En 2024, le budget du Sénat devrait encore augmenter

Sénat: la fin des privilèges à tout-va cet été? « Un sénateur coopté gagne 4200 euros net par mois »

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

La présidente du Sénat veut le supprimer et a consulté les partis en ce sens. L’assemblée, gouffre financier et coquille vide selon certains, est de retour à l’agenda des débats politiques.

Sur le plateau de VTM, Stéphanie D’Hose (Open Vld) a déclaré qu’elle déposera une proposition de suppression du Sénat avant l’été. La libérale flamande souhaite « que les citoyens puissent s’exprimer à ce sujet lors des prochaines élections ». La présidente de l’assemblée a discrètement sondé les partis politiques et affirme qu’il en ressort « une grande unité de vue ».

Pour Jérémy Dodeigne, politologue au sein de l’UNamur, supprimer l’institution serait une occasion manquée pour la classe politique. « Il faut plutôt revoir son champ de compétences pour incarner l’enjeu démocratique du 21e siècle, à savoir la participation citoyenne. Mais on voit que pour l’instant personne ne saisit cette opportunité, à commencer par Stéphanie D’Hose elle-même, qui scie la branche sur laquelle elle est assise ». Que la question de la suppression du Sénat resurgisse à un an des élections n’est sans doute pas dû au hasard. Certains estiment qu’en plus d’être devenue inutile, l’assemblée coûte trop cher à la collectivité.

Le Sénat, trop coûteux ?

Le Sénat est financé quasi uniquement par une dotation publique. Depuis la sixième réforme de l’Etat, qui a considérablement restreint le champ d’action de la chambre haute, le montant de la dotation n’a fait que baisser, passant de 64,4 millions d’euros en 2014 à 39,6 millions d’euros en 2021. Mais depuis, elle augmente à nouveau : 40,75 millions d’euros en 2022, 41 millions d’euros en 2023 et même 43,1 millions d’euros en 2024.

Il est difficile de faire des économies sur le dos du Sénat

Jean Faniel, directeur du Crisp

Malgré une réduction importante du personnel statutaire (passé de 289 à 170 depuis 2014), l’indexation automatique des salaires et les indemnités de départ accordées par l’institution gonflent les dépenses et, avec elles, la dotation publique du Sénat. Pour réaliser les efforts budgétaires demandés par le gouvernement, il a entre autres été décidé de mettre fin au financement de la Caisse de retraite des sénateurs (équivalant à 4,3% du total des dépenses) lors de la prochaine législature. En 2024, le Sénat sera renouvelé dans la foulée des élections, marquant le départ de nombreux sénateurs de l’assemblée. Le montant des indemnités de départ devrait donc tourner autour d’1,5 million d’euros. À titre de comparaison, ce montant s’élève à 120.842€ en 2023 (!).

« Il est difficile de faire des économies sur le dos du Sénat, souligne Jean Faniel, directeur du Crisp, le Centre de recherche et d’information socio-politique. Une bonne partie du personnel est statutaire. On ne peut pas tous les licencier du jour au lendemain. Par contre, on pourrait réallouer ce personnel à celui de la Chambre ».

C’est bien là le fond du gouffre financier. Le personnel statutaire (47% du budget), et le personnel politique (25% du budget), sont les postes de dépense les plus importants du Sénat. Sont compris dans le personnel politique les 10 sénateurs cooptés, leurs collaborateurs, les présidents des groupes politiques et les présidents de commission. Le salaire des 50 autres sénateurs est payé par les assemblées parlementaires dont ils sont issus (parlements wallon, de la Fédération Wallonie-Bruxelles, bruxellois, flamand ou de la Communauté germanophone). Si ceux-ci gagnent environ 7500€ net par mois, leurs collègues cooptés en gagnent une bonne moitié. « Grosso modo, un sénateur coopté gagne 4200€ net par mois », précise Jean Faniel.

Le Sénat belge : entre rendez-vous des privilégiés et vitrine des entités fédérées

En plus d’une ardoise chargée, le Sénat a contre lui d’incarner les privilèges de la classe politique. Historiquement, l’institution représente la chambre parlementaire réservée à l’élite, rappelle Jérémy Dodeigne. « Pour y accéder, il fallait auparavant avoir un âge minimal. Les sénateurs sont censés tempérer les ardeurs de la chambre basse (les différents parlements régionaux et communautaires, ndlr) et représenter les intérêts des entités fédérées sur la scène nationale ».

Georges-Louis Bouchez cumule sa fonction de président du MR avec un mandat de sénateur coopté

La Belgique, précise le politologue, a adopté un modèle hybride. « La cooptation de certains sénateurs maintient cet esprit de privilège, en même temps qu’une logique toujours plus tournée vers les entités fédérées ». Alors que les débats éthiques déchainaient les passions des sénateurs par le passé, la donne semble avoir bien changé. « Depuis la 6e réforme de l’Etat, le pouvoir décisionnel du Sénat a été réduit à peau de chagrin, déplore Jérémy Dodeigne. L’assemblée dispose de moins de compétences et très peu de débats sont menés ». Ce qui réduit considérablement le nombre de réunions et la charge de travail des sénateurs…

Quel rôle à l’avenir pour l’institution ?

Au sujet de l’avenir du Sénat, ce sont les mots concertation, coopération et coordination qui résonnent dans la bouche des partis francophones. Pas celui de suppression, avancé par Stéphanie D’Hose. « Nous n’avons jamais discuté de cette éventualité en interne, affirme le sénateur Philippe Courard (PS). Cette suppression n’est pas une réalité politique, mais la volonté de la présidente du Sénat. Le PS veut faire évoluer le Sénat, en allant vers plus de participation citoyenne ». Ecolo va encore plus loin et propose d’en faire une assemblée citoyenne tirée au sort.

Cette suppression n’est pas une réalité politique, mais la volonté de la présidente du Sénat

Philippe Courard (PS), sénateur

Du côté du MR, on aimerait que le Sénat devienne une chambre de réflexion plus large, et qu’il incarne l’assemblée parlementaire des membres du Codeco. Un souhait partagé par les Engagés, qui veulent une meilleure coordination de la politique entre le fédéral et les entités fédérées, et DéFi, qui estime que le Sénat pourrait devenir « le lieu de concertation de la Belgique fédérale et la pièce manquante du fédéralisme belge ». Enfin, pour le PTB, le futur Sénat doit ressembler au Conseil fédéral allemand, où « des discussions entre les Landers permettent de régler les problèmes de compétences et renforcent la coopération régionale ».

Avant de toucher au Sénat, il faudra changer la Constitution, et vraisemblablement passer par une nouvelle réforme de l’Etat. Fumée blanche en 2024 après les élections ? Le feu couve en tout cas dans l’enceinte du Sénat.

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