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Deux ans de Covid mais dix avancées pour la science

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Immunologie, pneumologie, cardiologie, pédiatrie… La recherche scientifique et l’expérience de la pandémie ont donné lieu à de grandes avancées dans plusieurs domaines. De bonnes nouvelles bienvenues après deux ans de crise sanitaire.

Deux ans d’angoisse, de sacrifices et de deuils impossibles. Deux ans que le Sars-CoV-2 est entré dans nos vies, nous obligeant parfois à considérer les êtres qui nous entourent comme une menace pour notre santé, à envisager le pire semaine après semaine et à douter de tout, même de la science. Pourtant, combien de vies n’ont-elles pas été sauvées grâce à elle? Confrontée à une crise sanitaire – qui plus est, planétaire – inédite, la communauté scientifique a démontré que, lorsqu’on lui en donne les moyens, elle est capable de réaliser de véritables exploits et de faire avancer la recherche à une vitesse inégalée.

Impossible de dresser une liste exhaustive de toutes ces découvertes majeures, tant elles sont nombreuses. Nous avons donc demandé à ces chercheurs et à ces médecins qui, depuis le début de la pandémie, étudient le virus et soignent dans les hôpitaux ce qu’elle leur a appris.

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1. Vaccins: de dix ans à dix mois

Le 11 janvier 2020, la Chine publie un premier séquençage du nouveau type de coronavirus détecté à Wuhan. Dès le printemps, les principales firmes pharmaceutiques lancent leurs essais cliniques.Elles optent pour la technologie de l’ARN messager. Fin décembre 2020, l’Agence européenne des médicaments (EMA) donne son feu vertau sérum produit par Pfizer-BioNTech. Alors que la conception d’un vaccin prend généralement une dizaine d’années, les premières doses sortent des laboratoires dix mois seulement après l’apparition du virus. L’exploit est inédit.

Pour le virologue de l’Institut Rega de la KULeuven, Johan Neyts, si le développement des vaccins à ARN messager représente l’avancée la plus remarquable liée à l’émergence de la Covid, c’est surtout grâce au travail acharné des chercheurs qui ont développé cette technologie au cours des dernières décennies. « Ce n’est que parce que la technologie était prête à temps pour cette pandémie, et que Pfizer et Moderna contrôlaient également la fabrication à grande échelle, que des milliards de personnes ont été vaccinées seulement un an après l’identification du virus. »

Pas parfaits

Des vaccins jugés efficaces et fiables mais qui ne sont pas parfaits. « Le strict respect de la chaîne du froid complique grandement la logistique dans les pays à revenus faibles ou inter – médiaires, comme les régions tropicales et subtropi – cales. De plus, l’immunité ne dure pas très longtemps. Par conséquent, il faudra des vaccins de deuxième génération dotés d’une réponse immunitaire de longue durée et ne nécessitant pas de chaîne du froid stricte ».

2. Prévenir plutôt que guérir

« Cela fait des années que les virologues tentent d’alerter le monde sur le fait que près de huit milliards de personnes pourraient être très vulnérables à de nouveaux virus. Mais rien, ou presque, n’a été fait pour protéger l’humanité, alors que des milliers de milliards de dollars ont été investis dans des équipements militaires pour que les Etats puissent se protéger contre d’autres Etats, dénonce Johan Neyts, qui relève des erreurs stratégiques.

Chaque virus qui émerge appartiendra toujours à une certaine « famille ». Investir davantage dans la recherche aurait permis de développer des médicaments à large spectre contre les coronavirus. Avec les mesures de quarantaine, cela aurait largement ralenti l’épidémie et ils auraient été une arme contre sa propagation dans le monde entier. Puisqu’ils n’existaient pas, il a fallu attendre que les vaccins soient développés pour obtenir un certain niveau de protection. »

Prochaine fois

La prochaine fois, alerte Johan Neyts, nous aurons peut-être moins de chance… « Pensez au VIH: nous n’avons toujours pas de vaccin commercialisé contre un virus découvert en 1983. Pas plus que contre le VRS, l’hépatite C, le rhume, l’herpès simplex, le cytomégalovirus et bien d’autres. »

