.

*Les titulaires d’un permis F sont des personnes dont la demande d’asile a été refusée faute de preuves d’une persécution individuelle, mais qui ne peuvent pas retourner dans leurs pays d’origine, notamment du fait de l’insécurité qui règne pendant ou après un conflit ou une guerre civile.

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