Le 6 novembre, Christie Morreale, ministre wallonne en charge de la Santé, distribuait des tests antigéniques dans un home namurois. © BELGAIMAGE

Covid: reconfiner était-il la seule solution?

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Les différents gouvernements du Royaume se réunissent ce vendredi en Comité de concertation . Pour faire face à la seconde vague, ce comité a instauré un reconfinement. Existe-t-il encore d’autres moyens d’endiguer l’épidémie?

Comment faire? Existe-t-il des voies alternatives au confinement dans la lutte contre la Covid-19? Pour l’instant, il n’y a pas d’autres scénarios. La deuxième vague de l’épidémie s’est répandue dans toutes les strates de la société, y compris chez les plus jeunes, parfois sous des formes graves. Mais le problème avec le confinement, c’est que si les effets sont rapides, ils ne sont pas durables. Autrement dit, dès qu’on lève les mesures et qu’on ouvre les vannes, les transmissions reprennent.

Alors soit on trouve un vaccin, soit on trouve un moyen de réduire le risque de façon chronique en protégeant les plus fragiles et en essayant de limiter la circulation parmi les autres. « La pandémie déborde tous les pays européens, mêmes les plus riches d’entre eux comme la Suisse, souligne le docteur Yves Coppieters, professeur d’épidémiologie à l’Ecole de santé publique de l’ULB. A tel point que les bonnes pratiques, à l’exemple de l’isolement au Laos et du testing massif en Slovaquie, on ne les voit plus… »

Jusqu’ici, la Belgique s’est montrée incapable dans la stratégie de base qui repose sur le testing et le tracing.

A l’étranger, hors Europe, des pays n’ont plus aucun mort, ou presque. Ainsi l’Australie, Taïwan ou encore la Nouvelle-Zélande ont frappé fort, ont frappé vite. Prenons Wellington. Dès le départ, la capitale néo-zélandaise a opté pour une politique d’éradication du virus, quand la plupart des pays, eux, tentaient de réduire sa circulation. Une enquête épidémiologique, publiée le 13 octobre dans The Lancet, estime que cette riposte pourrait servir de modèle dans l’élimination de la Covid-19. Dès le 15 mars, alors qu’on n’y compte alors que huit cas, toute personne entrant dans l’archipel est mise en quarantaine pendant deux semaines. Cinq jours plus tard, les frontières sont fermées et les contacts limités aux proches. Le 25 mars, un confinement strict et total était décrété durant quatre semaines et le port du masque obligatoire. En même temps, le gouvernement a diligenté des campagnes de tests ciblées et le traçage des cas contacts n’a pas été interrompu au sein d’une population confinée. Pour les épidémiologistes néo-zélandais, cette mesure a permis de cantonner le virus à des zones identifiées et de protéger les plus vulnérables. Reste que ce sont des pays qui ont imposé un confinement dur et strict.

Le Vif/L’Express fait donc le point sur d’autres solutions.

La stratégie du « stop and go »

Alterner des périodes de confinement et de déconfinement peut-il constituer une solution contre la Covid-19? Cette stratégie, l’une des plus simples sur le papier et baptisée le stop and go (arrêter et repartir), est déjà évoquée par les spécialistes depuis un certain temps (voir Coronavirus: pourquoi l’après-3 mai sera un travail de dentelliers). Ainsi des chercheurs de l’université Harvard prévenaient, dès le mois de mars, qu’il faudrait probablement vivre avec des mesures restrictives par intermittence jusqu’en 2022.

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Marc Van Ranst, virologue à la KULeuven, suggère ainsi d’utiliser comme indicateur les nombres d’admissions en hôpital et en réanimation: dès que l’on franchit le cap de 200 hospitalisations quotidiennes et de 40% de lits occupés en réanimation, les mesures de confinement doivent être réactivées. Pour les chercheurs de l’Imperial College, à Londres, pour qu’une telle stratégie fonctionne, il faudrait que le confinement soit en place au moins les deux tiers du temps, jusqu’à ce qu’un vaccin soit disponible. Enfin, l’équipe de l’épidémiologiste américain Marc Lipsitch reprend le modèle du stop and go mais en y ajoutant un paramètre de saisonnalité du virus. Selon lui, le Sras-CoV-2 se conduirait comme la grippe, étant sensible aux variations climatiques, et, dès lors, expose à une réémergence hivernale intense, avec un impact plus fort sur le système de santé. Dans ce scénario, il faudrait aussi plusieurs périodes de confinement et de déconfinement – sept – avant de parvenir à une immunité collective en 2022.