« L’un des principaux enseignements, pointe Jean-Christophe Goffart, chef de service de médecine interne et responsable des unités Covid à l’hôpital Erasme, c’est qu’ on a pris conscience de l’importance du système de contrôle des maladies respiratoires et, surtout, de la nécessité de garder pérennes ces systèmes de surveillance. Car d’autres zoonoses (NDLR: maladies qui se transmettent de l’animal à l’homme) arriveront encore. « 

3. ARN messager: une technologie prometteuse

La mise au point de ce vaccin à ARNma des répercussions dans d’autres domaines de recherche, notamment ceux concernant les maladies infectieuses comme le VIH, poursuit Jean-Christophe Goffard. Les progrès réalisés devraient permettre d’apporter « une réponse immunitaire la plus adaptée et la plus neutralisante possible. Ce qui n’était pas faisable avant d’avoir cette technologie – même si on commence à savoir ce qu’on doit faire contre le VIH. Pour le cancer, on peut envisager un boom plus important encore mais qui sera peut-être plus difficile à obtenir ». Voici quelques jours à peine, Moderna a débuté des essais, sur les humains, d’un vaccin contre le VIH utilisant l’ARN messager. Le sérum devrait permettre de stimuler la production d’un certain type d’anticorps capables d’agir contre de nombreux variants du VIH.

Moderna a annoncé, le 27 janvier, avoir débuté les essais sur l'humain d'un vaccin à ARN messager contre le VIH.
Moderna a annoncé, le 27 janvier, avoir débuté les essais sur l’humain d’un vaccin à ARN messager contre le VIH.© BELGA IMAGE

Autre annonce porteuse d’espoir: une étude de l’ULB, publiée en juin 2021 dans la revue Nature Cancer, ouvre une voie de recherche novatrice dans le traitement des métastases grâce à la technologie de l’ ARN messager. Par ailleurs, deux vaccins reposant sur la technologie de l’ ARN messager sont en préparation, l’un contre le zona (Pfizer-BioNTech), l’autre contre le virus d’Epstein-Barr (Moderna), à l’origine de la mononucléose infectieuse et probablement de la sclérose en plaque. D’autres projets concernent la grippe et la bronchiolite. Contre ces pathologies, l’arrivée d’un vaccin de ce type est très attendue par les pédiatres: « L’ ARNm représente un espoir pour les cas de bronchiolite, pathologie pour laquelle il est très difficile d’avoir des vaccins, mais tout dépendra des moyens qu’on injectera dans cette recherche… », éclaire Pierre Smeesters, chef du service de pédiatrie à l’Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (Huderf).

4. Un virus aux propriétés singulières

On le sait, les coronavirus se transmettent par voie aérienne, par gouttelettes ou aérosols. Ce qui a tout de même surpris les scientifiques, c’est le nombre de variants du virus et sa rapidité de propagation. « Alors que le virus ancestral n’était pas encore très contagieux, il circulait déjà très rapidement. Mais les autres variants, d’abord Alpha, puis Delta et enfin Omicron, ont réussi à se répandre encore plus rapidement », s’étonne encore Johan Neyts, de la KULeuven.

Pour le virologue, le fait qu’un variant observé sur des patients en Afrique du Sud et au Botswana parvienne à traverser le monde en quelques semaines « simplement en sautant d’une personne à l’autre » est tout bonnement « époustouflant« . « Imaginez quelle serait la situation si ce virus provoquait la même mortalité que celle observée avec le Sras en 2003 à Hong Kong, soit 10%, ou celle du Mers, découvert en 2012 au Moyen-Orient, qui est de 33%. »

La rapidité avec laquelle on a caractérisé la Covid-19, en comparaison avec d’autres pathologies comme le sida, est réellement impressionnante, salue Jean-Christophe Goffard , responsable des unités Covid à Erasme. « Sur la base des études cliniques mises en place et implémentées très rapidement, on a reçu un tas d’informations sur la pathogénie du virus, sur la manière dont il s’attaque aux poumons mais aussi sur les facteurs d’hôte, ce qui nous a permis de savoir quelles personnes étaient susceptibles de contracter l’infection indépendamment des comorbidités. Chez les patients sans comorbidité, on a pu mettre en évidence les facteurs génétiques et, chez les personnes âgées, les facteurs immunologiques. »

5. Une vision intégrée du système immunitaire

Nous ne sommes pas égaux face au virus. Les études ont révélé quelques surprises et ont poussé les médecins à se questionner davantage sur la manière dont notre système immunitaire active ses lignes de défense et sur celle dont le virus parvient à les contourner.

