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Coronavirus: pourquoi l’après-3 mai sera un travail de dentelliers

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

La Première ministre Sophie Wilmès présentera le 24 avril le plan de l’après-3 mai. Mais les modalités qui seront mises en place restent, pour l’instant, inconnues, et toutes les conditions ne semblent pas être réunies pour réussir l’après-confinement. Une certitude : pas de levée du confinement sans des tests et une politique de traçage social.

Désormais, la question n’est pas seulement  » quand  » mais  » comment « . Comment faire repartir ces drôles de vies que chacun mène dans un pays confiné depuis près de six semaines ? Il n’existe aucun manuel, aucune théorie du déconfinement. Paradoxalement, confiner apparaît, aujourd’hui, plus simple que déconfiner. Il reste de nombreuses inconnues face à un virus dont on savait si peu et à une pandémie dont on apprend tous les jours.

 » Il est encore trop tôt pour parler de déconfinement « , assurait ainsi Sophie Wilmès le 15 avril à la suite d’une réunion du Conseil national de sécurité (CNS). Les scientifiques ignorent, par exemple, la part de porteurs asymptomatiques. Ils pourraient représenter de 25 % à 30 % des cas positifs, selon des dépistages réalisés à bord de paquebots en quarantaine. Beaucoup moins, si l’on se réfère à des études chinoises menées sur une cohorte de plus de 70 000 infectés, qui font état d’un nombre entre 1 % et 2 %.  » Ces premiers résultats suggèrent que la proportion se situe plutôt entre les deux « , répond Yves Coppieters, épidémiologiste et professeur en santé publique à l’ULB. Pour l’instant, il n’existe pas de moyens de les repérer rapidement alors qu’ils sont susceptibles de transmettre le virus.

Une certitude : le déconfinement ne sera ni total, ni immédiat pour tous.

Ils ne toussent pas. Or, le mode principal de contagion est l’excrétion, soit la toux et les éternuements. Leur charge virale est probablement nettement moins intense que chez ceux qui présentent des symptômes, mais se révèle suffisante pour contaminer d’autres individus, par l’émission de postillons et les contacts manuportés. Combien sont-ils réellement ? Sont-ils si contagieux ? Pourquoi ne développent-ils aucun symptôme ? Comment les isoler ? Ces questions, comme tant d’autres, divisent les chercheurs. Ainsi celle-là : pendant combien de temps un individu contaminé est-il contagieux ? Un point crucial pour casser la dynamique d’une épidémie. Au-delà de la période d’incubation, estimée à six jours en moyenne, les spécialistes ne savent pas quand précisément et pendant combien de temps le porteur infectieux est contagieux.

La distanciation dans les écoles : par avance, un vrai casse-tête.
La distanciation dans les écoles : par avance, un vrai casse-tête.© GETTY IMAGES

A ce stade, donc, il manque encore des données et des analyses face au Sras-CoV-2 et les scientifiques ne sont pas tous d’accord. Les deux objectifs d’étape du confinement sont cependant atteints : la propagation du virus s’est ralentie ; sa baisse est  » lente mais réelle « , selon le professeur Emmanuel André, médecin microbiologiste à la KULeuven et porte-parole interfédéral de la lutte contre le Covid-19. Ensuite, les hôpitaux, très éprouvés, n’ont pas été surchargés.

Reste qu’il est quasiment acquis que le virus circulera encore lors d’une remise en mouvement du pays. Que faudra-t-il faire pour ne pas lui offrir de nouveaux moyens de circuler ? Pour éviter que l’épidémie ne s’emballe à nouveau ? L’idéal serait de contenir le taux de reproduction du virus, c’est-à-dire le nombre de personnes qu’un malade contamine, à une valeur égale ou inférieure à 1, seuil en dessous duquel une épidémie est amenée à s’éteindre. Il est actuellement de 0,8 %, grâce aux mesures de restriction, alors qu’il était en moyenne de 3 au début de la pandémie . Mais  » prolonger le confinement jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de circulation du virus est inenvisageable, tant psychologiquement, socialement qu’économiquement, parce que, théoriquement, il faudrait plus de six mois « , précise Sophie Vanwambeke, professeure de géographie médicale à l’UCLouvain. Comment maintenir alors ce taux de reproduction en dessous de 1 ? Car, les freins sitôt levés, le risque est qu’il monte à nouveau rapidement, et, dans ce cas, les modélisations statistiques anticipent déjà un engorgement du système hospitalier.

