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Signes convictionnels, l’embarras XXL: « Vu l’enjeu, le fédéral pourrait reprendre la main »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le port de signes convictionnels dans l’administration publique rejailli au centre du débat politique, après l’adoption d’une motion d’Ecolo à Anderlecht. La question de la neutralité de l’Etat, dont la sensibilité est démultipliée en période électorale, pourrait prendre une toute autre ampleur. « Tout dépend de la manière dont les choses vont rebondir au niveau régional », estime le politologue Pierre Vercauteren.

Ecolo est content. Le PS satisfait. Les Engagés sont (en partie) pour mais en colère. Le MR et DéFi sont (totalement) contre et en colère mais étaient absents pour les premiers et se sont abstenus pour les seconds (avant de finalement voter contre). Le moins que l’on puisse écrire est que la motion portée par Ecolo, visant à autoriser le port de signes convictionnels dans l’administration publique à Anderlecht, a connu son lot de bizarreries lors du dernier conseil communal.

« Je suis contente d’avoir pu susciter le débat et d’avoir franchi un cap pour plus d’inclusion des personnes qui porte un signe convictionnel, se félicite la co-présidente d’Ecolo Rajae Maouane, dans la DH. Notre objectif reste de permettre à un certain nombre de femmes de pouvoir travailler ».

La motion a été adoptée telle qu’amendée par le PS, qui réduit la proposition initiale d’Ecolo. Le conseil communal approuve ainsi « le principe d’autoriser le port des signes convictionnels dans l’administration à l’exception des fonctions qui comportent une notion d’autorité et sont en contact avec le public. »

Signe convictionnels : un débat plus sensible en période électorale

La question des signes convictionnels dans l’administration publique « ouvre un débat délicat qui rebondit épisodiquement, dont les paramètres évoluent en fonction de l’époque ou du contexte, et pour lequel il n’y a pas de vérité absolue, mais un équilibre à trouver en fonction des circonstances, cadre le politologue Pierre Vercauteren (UCLouvain). Le débat est extrêmement sensible en tant que tel, mais il s’amplifie en période électorale ».

Jeudi, Anderlecht est donc devenue la première commune bruxelloise (et francophone) à légiférer dans ce sens. François De Smet, président de DéFi, fustige. « C’est un signal déplorable et un échec terrible pour la neutralité, la laïcité et le vivre-ensemble. DéFI combattra la révision de ce règlement de travail. Il est encore possible d’éviter cette brèche irrémédiable contre la neutralité de l’Etat. Ce qui vient de se produire, avec une majorité alternative incluant le PTB, dans un contexte de menaces et de tensions, est un précédent grave qui aura des conséquences durables », s’inquiète-t-il.

 DéFI condamne en particulier l’attitude d’Ecolo, qui a joué les apprentis sorciers en agitant de manière inutile les tensions identitaires.

François De Smet

« DéFI condamne en particulier l’attitude d’Ecolo, qui a joué les apprentis sorciers en agitant de manière inutile les tensions identitaires, en troublant le vivre-ensemble de la commune et en ayant créé un climat qui a mis en danger des élus », dénonce-t-il encore.

Au moment du vote, pourtant, surprise : le parti démocrate fédéraliste s’abstient. « Une erreur d’enregistrement qui a été corrigée », selon son président, « une rétractation deux heures après », selon d’autres…

Signes convictionnels : menaces et instrumentalisation

En amont du vote, jeudi soir, plusieurs élus ont reçu des menaces anonymes, visant à les pousser à voter en faveur du texte. Une vidéo a également largement circulé sur Whatsapp, détaillant le vote présumé de chaque échevin. Maxime Prévot, président des Engagés (qui ont adopté la version amendée de la motion), déplore. « Aucun débat ne peut justifier la moindre menace à l’égard des élus à Anderlecht. La tête de ceux-ci n’a pas à circuler dans une vidéo pour faire pression. À force d’instrumentaliser de manière pernicieuse des enjeux de société à une encablure des élections, on génère des tensions inutiles et on fait le lit des extrêmes. Ecolo doit réagir pour éviter ces débordements inacceptables. »

« L’obsession communautariste d’Ecolo détruit méthodiquement notre modèle universaliste de société et crée une autoroute à l’extrême droite et aux islamistes, ajoute le député Georges Dallemagne (Les Engagés). Il est temps d’arrêter cette folie qui disloque et antagonise les populations de notre pays. »

L’obsession communautariste d’Ecolo détruit méthodiquement notre modèle universaliste.