« La Covid-19 nous a appris que nous nous défendons face au corona grâce à plusieurs mécanismes, intervenant à différents stades de l’infection. Immédiatement après celle-ci, des cellules présentes dans nos voies aériennes supérieures – le nez et le pharynx – produisent des substances antivirales que l’on appelle interférons. Lorsque la production de ces interférons est déficiente pour des raisons génétiques ou lorsque leur activité est entravée, le virus peut se multiplier très rapidement et gagner les poumons où il cause des dommages considérables à l’origine des formes graves de la maladie, retrace Michel Goldman, professeur émérite d’immunologie à l’ULB. Chez les individus vaccinés, les anticorps induits par la vaccination représentent une deuxième ligne de défense très importante car ils empêchent le virus de pénétrer dans nos cellules. Ils limiteront aussi la quantité de virus libérée dans l’air, et donc réduiront le risque de transmission du virus d’une personne à l’autre. Avec l’émergence d’Omicron, il est apparu que les mutations de ce variant lui permettent d’échapper partiellement à l’action neutralisante des anticorps induits par les vaccins. » « Pourtant, poursuit Michel Goldman, la vaccination continue à très bien protéger des formes graves, grâce à une troisième ligne de défense: celle assurée par les lymphocytes tueurs qui détruisent les cellules infectées par le virus. Ces lymphocytes tueurs apparaissent en nombre après la vaccination. Certains se localisent dans les poumons où ils représentent des sentinelles importantes en cas d’infection. »

Marqueurs sanguins

Les recherches ont aussi mis en évidence de multiples marqueurs sanguins corrélés à la sévérité et à l’évolution de la maladie. La traque de ces caractéristiques biologiques n’a rien d’extraordinaire en soi. Elle sert aussi à évaluer la probabilité de la présence de cancers – et leur potentielle récidive – , de maladies infectieuses, inflammatoires ou des fibroses pulmonaires, pour ne citer que quelques exemples. Mais dans le cadre de la Covid-19, elle a donné d’autres clés de compréhension, comme l’explique Julien Guiot, chef de clinique au service de pneumologie du CHU de Liège: nous avons utilisé des biomarqueurs développés précédemment pour l’évaluation de certaines pathologies et évalué leurs potentielles caractéristiques communes avec l’infection par Covid-19. Plusieurs pistes ont pu être dévoilées, permettant d’identifier des marqueurs associés à la sévérité de la maladie, ce qui nous a autorisés à orienter la recherche vers certaines voies pathologiques d’intérêt dans le cadre de la Covid-19. »

Notre système immunitaire est très efficace pour nous protéger contre les infections. Mais il peut aussi nous jouer des tours.

Des études exploratoires ont en effet identifié que, chez certains patients, l’organisme pouvait répondre de façon disproportionnée à la cause de son agression, qui est le virus, alors que chez d’autres, la réponse inflammatoire reste contenue. Cette réponse inflammatoire disproportionnée, appelée « orage cytokinique« , est considérée comme un des mécanismes à l’origine des formes sévères de l’infection.

« A notre niveau, poursuit le Dr Guiot, une des grandes avancées est la transdisciplinarité de l’approche sur la question des tempêtes de cytokines: nous avons utilisé une méthode basée sur la connaissance d’autres maladies et sollicité l’ensemble des spécialistes des organes concernés pour participer à l’effort et pour développer une approche holistique de la situation. »

« Notre système immunitaire est très efficace pour nous protéger contre les infections. Mais il peut aussi nous jouer des tours, rappelle Johan Neyts. C’est ce que nous observons chez les patients atteints de Covid sévère où le système immunitaire devient surmené, ce qui est en fait à l’origine de la pathologie sévère. Une situation plus ou moins comparable a été observée en 1918-1919 avec la grippe espagnole. Là aussi, c’était surtout la réaction excessive du système immunitaire qui causait des maladies graves et la mortalité. »

6. L’odorat et ses mystères

L’altération de l’odorat est l’un des symptômes les plus spécifiques de la Covid-19. Certaines études estiment que dans 1 à 10% des cas, les patients développent une dysfonction olfactive chronique qui peut durer au moins six mois, et souvent plus.

