Le ministre-président wallon Elio Di Rupo (PS) a envoyé un courrier à Alexander De Croo pour demander la régularisation des sans-papiers © belga

Comment les sans-papiers peuvent aider la Belgique à atteindre un taux d’emploi de 80%

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Les pénuries dans certains métiers sont telles que la Région wallonne demande au gouvernement fédéral une régularisation des sans-papiers. Alors que la proposition n’est pas vue d’un bon oeil par tous les partis politiques, le spécialiste de la migration Marco Martiniello (ULiège) et le directeur du Crisp Jean Faniel estiment qu’elle serait profitable pour la Belgique.

Régulariser les sans-papiers pour augmenter la main d’œuvre des métiers en pénurie. C’est ce que proposent la ministre wallonne de l’Emploi Christie Morreale et le ministre-président wallon Elio Di Rupo (PS). Une proposition présente dans un courrier cosigné par les deux socialistes, que le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) a découvert fin juillet dans sa boite aux lettres du 16, Rue de la Loi. Et dont nos confrères de L’Echo ont pu prendre connaissance ce mercredi.

« Cette proposition n’est pas neuve, rappelle le spécialiste de la migration Marco Martiniello (ULiège). Pendant la crise sanitaire, des infirmières sans-papiers ont proposé leurs services pour aider le personnel des soins de santé, qui était débordé ». « Les sans-papiers et les demandeurs d’asile bénéficient d’un soutien important de la part du monde associatif et des syndicats, complète le directeur du Crisp Jean Faniel. Il y a une mobilisation de fond, surtout au sud du pays, notamment dirigée vers Christie Morreale. Que cette demande soit également partagée par le leader politique d’une région peut davantage étonner ».

L’objectif des socialistes est donc de régulariser les sans-papiers présents sur le sol belge, afin d’augmenter la main d’œuvre dans les métiers en pénurie. « Une telle mesure peut permettre d’augmenter le taux d’emploi, pour se rapprocher des objectifs que le fédéral s’est fixés (un taux d’emploi de 80% d’ici 2030, NDLR) », estime encore Jean Faniel.

Une solution pour les métiers en pénurie

Marco Martiniello (ULiège), spécialiste de la migration © ULiège

En Région wallonne, il y a 92 métiers en pénurie (médecin, électricien, chauffeur poids lourd…), d’après le Forem. « Le taux de chômage recule depuis trois ans malgré ces pénuries, continue le politologue. Elles concernent des secteurs comme l’Horeca et la construction, habitués au travail au noir et aux travailleurs clandestins ».

« Ce serait bénéfique pour les employeurs que les compétences de ces personnes soient valorisées sur le marché du travail »

Marco Martiniello (ULiège), spécialiste de la migration

Si l’idée séduit sur papier, elle fait face à plusieurs écueils. C’est d’ailleurs l’objet du courrier envoyé par Christie Morreale et Elio Di Rupo à Alexander De Croo. Si la Région wallonne possède les compétences pour délivrer les permis de travail, c’est bien le fédéral qui s’occupe de délivrer les titres de séjour. Et sans autorisation de séjour sur le sol belge, pas de possibilité de travailler pour ces sans-papiers qui viennent au-delà des frontières européennes. D’où la demande des élus socialistes de simplifier la législation fédérale sur les titres de séjours, afin de permettre aux sans-papiers d’obtenir un permis de travail plus facilement.   

« Même si elles n’ont pas de papiers ou de permis de travail, ces personnes sont présentes sur notre territoire et demandent à travailler, explique Marco Martiniello. Quand on connait le nombre d’offres d’emploi qui ne trouvent pas preneur… Ce serait bénéfique pour les employeurs que les compétences de ces personnes soient valorisées sur le marché du travail. »

La régularisation des sans-papiers: une nécessité économique niée par certains politiques

Jean Faniel, directeur du Crisp

La situation économique s’est à ce point dégradée que le Voka – association des patrons flamands – songerait à se tourner vers la main d’œuvre étrangère pour pallier les pénuries de certains métiers. Les chefs d’entreprise cherchent désespérément des travailleurs, alors que le monde politique bloque le débat. « Globalement, les partis francophones adoptent une approche positive de la migration, analyse Jean Faniel. Il en est tout autre des partis flamands, qui voient plutôt les migrants comme un problème. Pour qu’une nouvelle vague de régularisations ait lieu, il faudra que les partis francophones parviennent à convaincre le CD&V (qui possède le portefeuille de l’Asile et de la Migration via la secrétaire d’Etat Nicole De Moor) ».

« Certains électeurs de la N-VA et du Vlaams Belang soutiennent la régularisation des sans-papiers »

Jean Faniel, directeur du Crisp

« Le prédécesseur de Nicole De Moor (Sammy Mahdi, actuel président du CD&V) ne voulait pas en entendre parler, déplore Marco Martiniello. Et elle non plus, visiblement. La question de la régularisation des sans-papiers n’a pas été mise à l’ordre du jour sous cette législature, alors que la demande de la société civile est forte. Et attention : une régularisation n’est pas forcément massive. »

Donner un travail aux sans-papiers? La plupart des Belges sont d’accord

Dans un sondage réalisé en novembre 2022 par Le Vif et CNCD-11.11.11, la majorité (54%) de la population belge se disait favorable à « la régularisation et à l’octroi d’un permis de travail aux personnes sans papiers résidant en Belgique depuis au moins cinq ans et ayant prouvé leur intégration ». L’opinion publique flamande, contrairement à ce que prétendent la N-VA et le Vlaams Belang, n’y est donc pas majoritairement opposée. « Les résultats de ce sondage nous apprennent qu’une partie de l’électorat des deux formations politiques soutient la régularisation des sans-papiers, précise Jean Faniel. Il y a un changement de perception qui s’amorce dans l’opinion publique. » Même si les résultats avaient quelque peu été influencés par le soutien affiché aux réfugiés ukrainiens qui avaient fui la guerre dans leur pays.

Si la population belge est favorable à une nouvelle vague de régularisation des sans-papiers, pourquoi certains partis politiques continuent d’adopter une ligne dure vis-à-vis de la migration ? « Ils brandissent le phénomène d’appel d’air (selon lequel les migrants choisiraient leur pays d’arrivée pour sa richesse), mais aucune étude scientifique n’a jamais validé cette théorie », indique Jean Faniel. Au contraire, une récente étude a démonté la théorie de l’appel d’air.      

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