Or, jusqu’ici, il n’existe pas de consensus sur les paliers à ne pas dépasser ni sur la version du stop and go. La Belgique a pour l’instant fait le choix d’un second confinement de six semaines, valable jusqu’au 13 décembre, mais avec des restrictions plus légères qu’au printemps: les écoles maternelles et primaires restent ouvertes, les visites dans les maisons de retraite autorisées. Comme la France et l’Irlande qui ont aussi opté pour un reconfinement d’un mois et de six semaines.

D’autres pays choisissent, au contraire, des restrictions plus courtes, mais plus fortes. C’est le cas du pays de Galles, qui a ordonné à partir du 23 octobre un reconfinement « court et tranchant » pour quinze jours. L’idée est de produire un effet « pare-feu » en cassant les chaînes de contamination pour « remonter le cours du temps, ralentir le virus et gagner du temps », sans perturber trop longtemps l’économie.

Les chercheurs reconnaissent d’ailleurs que cette stratégie de contrôle de la maladie est délicate à tenir car elle suppose des capacités à suivre de très, très près le nombre de cas avec des décisions de levée et de reprise du confinement dès que des seuils sont franchis. Les disparités régionales compliquent encore la donne avec différentes épidémies à différents stades. Un groupe d’épidémiologistes britanniques a alors avancé, à la mi-octobre, une idée plus inattendue: celle de confiner régulièrement et brièvement la population de façon préventive, même en l’absence de flambée épidémique (par exemple quinze jours tous les deux mois).

Selon leur étude (prépubliée en ligne et pas encore revue par un comité de lecture), cette solution permettrait d’améliorer le suivi de l’épidémie et de réduire la mortalité due au Sars-CoV-2. Elle aurait également un impact moins néfaste sur la société (économie, santé mentale et physique, éducation, etc.), car ces confinements seraient prévisibles. Une autre piste évoque une combinaison impliquant un couvre-feu en semaine et un confinement le week-end. « Ces options, qui sont des vues de l’esprit, ne tiennent pas la corde, parce qu’une épidémie se gère par tranche de quinze jours », commente encore le professeur Yves Coppieters, envisageant un confinement prolongé jusqu’au 20 décembre au moins. Ainsi les résultats des dernières modélisations informent que le pic de transmission du virus a été franchi et que le pic des hospitalisations devrait l’être aux alentours du 21 novembre.

Madrid a adopté la stratégie du confinement géographique. Les habitants peuvent sortir de chez eux mais pas de leur quartier.
Madrid a adopté la stratégie du confinement géographique. Les habitants peuvent sortir de chez eux mais pas de leur quartier.© BELGAIMAGE

Bref, la stratégie du stop and go ne semble pas « bonne », selon le terme du spécialiste. Sauf, socialement, « s’il s’agit de sauver les fêtes de fin d’année », avec un reconfinement « autour du 15 janvier ».

Un confinement ciblé sur les seules personnes à risque

D’autres scientifiques, à l’instar de l’épidémiologiste français Martin Blachier, préconisent un confinement ciblé sur les populations les plus à risque, c’est-à-dire les seniors (la moitié des décès concerne les plus de 80 ans), les individus atteints de pathologies lourdes et ceux souffrant d’affections de longue durée. Cette hypothèse reviendrait, en fait, à laisser vivre librement la majeure partie de la population. Ça collerait avec l’idée de vivre avec le virus. Mais « on assisterait à une explosion de la transmission, prévient Yves Coppieters. Car c’est aussi au sein de cette population que l’on rencontre très souvent les asymptomatiques. » Ça voudrait dire que les différentes générations devraient être capables de se montrer parfaitement étanches.

Le problème avec le confinement, c’est que si les effets sont rapides, ils ne sont pas durables.

Cette population à risque – et hétérogène – regroupe en réalité les plus de 65 ans, mais aussi des sujets jeunes avec des facteurs de comorbidité (surpoids, diabète, insuffisance rénale, cancer) et des personnes en situation de grande précarité. Ce qui représente entre 1,5 et 2 millions d’individus pouvant être considérés comme vulnérables à la Covid-19.

Personne n’ose le défendre politiquement. Aux yeux des scientifiques, un tel confinement, s’il devait être prononcé, serait-il légal? « Vous allez faire des sous-catégories de citoyens en fonction de l’âge, du diabète, des pathologies cardiaques? Aucun pays n’a pris cette décision », note Emmanuel André, microbiologiste à la KULeuven. Est-il d’ailleurs réaliste? Sur le plan opérationnel, comment s’assurer que ce confinement partiel soit respecté? »