« La perte d’odorat comme symptôme, c’est en quelque sorte un « cadeau de la nature » parce que c’est la signature biologique de cette souche de corona. C’est ce qui nous a permis de détecter des cas positifs alors que le test PCR était négatif , retrace le Dr Jérôme Lechien, chirurgien ORL à l’hôpital Foch à Paris et chercheur à l’UMons. On a compris que dans la majeure partie des cas, le virus passait dans la muqueuse olfactive et qu’il pouvait se retrouver dans le bulbe olfactif, même très longtemps après l’infection. Aujourd’hui, on pense que le virus détruit les cellules de soutien qui se trouvent autour des neurones, les astrocytes, ainsi que de tous petits neurones souches. »

La perte d'odorat a permis de détecter des cas positifs alors que le test PCR était négatif.
La perte d’odorat a permis de détecter des cas positifs alors que le test PCR était négatif. « Un cadeau de la nature », en quelque sorte.© GETTY IMAGES

L’examen des patients a aussi mis en lumière d’autres phénomènes, développe le Pr Lechien. Il est apparu que les personnes qui ont refait l’infection après une première contamination n’ont pas forcément perdu l’odorat dans les deux cas. Mais aussi que le dysfonctionnement peut apparaître chez des patients vaccinés et qui ont contracté la maladie par la suite. Ou encore que le type de variant pourrait avoir un impact sur le nombre de cas de parosmie. Des observations, indique le chirurgien ORL, qui restent « difficiles à interpréter ».

A l’heure actuelle, seul un entraînement olfactif régulier est recommandé aux patients Covid. Mais une nouvelle étude, menée par une équipe de chercheurs belges, sur un traitement expérimental à base de plasma sanguin riche en plaquettes (PRP) permet d’espérer améliorer la fonction olfactive des patients.

Deux interrogations

L’ ensemble de ces avancées pourrait également aider les médecins à mieux traiter la perte d’odorat liée à d’autres coronavirus ou encore à la grippe ou à l’herpès. Deux grandes interrogations subsistent: ces odeurs fantômes que les chercheurs peinent encore à comprendre et ces très rares cas de perte d’odorat après vaccination. « Notre hypothèse est que le vaccin stimule tellement bien le système immunitaire qu’il vient nettoyer la Covid restant dans le bulbe olfactif. Et qu’en délogeant le virus, il détruit aussi des cellules là où elles se cachent. »

7. La spécificité des enfants

Les raisons pour lesquelles les enfants infectés sont en général très peu malades restent relativement mystérieuses. « L’une des hypothèses est qu’ils sont protégés par des anticorps qu’ils produisent en réponse aux coronavirus responsables de rhinite banales, très fréquentes au cours des premières années de vie », formule l’immunologue de l’ULB, Michel Goldman.

Une « bizarrerie » qui impressionne toujours autant Pierre Smeesters (Huderf): « Les enfants ne sont pas des adultes en miniature. Ils développent une réponse immunitaire différente, avec des caractéristiques propres. C’est ce qu’on a observé avec les différents variants. En même temps, ils ne sont pas si différents ; disons qu’ils se montrent plus efficaces que les adultes pour développer une réponse immunitaire et régler la question Covid plus rapidement. Je reste d’ailleurs plus inquiet face à des enfants qui ont la grippe et qui sont aux soins intensifs qu’avec ceux qui ont la Covid. »

Rôle de transmission

« L’ autre leçon, poursuit le médecin de l’Huderf, c’est que les enfants vivent dans la société et, même s’ils ne sont pas malades, leur rôle dans l’échelle de transmission a évolué. Sur ce point, on n’a pas encore tout compris. » Il semble en effet que les sujets plus jeunes aient joué un rôle mineur dans la transmission quand les adultes n’étaient pas encore vaccinés. Mais depuis le vaccin, on constate chez eux un taux de positivité plus important. « On a alors assisté à certaines prises de parole affirmant que les enfants étaient les moteurs de l’épidémie. En réalité, ils n’en sont toujours que l’un des moteurs. »

Une récente étude réalisée par des chercheurs de l’Institut français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) avance une explication qui doit encore être vérifiée: la réponse interféron (lire le point 5), qui fait partie de la réponse immunitaire innée ne serait pas la même selon l’âge des patients. Les enfants âgés de moins de 15 ans, indique l’étude, ont une expression accrue d’interférons de type III, molécules peu inflammatoires et d’action locale, qui contrôlent le virus localement au niveau de son point d’entrée, dans la muqueuse nasopharyngée. A l’inverse, les adultes, et en particulier les personnes âgées, expriment préférentiellement des interférons de type I, qui sont inflammatoires et ont une action plus systémique (NDLR: dans tout l’organisme). Cette différence entre le type d’interférons et cette immunité naturelle très élevée chez les enfants leur permettraient d’être moins malades.

