Pierre-Yves Dermagne
Pierre-Yves Dermagne © Belga

Le taux d’emploi à 72,3%, une bonne nouvelle?

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Ce dimanche, à la grande satisfaction du ministre de l’Emploi et de l’Économie Pierre-Yves Dermagne (PS), l’Office de Statistique Statbel annonçait que le taux d’emploi en Belgique avait grimpé à 72,3%. « Cela ne signifie pas nécessairement que la réalité sur le marché du travail s’améliore », met en garde Thierry Dock, économiste et enseignant à l’UCLouvain et à la Haute École Louvain en Hainaut.

Le taux d’emploi représente le pourcentage de personnes occupées parmi la population totale âgée de 20 à 64 ans, rappelle Statbel. Si cette tendance à la hausse se poursuit au même tempo, la Belgique devrait atteindre un taux d’emploi de 80% d’ici 2030, s’est réjoui Pierre-Yves Dermagne, évoquant un résultat « exceptionnellement fort » étant donné la pandémie, les inondations de l’été 2021, la guerre en Ukraine et la crise de l’énergie.

Le MR et la N-VA ont promptement douché l’optimisme du ministre socialiste. « Ce que nous connaissons n’est rien d’autre que l’effet d’un rattrapage post-covid et un effet du vieillissement de la population qui réduit le nombre de chômeurs sans nous permettre de rejoindre la moyenne européenne. A nos yeux, il y a plutôt lieu de s’inquiéter. Nous avons conclu un premier jobdeal avec ce gouvernement, mais il n’est pas suffisant. Il nous faudra un jobdeal 2 qui soit une véritable réforme du marché de l’emploi qui remet des chômeurs au travail », a déclaré le ministre des Classes moyennes, des Indépendants, des PME David Clarinval (MR).

« Il n’y a pas de quoi se réjouir », a renchéri, graphique à l’appui, le président des libéraux francophones, Georges-Louis Bouchez en faisant remarquer que l’écart de la Belgique avec la moyenne européenne s’était encore creusé. « Notre amélioration est purement conjoncturelle. »

Le chef de groupe des nationalistes flamands, Peter De Roover, partage cet avis. « Aujourd’hui, il y a 1,4 million de bénéficiaires d’allocations en âge de travailler, dont 300.000 chômeurs. Pour ne pas stagner à un pourcentage de 74-75%, des réformes structurelles dignes de ce nom sont nécessaires sur le marché du travail et dans notre système d’allocation », a-t-il souligné.

Un indicateur en termes de quantité

Thierry Dock (UCLouvain) rappelle que le taux d’emploi représente effectivement un enjeu important pour l’économie. « Derrière la question du taux d’emploi, il y a la question de la politique du financement des prestations sociales et des pensions. Et donc c’est vrai qu’il y a un enjeu à pouvoir le développer », explique-t-il.

S’il peut paraître élevé, ce taux de 72,3% cache une réalité moins rose. « Il y a des éléments essentiels relatifs à la qualité que n’exprime pas le taux d’emploi. C’est un pur indicateur en termes de quantité, et pas en équivalents temps plein. Il y a une toute une série de femmes par exemple qui accèdent au marché de l’emploi, mais qui ne peuvent le faire qu’à temps partiel. Ces emplois ne sont bons ni pour leur sécurité ni pour leur qualité de vie », déclare-t-il.

Cependant, globalement ce taux d’emploi est une bonne nouvelle, estime Thierry Dock. Les chocs induits par l’inflation sur le fonctionnement de l’économie auraient pu peser lourdement sur l’emploi, et ce n’est pas le cas. Certaines mesures mises en place par le gouvernement, notamment la protection du revenu, et le maintien de l’indexation du salaire automatique ont joué un rôle d’amortisseur important. « Cela signifie qu’il y a des amortisseurs sociaux qui existent, qui sont importants et qui permettent en cas de conjoncture socio-économique moins bonne de limiter la casse, d’éviter des chocs et d’importantes augmentations du chômage ou contractions de l’emploi », explique-t-il.

Au sein du bloc de l’UE, seules la Grèce (66,2%), l’Espagne (69,5%), la Croatie  (70,5%), l’Italie (65,5%) et la Roumanie (68,5%) enregistrent un taux d’emploi plus faible que la Belgique, selon les chiffres d’Eurostat. En Allemagne et aux Pays-Bas, le taux est même supérieur à 80%. « Les Pays-Bas ont un taux d’emploi qui a l’air impressionnant, mais lorsqu’on le corrige pour calculer le taux d’emploi équivalent en temps plein, on se rend compte qu’il n’est pas si bon », nuance Thierry Dock.

Un taux d’emploi à 80% en 2030?

Quant à l’objectif d’un taux d’emploi de 80% pour 2030, « à portée de main » d’après les dires de Pierre-Yves Dermagne, il ne sera pas atteint à n’importe quel prix, met en garde l’économiste. « Il y a de plus en plus de pression sur certaines personnes pour qu’elles reprennent un emploi, et là se posent une série de questions de valeurs », explique-t-il.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit impossible d’augmenter le taux d’emploi, particulièrement pour certains groupes de la société. « Là, il y a vraiment des efforts à fournir qui reposent sur la mise en place de politiques ajustées. Par contre, attention à ne pas mettre des pressions supplémentaires sur des personnes qui en ont déjà subi beaucoup, et qui sont en non emploi parce qu’elles ont été victimes de la pression au travail dans leur job précédent. Un travail qui n’a pas de sens ne porte pas de fruits sur la durée. Il est essentiel de prendre en considération la qualité et le sens du travail», souligne l’économiste.

(Avec Belga)

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