Confiner par zone géographique

Autre stratégie, celle du confinement géographique. C’est le principe de la ville sous cloche, à l’exemple de Madrid et qui s’apparenterait le plus à un « confinement partiel ». Depuis la fin du mois de septembre, ses habitants peuvent sortir de chez eux. Mais pas de leur quartier. Une manière, pour le gouvernement espagnol, de limiter les échanges privés, souvent identifiés comme les principaux vecteurs de la maladie, mais difficiles à quantifier. Ce système était déjà partiellement appliqué, chez nous, avec le confinement nocturne du Brabant wallon et du Luxembourg. « Le problème, c’est qu’on ajoute une couche aux mesures décidées quelques jours auparavant, sans savoir lesquelles ont le plus d’impact sur la circulation du virus ni leur avoir laissé le temps de montrer leurs effets », regrette le professeur de l’ULB. Pour autant, confiner par zone géographique n’est pas à évacuer d’emblée, en s’inspirant du modèle madrilène, en permettant aux gens de circuler dans une ville mais sans qu’ils puissent en sortir, là où le virus est très présent.

Un isolement strict

Casser la pandémie sans mesures strictes d’isolement serait inefficace. De fait, le message depuis le début de l’épidémie est toujours le même: restez à la maison au moindre symptôme, mettez-vous en quarantaine. Tous les malades, évidemment, ne nécessitent pas une hospitalisation. Et, précisément, pour Yves Coppieters, la quarantaine est envisagée comme une quarantaine à domicile, c’est-à-dire une mise à l’écart des personnes vivant dans le même foyer qu’une personne contaminée. Mais, finalement, celle-ci infecte son entourage, créant ainsi des centaines de miniclusters intrafamiliaux. Il n’est pas prévu de contraindre ceux qui refuseraient de se soumettre à ces règles.

Le gouvernement compte sur la responsabilité de chacun. Pour les personnes contagieuses qui ne peuvent s’isoler chez elles, les Régions auraient dû prévoir des hébergements dans des hôtels (à Bruxelles) ou dans des structures d’accueil intermédiaires (en Wallonie). Depuis le début de l’expérimentation, très, très peu de personnes ont fait le choix de l’hôtel. Faut-il se montrer plus strict? Personne n’ose trancher mais il faut, à tout le moins, « insister davantage sur la notion d’isolement, qui n’est pas une quarantaine », reconnaît Emmanuel André. On demeure loin du modèle laotien, par exemple, qui fait ses preuves, selon Yves Coppieters, et où le pays a mis en oeuvre un plan d’isolement des malades à grande échelle.

Tester rapidement et massivement

Quant au triptyque « tester-tracer- isoler » mis en place depuis l’été, il ne « peut être efficace qu’avec quelques centaines de cas par jour. » Or, 8.000 à 10.000 contaminations sont dépistées quotidiennement. Le voilà donc caduque.

A ce jour, par manque de moyens, les autorités ont fait le choix, comme en mars, de ne tester que les sujets symptomatiques. Pourtant, une stratégie devrait également reposer sur un testing rapide et massif, à l’image de ce petit pays, la Slovaquie. Tout cela a pour but d’éviter l’instauration d’un confinement comme dans le reste de l’Europe, tandis que la deuxième vague frappe fortement une Slovaquie presque complètement épargnée par la première.

De telles solutions supposent d’avoir des tests diagnostics en quantité suffisante pour dépister toutes les personnes présentant des symptômes, même légers. Ainsi la Belgique vient enfin de s’équiper de tests antigéniques. Moins sensible qu’un PCR, ce type de tests a l’avantage de fournir un résultat en un quart d’heure – bien que moins efficaces chez les sujets asymptomatiques. Rapide, il nécessite lui aussi une chaîne de dépistage, des labos et du personnel, puisqu’il faut vérifier tous les cas positifs.

Les tests antigéniques arriveront fin novembre dans des hôpitaux, des centres de dépistage, des cabinets médicaux. L’approvisionnement de tous ces lieux mettra un certain temps. « Compte tenu des quantités dont dispose le gouvernement, des critères de sélection seront établis à court terme pour déterminer quels hôpitaux, centres de triage et de prélèvement d’échantillons et cabinets de médecins généralistes disposeront en priorité de ce type de tests », précise Pedro Facon, le commissaire à la lutte contre le coronavirus.

Il faudrait aussi tester les individus asymptomatiques et les personnes ayant été en contact avec un sujet infecté. Selon les autorités, cela devrait être à nouveau possible « courant novembre ». L’idée, selon Yves Coppieters, serait de tester une commune, un quartier entier pour casser des éventuelles chaînes de transmission, de protéger les cibles possibles d’une contamination. Or, « jusqu’ici, la Belgique s’est montrée incapable dans la stratégie de base qui repose sur le testing et le tracing« , note le docteur Emmanuel André. Tout comme elle s’est montrée incapable de remonter les sources de contamination et de mettre la main sur les supercontaminateurs. « Les labos ne fournissent même pas votre charge virale… »

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