En Belgique, un million d'adultes n'ont toujours pasnfranchi les portes d'un centre de vaccination. © Belga

Sophie Lucas, immunologue : « Il est illusoire de penser que les traitements remplaceront le vaccin » (entretien)

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Pour l’immunologue Sophie Lucas, il est clair qu’Omicron n’est pas le dernier variant, comme il est clair que l’on se dirige vers l’administration d’une quatrième dose.

Professeure à l’UCLouvain, Sophie Lucas dirige également, à l’Institut de Duve, un groupe de recherche en immunologie et immunothérapie du cancer. Face à Omicron, plus contagieux mais plus « sage » que Delta, l’experte préfère rester prudente. Pour elle, nous ne sommes pas dans une « ère endémique ». « On se dirige vers des rappels réguliers. Mais peut-être qu’à un moment, ils ne devront être administrés qu’aux plus vulnérables », estime-t-elle.

Comment expliquer la hausse des hospitalisations pour Covid ? Par rapport à la semaine du 17 janvier, Sciensano relève une augmentation de 50 %. Dans le même temps, il y a moins de patients en réanimation. Une situation paradoxale ?

Non, parce que la hausse était prévisible. En Belgique, il demeure une poche considérable de non-vaccinés. Elle représente près d’un million d’adultes. Ensuite, la vaccination n’est jamais efficace à 100 %, même si elle se montre très efficace contre les formes graves. Enfin, on sait que les hospitalisations arrivent avec un temps de retard. Dès lors, on ne peut pas aplatir la courbe. Mais il faut la comparer avec celles qu’on a déjà vécues : sans la vaccination, la situation aurait été bien pire, nettement.

Avec Omicron, l’Organisation mondiale de la santé estime « plausible » la fin de la pandémie.

C’est, évidemment, ce que nous aimerions tous entendre. Mais l’OMS indique également que ce n’est pas la seule possibilité. Il y a celle, qu’on ne peut pas ignorer, de l’arrivée d’un autre variant plus sévère.

Avec l’explosion des contaminations, l’OMS estime qu’il faut désormais « protéger les plus vulnérables et ne plus se focaliser seulement sur la diminution de la transmission ».

C’est ce que nous faisons, tous, depuis le début de la pandémie, en confinant, quand il s’agit de la seule piste, en limitant les contacts sociaux, en augmentant la vaccination… Toutes ces mesures conduisent à réduire la circulation du virus. La vaccination, je le rappelle, a également pour effet de diminuer la transmission. Certes, l’impact de la vaccination sur la transmission est moins fort qu’espéré, mais il existe.

Attendre un vaccin universel pour se faire vacciner est, selon Sophie Lucas, un pari dangereux.
Attendre un vaccin universel pour se faire vacciner est, selon Sophie Lucas, un pari dangereux.© UCLouvain

Se dirige-t-on vers des doses de rappel à répétition ?

Certainement vers l’administration d’une quatrième dose. Pour ce qui concerne la grippe, la vaccination est annuelle. Pour le Sars-CoV-2, on se dirige vers des rappels réguliers. Mais peut-être qu’à un moment, ils ne devront être administrés qu’aux plus vulnérables.

Que faut-il attendre des nouveaux vaccins, ceux contre Omicron, prévus, selon le fabricant, en mars ?

Le fabricant livrera peut-être ses résultats en mars. Il ne faut pas les espérer chez nous avant avril, au plus tôt, voire en mai ou juin prochain. Je ne sais pas, en revanche, s’ils seront indispensables. La vague Omicron, c’est maintenant. Quand ces vaccins arriveront, cette vague sera passée et on ignore si la suivante sera à base d’Omicron ou d’un autre variant. Il faut donc préférer la dose booster, car elle immunise contre Omicron et limite sans aucun doute les conséquences de l’infection.

Et celui, universel, contre les variants du Sars-CoV-2 ?

Les résultats, pour l’heure, ne sont pas encourageants. Voilà des années que l’on cherche à mettre au point un vaccin universel contre la grippe… L’attendre pour se faire vacciner reste un pari dangereux.

L’obligation vaccinale et le pass vaccinal ne peuvent pas toucher les moins de 18 ans, voire les moins de 16 ans.

Sophie Lucas, immunologue (UCLouvain)

Etes-vous favorable à l’obligation vaccinale ?

Rendre obligatoire la vaccination ou le pass vaccinal demeure une décision politique, pas la mienne. C’est aux politiques d’organiser notre société, de protéger les plus faibles, de permettre la vie de tous et de protéger les soins de santé. Les soignants sont ceux qui souffrent le plus, avec les enseignants. Par contre, les citoyens doivent savoir ce qu’en pense l’ensemble des scientifiques et ce qu’ils pensent, c’est qu’il faut vacciner un maximum d’adultes.

Pas les adolescents et les enfants ?

L’obligation vaccinale et le pass vaccinal ne peuvent pas toucher les moins de 18 ans, voire les moins de 16 ans. L’accès à l’école, par exemple, ne peut pas être conditionné à l’ obligation d’être vacciné, en tout cas pour les moins de 12 ans, et probablement pour les moins de 16 ans, voire les moins de 18 ans. En revanche, à titre personnel, je suis soulagée que la vaccination soit accessible et recommandée pour les moins de 18 ans. L’intérêt de la rendre accessible et recommandée repose sur des analyses scientifiques.

Les traitements thérapeutiques peuvent-ils remplacer le vaccin ?

Il serait illusoire d’imaginer qu’ils peuvent le remplacer. Les anticorps monoclonaux, extrêmement chers, sont administrés, à titre préventif, aux patients immunodéprimés qui sont contaminés ou qui ont eu un cas contact. Certains, il est vrai, ne sont pas efficaces contre Omicron et ils sont évalués, revus régulièrement. La vaccination et les traitements sont en effet deux approches complémentaires. Ils sont tous deux indispensables, parce qu’au-delà des patients immunodéprimés, qui ont subi une greffe d’organe, qui sont en chimiothérapie, qui reçoivent des immunodépresseurs, il y aura toujours une proportion de patients, même immunisés, qui développeront des formes sévères, puisque le vaccin n’est pas efficace à 100 %.

Les autorités politiques se sont accordées sur un baromètre. Il est là, enfin là ?

Comme pour l’obligation vaccinale ou le pass vaccinal, je vous répondrai qu’il s’agit d’une décision des politiques. Certes, des politiques conseillés par des scientifiques mais qui gardent la main et, donc, qui tranchent. Quant aux codes couleur et aux mesures qui leur sont associées, je n’ai pas d’avis pertinent à donner. Ce que nous demandons, nous, les scientifiques, c’est que ce baromètre et ses outils soient revus très régulièrement, qu’il soit souple, car Omicron n’est pas le dernier variant.

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