L’une des formes sévères qui s’est manifestée chez des enfants, à savoir la maladie de Kawasaki, a aussi intrigué les pédiatres. « Depuis, on a affiné nos connaissances sur l’ensemble des critères pour la reconnaître », rassure le Dr Pierre Smeesters.

8. Traitements: apprendre de ses erreurs

Des patients dont le taux d’oxygène dans le sang est anormalement bas, ce qui habituellement entraîne une sensation d’étouffement, mais qui restent étrangement calmes et semblent plutôt bien se porter: une autre étrangeté de la Covid-19, appelée « hypoxie heureuse« , que la science n’est pas encore totalement parvenue à décrypter. Mais selon le Dr Philippe Devos, anesthésiste et chef de service adjoint aux soins intensifs à la clinique CHC MontLegia (Liège), on progresse: « On a constaté qu’alors que le coeur est sur le point de s’arrêter, le cerveau, lui, n’a aucune conscience de ce manque d’oxygène. L’une des théories, qui n’est pas encore confirmée, c’est que le phénomène est comparable à ce qu’on peut observer chez les alpinistes qui grimpent en haute altitude. » L’un des observateurs de ce phénomène, le Dr Richard Levitan, urgentiste américain, le décrit comme tel: en gagnant de l’altitude, la pression atmosphérique diminue, ce qui implique une présence réduite des molécules d’oxygène disponibles pour le souffle, mais la rapidité de la respiration provoque toujours une expulsion du dioxyde de carbone.

On a appris que certains médicaments pouvaient être plus efficaces que d'autres en cas d'épidémie virale. C'est le cas de la dexamethasone, un anti-inflammatoire global.
On a appris que certains médicaments pouvaient être plus efficaces que d’autres en cas d’épidémie virale. C’est le cas de la dexamethasone, un anti-inflammatoire global.© GETTY IMAGES

Amélioration de la prise en charge

Observer le développement de la maladie a aussi permis d’améliorer la prise en charge des patients: « Au début de la pandémie, les patients sous coma étaient intubés et on a perdu un grand nombre d’entre eux. On a compris qu’il valait mieux attendre un peu et voir si on pouvait utiliser d’autres techniques pour un meilleur résultat. Désormais, on sait, par exemple, que les laisser sur le ventre améliore la respiration. »

Celui qui, en mars 2020, avait établi une projection établissant que, sans mesures de protection efficaces contre la Covid-19, 850 000 personnes pourraient être infectées en Belgique, estime aujourd’hui qu’on y voit plus clair dans les traitements à administrer. La saga de l’hydroxychloroquine aura, à ce titre, été riche en enseignements. « On comprend mieux ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Que certains médicaments sont efficaces sur certains virus mais pas sur celui-ci. Que, par contre, la dexamethasone, qui est un anti-inflammatoire global et qui est déjà utilisé pour d’autres maladies, donne de bons résultats, retrace le Dr Devos. Si on doit faire face à une autre pandémie virale, on aura tendance à ressortir beaucoup plus vite certains médicaments plutôt que d’autres. »

Démunie parfois

« C’est grâce à la collaboration entre les différents spécialistes qu’on a pu mettre en place des stratégies thérapeutiques comme les anticorps neutralisants, la dexamethasone ou le baricitinib. Et qu’on est parvenu à diminuer la réponse inflammatoire par différentes voies », complète Jean-Christophe Goffard. Contre le Covid long, déplore-t-il, la médecine reste, par contre, relativement démunie. « Certains symptômes comme les troubles de la concentration sont difficiles à expliquer. »

Un avis que partage le Dr Devos, qui souligne néanmoins que la prise en charge des patients qu’on n’arrive pas à remettre sur pied s’est fortement améliorée. « Les découvertes en biologie ont montré que des symptômes comme la fatigue, les effets sur le système cardiaque ou le système respiratoire, éprouvés par les patients atteints de Covid long, étaient bien réels. Que ce n’était pas dans leur tête, mais que ça pouvait par contre mener à la dépression. »

Une étude américaine de grande ampleur publiée fin janvier dans le journal Cell montre aussi l’importance des co-infections virales au cours de la maladie et identifie quatre facteurs de risque pour le développement d’un Covid long: une forte concentration du virus Sars-CoV-2 dans le sang, la présence concomitante du virus d’Epstein-Barr (le virus dormant est réactivé), la présence d’auto-anticorps et un diabète de type 2.