Inimaginable également de compter, au moins à court terme, sur l’immunité collective pour protéger la communauté entière. Pour l’atteindre, les épidémiologistes estiment que 60 % à 70 % de la population devraient avoir été infectés et pu ainsi développer des anticorps. Un objectif qui semble inaccessible : selon les modèles mathématiques, seuls 3 % à 5 % – peut-être 8 % au sein des groupes les plus exposés – des personnes ont été touchées par le virus.  » Leur nombre est nettement insuffisant et attendre que le seuil d’immunité soit atteint nous projette dans un scénario lui aussi de plusieurs mois « , relève Yves Coppieters. Difficile, en tout cas, d’imaginer un déconfinement où moins d’un Belge sur dix serait autorisé à sortir de chez lui.

Déconfiner par secteur

Alors de quelles stratégies dispose-t-on ? Le 24 avril, un Conseil national de sécurité se tiendra, avec une promesse : organiser, à partir du 3 mai,  » de manière plus précise la prochaine étape, celle du déconfinement « , selon les propos de Sophie Wilmès, tout en se montrant floue sur les modalités qui seront mises en oeuvre. Ce doit être dans dix jours.  » Le 4 mai est un objectif, ce n’est pas une date fixe « , précise Erika Vlieghe, spécialiste en infectiologie à l’UZ Antwerpen, à la tête du groupe d’experts qui conseille le gouvernement.  » On est encore dans la phase de simulation plutôt que dans la liste complète des solutions.  » Le 24 avril, il n’y aura probablement pas de calendrier rigide, mais  » une stratégie, un plan d’étapes, si toutes les conditions sont réunies « . Car, en coulisses, du côté des autorités publiques, ce que l’on craint, c’est de devoir faire marche arrière.  » Un « stop and go » répété, ce serait une catastrophe, mais cela pourrait se produire « , résume Sophie Vanwambeke. Ce modèle d’une reprise d’un confinement soumis à des  » vaguelettes épidémiques  » a ses limites.  » Quel serait alors son impact sur le personnel soignant ? Sur les autres pathologies nécessitant une hospitalisation ?  »

Il faudra continuer à télétravailler massivement dans les entreprises où c’est possible .

En réalité, il n’y en a pas trente-six, de solutions. Une certitude : le déconfinement ne sera ni total, ni immédiat pour tous, mais modulé et progressif. Différents modèles sont examinés. Chacun d’eux déroule une procédure par paliers, lente et complexe à implémenter. Selon les experts interrogés, un déconfinement localisé par région n’a jamais été une piste envisagée. Pour Yves Coppieters,  » le critère de zone géographique n’a pas de sens en Belgique. D’autant que chez nous, la propagation du Covid-19 est relativement homogène sur le territoire « .

Le scénario suggérant un déconfinement sur la base de l’âge n’est possible que si l’on rouvre les écoles. Or, rien n’est encore tranché et le retour en classe inquiète les enseignants et les parents. Ce dernier, en tout cas, ne sera pas massif. Alors, qui en priorité ? Pour l’expert, l’idée serait de commencer par les plus petits des écoles maternelles et primaires, en tablant sur une  » analyse entre les bénéfices et les coûts « .  » Les risques ne sont pas nuls, puisque le virus se propage facilement à travers toutes les tranches d’âge. En revanche, les plus jeunes sont très, très peu exposés aux formes graves du Covid-19.  » Les dernières études disponibles, mais encore peu nombreuses, montrent d’ailleurs que les enfants seraient peu vecteurs de la maladie.  » Ils présentent une contagiosité moins forte et ils n’ont pas le rôle qu’on leur a attribué au départ. Maintenant, on ne peut les exclure dans la dynamique de l’épidémie « , enchaîne Yves Coppieters. Davantage que les contacts entre les enfants et les adultes, ce sont ceux entre adultes, entre les parents, entre les enseignants… qui inquiètent les spécialistes. Sur cette question, il n’y pas de consensus. D’autres plaident pour privilégier le retour en cours des adolescents de 5e et 6e secondaire. Certes, à cet âge, ils sont capables de distanciation sociale, mais ils sont aussi des vecteurs potentiels de virus chez leurs parents, qui ont souvent la cinquantaine.

Un déconfinement sur la base de l'âge n'est possible que si l'on rouvre les écoles.
Un déconfinement sur la base de l’âge n’est possible que si l’on rouvre les écoles.© BELGAIMAGE

Un schéma de déconfinement par secteur, de manière graduelle et en parallèle se dessine. C’est ce que préconiseraient la plupart des experts. Lesquels ?  » Il est encore trop tôt « , considère Erika Vlieghe. A priori, tous les secteurs sont prioritaires (la culture autant que l’Horeca), sous réserve de respecter les directives sanitaires (lesquelles ? ) et de s’engager fermement dans un protocole précis (en cours d’élaboration, dit-on).  » Déconfiner est synonyme de multiplication de contraintes. Il ne faudrait retenir que ceux qui se montrent capables d’assurer une transition et de garantir une sécurité sanitaire stricte pour les personnes concernées « , avance Yves Coppieters. L’économie dite présentielle, en lien avec le public, comme l’hôtellerie-restauration, les services aux personnes, les bars, etc., et où l’on ne peut pas imposer la distance sociale sera la dernière à repartir. Dans ce scénario, il faudra continuer à télétravailler massivement, dans les entreprises où c’est possible, pendant encore des semaines après le 3 mai.

