Franklin Dehousse

TikTok et les éternelles incohérences sur la Chine (chronique)

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

La Commission européenne vient d’interdire TikTok sur ses terminaux de communication. La décision, peu commentée, paraît simple et cohérente. A tort.

Le communiqué l’annonçant se limite à vingt lignes. Il ne fournit aucune explication technique, sinon la sécurité informatique, et ne renvoie à aucun document. Encore une illustration de l’opacité des institutions européennes (pour une application massivement utilisée par des centaines de millions de personnes en Europe, et spécialement par sa classe dirigeante). Pire, il existe une agence européenne spécialisée dans la cybersécurité (Enisa). Elle n’indique absolument rien sur son site. La Commission et l’agence, pourtant liées, semblent vivre dans des galaxies différentes.

La coordination avec les autres institutions européennes n’apparaît pas davantage. Le problème de sécurité semble pourtant identique. Mais ces institutions paraissent également vivre dans un autre univers. Heureusement, la presse, elle, fait son travail. Ainsi, le 23 février, le site Politico a indiqué que le Conseil avait adopté des mesures similaires. Néanmoins, le Conseil fait pire encore que la Commission: il n’indique absolument rien aux pauvres citoyens inquiets pour leurs données. Quant au Parlement somnolent, il évaluera et analysera la position de la Commission.

Et les Etats membres? Là aussi, le brouillard règne. Les Pays-Bas ont émis une simple recommandation pour évacuer TikTok des administrations. Ici encore, on voit combien la Commission von der Leyen ne fait ainsi que relayer des propositions émises par ceux auxquels elle devrait en soumettre, comme pour l’achat commun des vaccins, les armements à l’Ukraine ou le contrôle des sanctions économiques. Dans un passé lointain, la Commission était le cerveau de l’Union européenne ; maintenant, elle est seulement sa plus grosse bureaucratie, qui reprend avec lenteur ce que pensent les autres.

En outre, même son communiqué reste ténébreux. Le début des vingt lignes vise les terminaux en général (et donc les ordinateurs), la fin concerne les seuls téléphones mobiles. D’où des équivoques en cascade. Peut-on sérieusement croire, en plus, que TikTok est la seule entreprise chinoise à maltraiter les données personnelles des Européens?

On retrouve ici les incohérences européennes usuelles à l’égard de la Chine. La Commission von der Leyen, téléguidée alors par Angela Merkel, a négocié au forceps un accord sur l’investissement, ensuite froidement abandonné. La Chine a refusé de coopérer ouvertement avec l’Organisation mondiale de la santé sur l’origine du coronavirus. Elle exerce des pressions sur les universitaires européens critiques. Elle a ouvert des bureaux de police secrets dans les Etats membres. La désinformation chinoise sur l’Ukraine coule à flot continu. La Chine a énormément augmenté ses échanges avec la Russie. Maintenant, elle s’apprête à lui livrer des armements. Sur tous ces sujets, on attend toujours des réponses autres qu’une mesure limitée et obscure, comme ici.

Aux Etats-Unis, TikTok a simplement été bannie de toutes les institutions fédérales.

Aux Etats-Unis, zone mieux gérée malgré les délires de Donald Trump, TikTok a simplement été bannie l’an dernier de toutes les institutions fédérales. A Bruxelles, l’Europe, elle, poursuit son petit théâtre de l’insignifiant…

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