Georges Dallemagne

Des revendications du député centriste qui dénotent avec la position finale des Engagés à Anderlecht, eux qui ont donc voté en faveur de la motion amendée. La tête de liste à la Chambre Elisabeth Degryse s’est d’ailleurs vue contrainte de préciser la position du parti au lendemain du vote. « Cela montre le malaise que la question crée au sein de chaque parti, estime Pierre Vercauteren. Il est sans doute nécessaire que du temps soit pris en interne avant de sortir une position commune. Sans cela, on risque encore d’observer des attitudes flottantes. Certains ne s’étaient simplement pas préparés à ce genre de débat et sont pris de court. »  

La neutralité , « une garantie essentielle d’impartialité de l’Etat »

Georges-Louis Bouchez, président du MR, estime quant à lui que la gauche a porté atteinte à un principe fondamental de notre démocratie, à savoir le principe de neutralité. « Pour des raisons électorales, Ecolo a déposé un texte, sans aucune concertation, en vue d’autoriser le port de signes convictionnels dans l’administration. Des débats extrêmement houleux ont ensuite conduit à des menaces de mort. Cette situation illustre un élément majeur : en renonçant au principe de neutralité, nous nous retrouvons dans une société où des communautés luttent les unes contre les autres, et où l’utilisation de la religion à des fins politiques provoque des tensions entre les citoyens. »

La neutralité de l’Etat est le seul moyen de garantir un vivre-ensemble harmonieux.

Georges-Louis Bouchez

Pour le président libéral, « la neutralité de l’Etat est le seul moyen de garantir un vivre-ensemble harmonieux, où chaque individu est respecté. Avec une représentation de l’Etat qui n’a ni religion, ni conviction politique apparentes. Le MR se bat pour préserver cette séparation entre l’Etat et la religion. Voter pour la gauche, c’est faire le choix du communautarisme et de la division. Le MR déposera un recours face à la décision prise au Conseil communal. »

Le Centre d’Action Laïque regrette également cette approbation et « réaffirme avec force et vigueur que la neutralité de tous les agents est une garantie essentielle d’impartialité de l’Etat et de l’égalité de traitement des usagers d’un service public. Comme l’a indiqué la Cour de Justice de l’Union européenne, un règlement communal interdisant le port des signes convictionnels par les agents n’est pas discriminatoire. »

Signes convictionnels : le débat étendu au fédéral ?

L’ASBL salue en revanche l’appel fait par le conseil communal à une législation régionale en matière de signes convictionnels. « Il est en effet impensable qu’un tel débat se règle au cas par cas, commune par commune, institution par institution, au gré des majorités politiques ou des jurisprudences successives allant tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. »

Pour Pierre Vercauteren, le débat pose en effet la question de l’autonomie communale et jusqu’où elle peut s’étendre. « A partir du moment où la Région exerce une tutelle sur l’autorité communale, c’est à la première de prendre attitude à cet égard. On peut également se poser la question, vu l’enjeu, si le fédéral ne devrait pas reprendre la main. Par exemple dans le cadre d’un comité de concertation. »

Au vu de sa forte valeur symbolique, il est difficile d’imaginer que le sujet reste cantonné à la seule commune d’Anderlecht. 

Pierre Vercauteren, politologue

Quant à savoir si l’épisode anderlechtois créera ou non un précédent important sur la neutralité de l’Etat, « tout dépend de la manière dont les choses vont rebondir au niveau régional », estime Pierre Vercauteren. «Soit on considère que la question est très spécifique à certaines communes, soit qu’elle est plus générale, auquel cas on pourrait voir les débats prendre une toute autre ampleur. Au vu de sa forte valeur symbolique, il est difficile d’imaginer que le sujet reste cantonné à la seule commune d’Anderlecht. »

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