Dans un tel canevas, il semble probable qu’un léger relâchement des activités sociales chez les moins de 50 ans soit examiné : puisque le coronavirus frappe plus fort les hommes de plus de 50 ans et les femmes de plus de 60 ans, il convient de les protéger le plus longtemps possible en les laissant confinés plus longtemps, tout en autorisant les populations les moins à risque à sortir à nouveau. L’idée demeure toutefois soumise à des conditions.  » Ces individus devront respecter les gestes barrières, porter un masque dans l’espace public et être testés dès les premiers signes de symptômes dans des centres de dépistages « , précise le médecin épidémiologiste. L’option permettrait de constituer une immunité de groupe.

Les tests, premiers alliés du déconfinement.
Les tests, premiers alliés du déconfinement.© BELGAIMAGE

Stratégie de la prévention

Déconfiner par secteur d’activités s’accompagnerait obligatoirement d’une stratégie plus fine de dépistage, de traçage social et d’un confinement strict ciblé, au cas par cas. Une stratégie de la prévention, en quelque sorte. Sortir de la quarantaine s’avère tout simplement impossible sans ces outils. Ou alors il faudra aller au-delà du 3 mai…

Les tests sont donc les premiers alliés du déconfinement. Il s’agit, ici, de deux tests, celui qui détecte le virus dans l’organisme (dit PCR) et celui qui identifie les personnes immunisées (dit sérologique). La capacité existante n’est pas encore utilisée à son maximum. Aujourd’hui, la Belgique n’atteint toujours pas les 10 000 tests de dépistage quotidiens annoncés depuis deux semaines. Pas certain que cela suffise d’ailleurs. D’ici le 3 mai, il faudrait, selon le professeur Marius Gilbert, épidémiologiste à la faculté des sciences de l’ULB et membre du groupe fédéral chargé d’élaborer la stratégie de sortie du confinement, être en mesure de proposer au minimum à 40 000 tests par jour. Mais le principe reste de tester les patients présentant des symptômes. Les cas positifs sont rapidement isolés, car contagieux, mais tous ne nécessitent pas une hospitalisation. Où les confiner ? Chez eux ? Ils risquent de contaminer leurs proches, créant ainsi des centaines de foyers épidémiques intrafamiliaux. C’est ce qui s’est passé en Chine, par exemple. Ailleurs ? Des pays européens, l’Espagne en particulier, ont décidé d’ouvrir des structures intermédiaires d’accueil et des hôtels ont été convertis en centres médicalisés. Les malades peu graves y sont accueillis pour une quatorzaine. Aucune précision non plus sur cette question, du moins pour l’instant.

Déconfiner par secteur d’activités s’accompagnerait obligatoirement d’une stratégie plus fine de dépistage.

Si le rythme de tests de dépistage augmente, on pourra alors élargir la liste des personnes à tester.  » Il s’agit de tous les clusters à risque « , signale Yves Coppieters. Soit les personnels soignants, les collectivités et leurs résidents, les personnes ayant peu ou pas de symptômes et les profils à haut risque.  » Il faudra les réitérer tous les cinq à dix jours pour tester à nouveau, dans la mesure où ces tests permettent de déterminer si un sujet est infecté au moment du prélèvement.  »

Quelle durée d’immunité?

Parallèlement aux tests de dépistages, les spécialistes de la santé comptent sur les tests sérologiques. Ceux-là seraient d’abord destinés aux travailleurs fournissant des services essentiels (santé, sécurité, alimentation), ceux qui reprennent le boulot parce qu’il leur est impossible de faire du télétravail et aux personnes les plus à risque. Ensuite, avec l’augmentation de la capacité de diagnostics, ils permettraient de déconfiner progressivement d’autres groupes.  » Leur nombre fera la stratégie « , concède le professeur Yves Coppieters. Par manque de moyens, de plus en plus de pays testent des échantillons de la population pour savoir la proportion d’individus ayant des anticorps.  » Cela permettrait de dire : tel pourcentage des moins de 15 ans est immunisé, et ainsi de suite, par tranche d’âge.  »

