Etienne de Calataÿ, cofondateur d’Orcadia Asset Management. © belga image

« Des chèques consommation plutôt qu’une réforme de la TVA »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Pour l’économiste Etienne de Callataÿ, si on rendait la TVA progressive, il faudrait déployer une armada administrative. Des chèques consommation accordés aux plus bas revenus lui paraît plus judicieux et responsabilisant.

Baisser la TVA sur l’électricité, le mazout, etc. n’est pas une bonne idée?

C’est l’exemple parfait de la fausse bonne idée parce qu’elle n’aide pas vraiment les gens qui sont supposés être ainsi aidés et qu’elle envoie un très mauvais signal sur le plan de la lutte climatique. D’un point de vue social, seules quelques énergies ne font pas partie de l’indice santé, c’est le cas des carburants, mais le reste, notamment ce qui concerne l’essentiel des dépenses énergétiques des ménages pour le chauffage et l’électricité, y est bien repris. Mais si on baisse la TVA sur l’énergie, cela empêche l’indexation. Sur le plan environnemental, on sait que moins l’énergie est chère, plus on en consomme.

La proposition du PTB ou de Vooruit d’avoir une TVA réduite permanente ne vous séduit donc pas?

Non. Pour le PTB, la fiscalité indirecte est une fiscalité antiredistributive et il faudrait davantage taxer les revenus, surtout les revenus et le capital des grandes fortunes. Mais on sait que cela ne rapporterait pas suffisamment pour permettre de réduire significativement la TVA. Par ailleurs, fixer la TVA de l’électricité une fois pour toutes à 6% parce qu’il s’agit d’un bien de première nécessité, ce n’est pas non plus recevable. Le textile, taxé à 21%, peut aussi être considéré comme un bien de première nécessité. Tout le monde doit s’habiller.

Comment mieux cibler les aides vers ceux qui en ont le plus besoin?

Par une vraie politique sociale. Il existe plusieurs voies. D’abord, le tarif social, qui est a priori bon sur le plan du ciblage mais de manière imparfaite: les conditions d’accès ne sont pas harmonisées, car elles dépendent souvent plus d’un statut que d’un revenu. Je préfère la solution du chèque: donner une somme d’argent aux personnes à plus bas revenus, sans conditions. Un chèque est plus responsabilisant. Le bénéficiaire peut choisir soit de se chauffer comme avant, malgré la hausse des prix de l’énergie, soit de faire un effort en matière de chauffage pour consacrer le montant à autre chose. Un chèque peut ainsi s’avérer un incitant à réduire sa consommation énergétique.

Il vous paraît donc plus judicieux de voir la TVA comme un impôt précieux pour l’Etat, qui peut notamment permettre de financer des politiques sociales?

Oui. La TVA représente la deuxième grande source de recettes pour l’Etat. C’est un impôt inégalitaire dans son prélèvement, mais s’il permet de financer des transferts sociaux, soit une dépense qui est redistributive, alors la balance s’équilibre. On l’oublie trop souvent mais il faut toujours juger un impôt en regard de ce qu’il permet de financer. Par contre, il existe une expression anglaise qui décrit bien l’effet d’un abaissement de la TVA pour tous: le «carpet bombing». Faire un tel cadeau à tous les niveaux de revenus n’est pas judicieux. Je ne suis pas certain que les héritiers d’Albert Frère en aient réellement besoin.

Je ne crois pas que les héritiers d’Albert Frère aient réellement besoin d’une TVA à 6%.

Et faire de la TVA un impôt progressif, avec différents paliers selon les revenus, est-ce concevable?

Cela serait difficile à mettre en œuvre. Autant taxer davantage les revenus et moins la consommation. Ce serait plus simple. Et puis quoi, chaque fois que vous achèteriez un pain chez le boulanger, celui-ci vous demanderait nonante cents après avoir contrôlé d’une manière ou d’une autre que vous êtes dans telle tranche de revenus, et le client derrière vous, entendant ce prix, saurait à quelle tranche de revenus vous appartenez. C’est délicat.

On pourrait imaginer un système où tout le monde paierait son pain deux euros et la TVA serait rétrocédée à la fin du mois pour les plus bas revenus…

OK, mais, pour cela, il faudrait déployer une armada administrative, ce qui ne semble pas pertinent. Une autre piste, a priori plus intéressante et «responsabilisante», serait la taxation progressive de l’énergie consommée. On paierait moins de TVA sur les premiers mille litres de mazout que sur les suivants. Mais il y a ici aussi des biais. Si j’habite dans une grande ville et que je passe mes week-ends dans ma maison de campagne, j’apparaîtrai, de chaque côté, comme un petit consommateur. Serait-il logique que je bénéficie des deux côtés d’une TVA réduite? On pourrait coupler les factures, mais, à nouveau, ce serait administrativement compliqué.

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