9. Collaboration inédite

Ils ne se connaissaient pas et chacun avait le nez plongé dans sa spécialité. La pandémie les a forcés à revoir la manière de faire de la médecine, à partager leurs savoirs.

« Aujourd’hui, les biostatisticiens des universités nous transmettent directement leurs modèles mathématiques et ne les gardent plus par-devers eux. Ce qui nous donne une idée du moment où ce sera très difficile pour nous et de celui où ça se calmera. Bien sûr, il y a toujours beaucoup de stress mais les modèles prédictifs et l’expérience accumulée font qu’on gère mieux », assure le Dr Devos.

« A propos de la transmission, qui est toujours multifactorielle, on a souvent opposé des choses entre elles, alors que tout est lié, ajoute le Dr Smeesters qui plaide, lui aussi, pour une plus grande transdisciplinarité. Pour activer l’intelligence collective, il faut prendre du temps et se baser sur des données, des interprétations. Or, il faut des décisions claires mais aussi plus de collaboration, de partage et de confrontation. Les décisions qui ont été prises étaient globalement logiques mais quel bilan en termes de polarisation, de stress! »

La proactivité des partenaires de recherche a permis de soulever des montagnes là où il aurait fallu dix ans, quinze ans.

Une mise à disposition « hors norme » du personnel et des infrastructures cliniques pour obtenir des résultats le plus rapidement possible, c’est aussi ce que retient le Dr Julien Guiot: « On a pu observer des efforts synchronisés des partenaires de recherche mais également des patients, des infirmiers, de ceux qui s’occupaient des prélèvements, des analystes, des statisticiens… Il aura été possible pour les scientifiques de participer à plusieurs gros projets de recherche sur le patrimoine génétique et l’impact sur la sévérité de la maladie. Leur proactivité a permis de soulever des montagnes là où il aurait fallu dix ans, quinze ans. »

« Il est passionnant de voir comme tous les domaines de la médecine se sont mis ensemble pour essayer de comprendre ce qui se passait, abonde Jean-Christophe Goffard. La recherche est un milieu terriblement compétitif. Or, ici, on a vu se mettre en place une collaboration globale des chercheurs pour avancer le plus rapidement possible. »

Des avancées favorisées par le fait que les revues scientifiques ont donné libre accès à leurs études sur le coronavirus. « Ça a créé des débats autour de ces articles et nous a amenés à apporter des changements dans les traitements », complète Philippe Devos.

10. Souffrir de bien des façons

Ce n’est pas à proprement parler une découverte mais plusieurs médecins ont jugé qu’il était important d’en parler, que la souffrance psychologique et les questions éthiques avaient leur place dans ce bilan. Pierre Smeesters, pour commencer, déplore que des informations très anxiogènes aient augmenté le stress des enfants et, surtout, de leurs parents. Une problématique sérieuse qu’il ne faut pas négliger, estime-t-il. « Les petits sont à la fois fragiles et bien plus forts que nous. Il est crucial de leur délivrer des messages positifs. Les familles vivent dans une anxiété majeure et nos collègues pédopsys ne cessent d’alarmer sur l’augmentation de la souffrance mentale, des violences intrafamilliales, de l’obésité et des assuétudes. »

Remboursement des soins

Philippe Devos, lui, rappelle l’importance du remboursement des soins psychologiques et de l’accompagnement de ces patients très marqués par la maladie: « Trente pour cent des patients intubés dans le coma développent des angoisses, des insomnies, des attaques de panique. Ils présentent plus de trauma que les vétérans du Vietnam. »

La souffrance, c’est aussi celle du personnel soignant, ont relayé la plupart des médecins que nous avons rencontrés. De ceux que l’on applaudissait hier et que l’on injurie aujourd’hui. De ceux qui, lorsqu’ils prennent position sur la vaccination se font harceler sur les réseaux sociaux. Et de tous ceux qui ne peuvent plus s’exprimer dans une société polarisée où il n’y a plus de place pour la nuance.

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