Au parlement wallon, la caisse de retraite est un problème «insolvable» depuis des années. © BELGA

25 millions pour sauver les retraites des députés wallons: les dessous d’un renflouement discret (info Le Vif)

Clément Boileau Journaliste
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Sous cette législature, chaque année, le Bureau du parlement wallon a discrètement et dans l’urgence octroyé des subsides «exceptionnels» pour sauver la caisse de retraite menacée d’insolvabilité, d’après divers documents épluchés par Le Vif. Le total pourrait avoisiner les 25 millions d’euros.

Fin mai 2018. Alors que la fin de la précédente législature approche, les résultats d’une étude menée tous les deux ans pour évaluer la solvabilité de la caisse de retraite des députés wallons atterrit sur la table du parlement régional. La routine, ou presque. A l’époque, la caisse en question, logée dans une asbl gérée par les membres du Bureau de l’institution, a pour administrateurs principaux André Antoine (Les Engagés), également à la tête du parlement depuis 2014, et Frédéric Janssens, le greffier du Bureau depuis 2009. Sauf que le contenu est, cette fois, explosif: les comptes sont dans le rouge, selon Ethias, qui gère ce fonds de pension et chiffre le déficit à 45 millions d’euros à l’horizon 2035. Une estimation, en fait, très optimiste: le cabinet Deloitte est consulté également et jauge, pour sa part, que le manque à gagner se situe plutôt entre 72 et 84 millions d’euros.

La caisse de retraite des députés wallons n’est pas soutenable.

Extrait d’un procès verbal du Bureau du parlement, fin 2018.

Dans les deux cas, peut-on lire dans cette note adressée au Bureau et que Le Vif a pu examiner, «le taux de couverture est mis en péril à très court terme». Si rien n’est fait, «les réserves de la caisse de retraite s’épuiseront à une échéance rapprochée». Le jour même de la présentation de ces études, une réunion de la conférence des présidents acte une situation «grave» et «l’impossibilité de dégager une solution», commente un PV, également consulté par Le Vif. Conclusion sans appel du Bureau ce jour-là: «La caisse de retraite des députés wallons n’est pas soutenable.» La course au cash pour renflouer les caisses de l’asbl, déjà bien entamée, prend un nouveau virage…

Du cash, dans l’urgence

Le changement de législature en 2019 et les différentes mesures entreprises n’arrangent pas grand-chose: en mars 2021, deux nouveaux rapports d’Ethias et Deloitte évaluent le déficit entre 78 et 84,6 millions d’euros. Et alertent, encore, sur une «mise en péril à très court terme» du taux de couverture des pensions. Cette seconde estimation retentit tel un signal d’alarme aux oreilles des membres du Bureau du parlement. Lesquels vont illico «verser un subside exceptionnel de deux millions d’euros» à l’asbl, constatent après coup les vérificateurs des comptes du parlement dans un rapport. Pas de quoi redresser la barre. Deloitte émet alors un conseil au Bureau: le versement annuel, pendant 20 ans, d’une «subvention exceptionnelle» de 4,2 millions d’euros. Voire plus, si possible.

Mis au parfum des estimations de Deloitte, nos confrères de La Libre éventent, début 2023, ces conclusions. Un déficit «abyssal», écrivent-ils, notant que le parlement a bien voté ce subside annuel «exceptionnel» de quatre millions d’euros préconisé par Deloitte. Le problème? Rien n’apparaît dans le budget 2023, s’étonnent nos confrères, déduisant qu’«aucun versement exceptionnel n’aurait été versé à la caisse de retraite des députés wallons» lors de cette législature.

Une décision déjà actée

En réalité, ce versement «exceptionnel» – voire plus – a été acté avant même la présentation de la seconde étude auprès du Bureau du parlement en mars 2021. A savoir dès 2020, d’après un PV que Le Vif a pu consulter. Quatre millions d’euros, renouvelés fin 2021, si l’on en croit un autre PV. Auxquels il faut ajouter deux millions en 2021, mais aussi en 2022 selon une note du contrôle budgétaire du parlement, où les sommes évoquées dans les différents PV se retrouvent détaillées.

Ainsi, d’après les comptes de dépense, pour l’exercice 2020, la caisse a été gratifiée de 4.531.940,55 euros en subsides. Dès 2021, on passe à 6.213.577,55 euros. Pour 2022, rebelote, ou presque: la caisse est renflouée à hauteur de 6.217.168 euros. En 2023, au moins quatre millions ont atterri sur le compte de la caisse d’après le Bureau actuel. Pour 2024, le montant alloué sera connu fin mai – il pourrait là aussi avoisiner les quatre millions d’euros. Total probable: près de 25 millions d’euros sur l’ensemble de la législature.

Après le scandale du greffier Janssens au parlement wallon et la révélation concernant le déficit «abyssal» de la caisse en 2023, le nouveau Bureau avait annoncé faire le point sur la question, à travers notamment une commission de comptabilité. Mais celle-ci n’est apparemment pas chargée d’examiner le budget et les comptes de la caisse, qui est une asbl, rappelle le Bureau, chiffrant pour sa part à quatorze millions le total des subsides reçus par la caisse au cours de la présente législature.

Un peu de gêne, mais ça passe

Ce déversement régulier d’argent public dans les caisses exsangues de l’asbl a un peu gêné aux entournures au sein de l’ancien Bureau (avant la démission générale qui a suivi l’affaire du greffier Frédéric Janssens). Manu Disabato (Ecolo), en particulier, déjà mal à l’aise en 2020, quand, en pleine crise du Covid, la dotation au parlement a été revue aux fins de renflouement de la caisse, d’après un PV que Le Vif a pu lire. Idem fin 2021, quand Disabato dit «entendre que le parlement prend à sa charge une partie du déficit de l’asbl», mais estime que «les parlementaires pourraient également en prendre une part». Et propose par exemple que «le produit de la prochaine indexation de l’indemnité parlementaire soit versé à l’asbl». Il va, sur ce point, faire face à un front compact et déterminé à ne rien lâcher.

Le Bureau doit faire face aux conséquences d’une gestion passée qui lui impose de veiller à la solvabilité de l’ASBL.

Jean-Claude Marcourt (PS), ancien président du Parlement, fin 2021.

Ainsi Jean-Claude Marcourt (PS), président jusqu’en décembre 2022, contraint à démissionner après le scandale des dépenses du Bureau, rétorque que celui-ci «doit faire face aux conséquences d’une gestion passée qui lui impose de veiller à la solvabilité de l’asbl». Et fait valoir que, «ces dernières années, le statut des parlementaires a été fortement revu à la baisse, notamment pour ce qui concerne les pensions de retraite». Bref, il est «réticent», indique le PV. Tout comme Jacqueline Galant et Sybille de Coster-Bauchau, les deux représentantes MR du Bureau, l’une trouvant la vision de Disabato «simpliste», l’autre ne voulant tout bonnement pas toucher aux indemnités parlementaires.

Consulté, le greffier Frédéric Janssens enfonce le clou, précisant que «les députés wallons se voient appliqué le taux de cotisation le plus élevé […]». Ce jour-là, la routine budgétaire suit donc son cours: le Bureau inscrit annuellement dans le budget du parlement une subvention complémentaire de quatre millions d’euros à la caisse de retraite des députés wallons. Et s’engage à «continuer à dégager des subventions supplémentaires dès que les finances du parlement le permettent». Celles-ci semblent bien l’avoir permis.

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