Le refinancement de la caisse de retraite était «une nécessité», selon plusieurs études commandées par le Bureau du parlement, qui a dû agir en urgence. © BELGAIMAGE

Un renflouement de 40 millions d’argent public: les cachotteries de la caisse de retraite des députés wallons vues de l’intérieur

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

Capitalisation minorée, crainte des contrôles et montages financiers farfelus: bienvenue au cœur de l’asbl chargée de gérer les pensions des députés wallons, dont Le Vif retrace la trajectoire financière chaotique depuis 2014, documents inédits à l’appui.

En dix ans et deux législatures, la caisse de retraite des députés wallons, gérée par le Bureau du parlement régional, aura englouti environ 40 millions d’euros d’argent public afin d’éviter la banqueroute. Si l’on s’en réfère aux montants des subsides «exceptionnels» octroyés sous cette législature – et déjà révélés par Le Vif – la note s’élèverait ces cinq dernières années à 25 millions d’euros, un renflouement «discret» qui faisait suite à une trajectoire de refinancement déjà bien avancée. Mais ce n’est pas tout.

D’après les comptes tenus – tout aussi discrètement – par le Bureau du parlement sous la législature précédente (2014-2019), la caisse a en effet bénéficié de plus de 17 millions d’euros en subsides «exceptionnels» du même genre, prélevés, comme sous cette législature, sur la dotation même du parlement, souvent rehaussée à cette fin.

La sous-capitalisation de la caisse de retraite laissait entrevoir des problèmes dès 2016.

Dans le détail, 2.424.295,61 euros de subsides ont ainsi atterri sur le compte de la caisse en 2015. En 2016, la mise a été quasi doublée: 4.198.153,16 euros. La trajectoire fut presque la même en 2017 – 4.834.555,60 euros – puis en 2018: 4.690.731,51 euros. En 2019, la caisse aurait été renflouée à hauteur d’au moins un million d’euros.

Nécessité fait loi

Ce refinancement était une nécessité, d’après plusieurs études commandées par le Bureau du parlement, qui a dû agir en urgence dès la fin de la législature précédente (2018). Mais le feu couvait bien avant, apparaît-il d’après divers PV du Bureau, que le Vif a également passés au crible. Dès 2014, une étude du même acabit menée par Ethias, qui épaule le Bureau du parlement dans la gestion du fonds de pension, chiffrait la sous-capitalisation «possible» de la caisse à au moins douze millions d’euros. Laissant au passage apparaître «une difficulté dès 2016»

Et ce n’était pas le moindre des cadavres dans le placard de la caisse. L’étude de 2014, réalisée «rapidement» et «dans un contexte compliqué», a suscité «un sentiment négatif» d’un «point de vue comptable» dans le chef du Bureau. Non seulement la caisse ne disposait «pas de réserves suffisantes pour garantir les pensions», mais en plus, l’asbl ne respectait pas «pleinement les normes comptables», ne disposant même pas d’un fonds de roulement.

Pour les greffiers du Bureau en poste à l’époque – Frédéric Janssens et son adjointe Sandrine Salmon – l’état des lieux s’est avéré «extrêmement difficile», lit-on, du fait que les archives n’ont pas été transmises par leur prédécesseur, que la clôture des comptes n’avait «pas été établie et que, plus largement, les dossiers étaient très peu tenus». Pour ce travail ingrat et jugé «essentiel», tous deux ont visiblement obtenu un siège permanent et rémunéré au sein du conseil d’administration de l’asbl – un cumul avec leurs fonctions au greffe «sans limite dans le temps», acte alors le Bureau.

La crainte du contrôle

Pour le reste, en cette année 2014, il faut – déjà – envisager une recapitalisation. Comment? Simple: «Alors que des discussions relatives au budget du parlement vont s’engager avec le gouvernement, ces éléments doivent être pris en compte», font valoir Frédéric Janssens et son adjointe, insistant au passage sur «la responsabilité du Bureau vis-à-vis de la caisse». Message reçu cinq sur cinq, à voir les sommes engagées dans les années suivantes par le parlement pour renflouer l’asbl en perdition.

Un an plus tard, courant 2015, la réorganisation de la caisse prend enfin forme, afin «de respecter pleinement les normes comptables», se félicite le Bureau du parlement. Qui anticipe, ce faisant, certains problèmes à venir. Comme cette «taxe compensatoire des droits de succession à laquelle sont soumises les asbl dont les avoirs dépassent un montant qui est atteint par la caisse» et dont «le montant annuel à payer pourrait être de l’ordre de 80.000 euros avec une possible régularisation sur cinq années.» Or, «la taxe n’a jamais été payée», est-il constaté, et «dès lors que les comptes sont aujourd’hui publiés, il faut craindre qu’un contrôle intervienne».

Pour le reste, c’est business as usual: plus de quatre millions de «nécessaire subvention extraordinaire» viennent renflouer l’asbl courant 2016, une somme qui n’est au départ «pas intégrée» dans les comptes transmis par le greffier Janssens. Ce dernier est «chargé de mettre le compte à jour avant transmission aux vérificateurs»…

Le déficit de la caisse est estimé courant 2021 entre 78 et 84,6 millions d’euros.

Montage financier

Si, en parlant de «nécessaire subvention», le Bureau du parlement – à l’époque présidé par André Antoine (CDH) –, sait que la situation de la caisse est loin d’être florissante, cela ne l’empêche pas d’envisager de se servir de l’asbl pour… financer le «redéploiement immobilier» du parlement, dont la future maison des parlementaires. C’est que, faute de pistes de financement assuré, «il peut encore être envisagé d’utiliser une partie des moyens de la caisse de retraite pour la réalisation du projet. Cette association serait propriétaire du bâtiment et le parlement lui paierait un loyer, à l’instar d’activités déployées par d’autres fonds de pension», tente le président du Bureau, appuyé par son vice-président Jean-Luc Crucke (MR à l’époque), futur ministre wallon… du Budget. A ceci près que «cela suppose que toutes les garanties soient prises quant à la viabilité de la caisse et qu’un accord préalable soit obtenu de l’Institut des comptes nationaux».

Sans surprise, dans le courant de l’été, le Bureau revient finalement sur cette considération «informelle», déplorant que «cette piste risque de ne pas rencontrer les faveurs de l’Institut des comptes nationaux» et que cela «serait de nature à mettre en péril la viabilité de l’asbl au regard des normes qu’elle pourrait considérer devoir appliquer». Mais considère, à l’automne, que chacun «a désormais toutes les informations utiles en sa possession» pour mettre en chantier ce redéploiement immobilier. S’en remettant, «pour ce qui concerne les engagements financiers», à «l’évolution de la situation budgétaire du parlement».

Ironiquement, le coût de la nouvelle maison des parlementaires a entre-temps explosé pour atteindre 46 millions d’euros. Tout comme le déficit de la caisse, estimé courant 2021 entre 78 et 84,6 millions d’euros. Et ce, malgré dix années de rentrées régulières de cash à gogo.

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