Reste que les scientifiques ignorent combien de temps dure l’immunité acquise chez ceux qui ont développé des anticorps. Elle reste encore à déterminer. Ils s’appuient pour cela sur le Sras-CoV-1, dont la durée s’étend sur un à deux ans.  » Mais c’est une bonne nouvelle, commente la professeure Sophie Vanwambeke. Parce que ce temps de protection offre une fenêtre pour trouver un vaccin, mais également une période durant laquelle on peut entamer un déconfinement.  »

Le temps n’étant pas un élément de protection absolue et le dépistage massif n’étant pas au point, c’est dans cette optique que les spécialistes recommandent désormais le recours aux masques pour le grand public, lorsque les mesures de confinement seront graduellement levées. Une question sensible, tant le discours des autorités et des experts a varié. Jusqu’ici, les préconisations ont toujours été guidées par une seule préoccupation : faire en sorte que les masques chirurgicaux et FFP2 soient réservés aux seuls soignants. Mais il a suffi d’une phrase de Sophie Wilmès lors du CNS du 15 avril pour en faire un outil phare de sortie du confinement :  » La population dans sa gestion quotidienne et certainement lors d’un déconfinement doit se protéger au mieux et, pour ça, elle peut utiliser un masque en tissu.  » Il n’y a pas encore de décision ferme concernant une obligation de le porter, ni dans quelles circonstances ni quel sera le public prioritaire.  » Le masque sera utile, oui, mais toujours en complément, jamais en substitut des gestes barrières et de la distance physique « , souligne, comme nombre de ses collègues, Sophie Vanwambeke. Les stocks et les capacités de production à court terme ne seront pas suffisants, la population devra recourir à ces désormais fameux masques  » alternatifs « , principalement ceux en tissu. Et là, ça va dans tous les sens. Des communes ont pris les devants et s’engagent à produire et à fournir des masques en tissu à leurs habitants, quand d’autres réfléchissent encore.

Alors que des examens sont partiellement organisés aux Pays-Bas, chez nous, le retour en classe inquiète les enseignants et les parents.
Alors que des examens sont partiellement organisés aux Pays-Bas, chez nous, le retour en classe inquiète les enseignants et les parents.© GETTY IMAGES

Repérer les foyers épidémiques

A côté des tests, premiers alliés du déconfinement, s’ajoute le second pilier, un processus de traçage social efficace. La technique consiste, une fois un malade identifié, à repérer, tester et isoler par précaution les personnes qui ont été en contact avec lui. Ils permettent de repérer très vite des foyers épidémiques, des quartiers et de s’y attaquer. La méthode se pratique déjà pour d’autres maladies, particulièrement pour la tuberculose, mais sur une plus petite échelle, avec l’aide d’inspecteurs d’hygiène. Dans le cadre d’une épidémie, le traçage ne pourrait intervenir que s’il est pratiqué à grande échelle. C’est pourquoi le gouvernement souhaite proposer un traçage numérique, par le biais d’une application mobile sur smartphone. La Corée du Sud, la Chine ou Singapour, qui l’ont imposée, y voient là leur succès dans la maîtrise de l’épidémie. Chez nous, pas question de la rendre obligatoire. Elle repose sur un engagement volontaire et anonyme. Au-delà des questions éthiques, pour être opérationnelle, cette solution exige cependant l’adhésion des deux tiers de la population, selon des chercheurs de Harvard.  » Cela présume que les personnes les plus à risque soient équipées de l’application. Or, il s’agit des plus de 65 ans qui, précisément, n’ont pas tous un smartphone « , pointe Yves Coppieters. Par ailleurs, de telles solutions supposent évidemment d’avoir des tests diagnostiques en quantité suffisante pour dépister toutes les personnes présentant des symptômes, même légers.

Enfin, tout au long des phases de déconfinement, Erika Vlieghe explique que deux indicateurs guideront les experts et les politiques : le taux de reproduction du virus et le taux d’occupation hospitalière. Pour déconfiner,  » le préalable est de se rappeler la raison du confinement : éviter un engorgement des hôpitaux, notamment des soins intensifs et freiner la pandémie, déclare le professeur Antoine Flahault, professeur de santé publique à l’université de Genève. C’est ce qui doit guider les modalités du déconfinement.  »

Tout l’enjeu sera donc de maîtriser ces deux taux, qui devraient à nouveau augmenter, mais en faisant en sorte que la  » hausse  » se réalise d’une façon lente et acceptable.  » Nous, on identifie les meilleures conditions pour limiter la transmission, conclut la professeure Sophie Vanwambeke. Mais les options mises en oeuvre pour lever les mesures, les éventuelles obligations, les recommandations fortes, les moyens octroyés, ce ne sont pas des questions d’épidémiologistes et de virologues. Ce sont des choix politiques. « 

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