Les célibataires, toujours plus nombreux… et stigmatisés: « Ils incarnent ce qu’il ne faut pas devenir » (enquête)

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Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Les célibataires sont de plus en plus nombreux en Belgique. Pour une foule de raisons, même si la norme de la conjugalité et de la parentalité reste la référence. Entre individualisme accru et nécessaires mécanismes de solidarité, la société observe les solos derrière un voile de paradoxes.

Posé sur la bâche en plastique au milieu de la brocante, le cadre en faux bois orné de lettres gothiques blanches fait sourire les chalands: «Pas de femme, pas de souci. Pas d’hommes, pas d’ennui», peut-on y lire. La vie serait donc belle si on la traverse sans compagne ou sans compagnon? Faut-il alors que les Belges soient heureux! Selon Statbel, l’office belge de statistique, le pays comptait précisément 2 555 780 célibataires de plus de 24 ans en 2022, si l’on s’en tient à leur état civil. Un chiffre à prendre avec des pincettes. «Le célibat est-il un état civil, un mode de vie ou un état d’esprit?», interroge judicieusement Marie-Thérèse Casman, sociologue de la famille à l’ULiège.

Le célibat est-il un état civil, un mode de vie ou un état d’esprit?

Malgré le nombre croissant de célibataires, volontaires ou non, rares sont ceux qui s’ intéressent à leur statut, à leurs conditions de vie et moins encore à leurs états d’âme. S’il existe une Ligue des familles, elle n’a pas d’équivalent pour les célibataires. On a connu jadis un secrétariat d’Etat aux familles, mais rien de tel pour les solos. «Les célibataires et les adultes sans enfant ont été peu étudiés parce qu’ils ne présentent pas, dans leur vie, ce qu’on appelle des événements démographiques, justifie Christine Schnor, professeure en démographie de la famille à l’UCLouvain. Ils passent “à côté” de la vie en couple et de la fondation d’une famille», ces sujets qui font les beaux jours des démographes. Les célibataires n’apparaissent donc qu’en creux, en miroir de ceux qui vivent en couple ou en famille.

L'usage des mots a évolué: on n'entend plus guère parler de «vieux garçon» ou «vieille fille».
L’usage des mots a évolué: on n’entend plus guère parler de «vieux garçon» ou «vieille fille». © getty images

En outre, ils ne forment pas un groupe homogène: le célibat choisi, pour qui dispose de revenus confortables dont jouir en totale autonomie, n’est pas le célibat subi, qui renvoie davantage à la solitude et, parfois, au manque de moyens financiers. Etre veuf à 74 ans n’équivaut pas à ne pas vivre en couple à 28. Connaître temporairement le célibat, après une rupture amoureuse, n’est pas assimilable à une vie en solo qui dure depuis vingt ans. Etre seul avec des enfants est très différent de l’être sans. On peut aussi être célibataire tout en connaissant des relations intimes stables. Le panel est large.

Dans tous les cas, la vie en solo est mieux acceptée aujourd’hui qu’il y a vingt ans, lorsqu’elle était synonyme d’échec ou de refus de conjugalité. Le célibat de 2023 est d’autant moins considéré comme un ratage que la majorité de ceux qui l’éprouvent ont connu la vie à deux. Dès lors, insiste Jean-Claude Bologne, auteur de Histoire du célibat et des célibataires (Fayard, 2007), l’échec est celui du couple et non plus une mise en cause personnelle. On n’entend plus guère, d’ailleurs, les expressions «vieux garçon», «vieille fille», ou «Catherinette» – sans équivalent masculin, tiens! Pas davantage, d’ailleurs que «concubins» ni «bâtards».

C’est que l’usage des mots a évolué parallèlement aux formules de vie. Autant la majorité des individus se retrouvaient, jadis, dans l’image d’un couple stable et de son inévitable paire de mioches dopés au si télégénique cacao matinal, autant, en 2023, la vie personnelle peut se décliner dans toute une gamme de formules: en couple ne vivant pas ensemble, en familles recomposées partageant ou non le même toit, en célibat strict, en couple sans sexe, en polyamour ou en célibat pimenté de multiples rencontres… «En 1950, on “cherchait un conjoint”, résume le sociologue et anthropologue Pierre-Yves Wauthier, attaché à l’Ecole de sexologie et des sciences de la famille de l’UCLouvain. En 1980, on « formait un couple », aujourd’hui, “on est en relation”

Surtout, la vie en solo concerne davantage, aujourd’hui, des périodes limitées dans le temps: qui habite seul à 30 ans ne le fera pas forcément durant toute son existence ; on est de plus en plus souvent célibataire par intermittence. «Il se passe, en la matière, un peu la même chose que sur le marché du travail, remarque Marie-Thérèse Casman. Auparavant, les salariés faisaient carrière avec un contrat à durée indéterminée dans une seule entreprise. Aujourd’hui, ce sont plutôt des contrats à durée déterminée successifs, dans des emplois différents.» En amour comme au travail, les parcours de vie deviennent moins stables. «La nouvelle génération de personnes âgées sera très différente, car toutes ne seront pas en couple, précise Christine Schnor. On observe d’ailleurs beaucoup de divorces chez les plus de 50 ans.»

En 1950, on « cherchait un conjoint ». En 1980, on « formait un couple », aujourd’hui, “on est en relation”.

Célibataires ou en couple avec soi-même

Ce n’est pas un hasard si le nombre de célibataires augmente de façon constante depuis trente ans. En vrac: l’espérance de vie s’est allongée, ce qui permet de connaître plusieurs périodes de vie affective successives, entrecoupées de célibat ; les jeunes étudient plus longtemps et plus tard ; le niveau d’éducation des femmes s’est amélioré, comme leur place sur le marché du travail et leur autonomie financière, liées parfois à une envie de privilégier leur carrière ; les ruptures amoureuses et les divorces sont beaucoup plus fréquents que par le passé, ce qui alimente la catégorie des célibataires et freine ceux d’entre eux qui ne veulent pas prendre le risque de se lancer dans une relation de couple ; la contraception généralisée permet une vie sexuelle plus libre, qui explique pour partie que l’on ne s’engage pas dans une vie de couple avant environ 30 ans. L’âge moyen auquel on devient parent recule aussi: 29 ans pour les femmes, 33 ans pour les hommes.

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S’y ajoute le phénomène dit des absolute beginners, ces personnes qui, pour toute une série de raisons, n’ont pas vécu certaines étapes affectives à l’ âge théorique prévu. Parce qu’après, «c’est trop tard», ceux et celles qui ont raté ces étapes n’osent plus franchir le pas, par honte. On ne peut faire l’impasse non plus sur le rôle des réseaux sociaux et des applications de rencontre qui permettent de penser la vie amoureuse et sexuelle dans l’immédiateté, sans engagements et n’importe où dans le monde. Au grand dam de ceux qui ne s’y retrouvent pas. Enfin, joue le recul de l’influence des religions, au profit d’un certain individualisme. Voilà l’ébouriffant cocktail qui dope le nombre de gens vivant seuls.

«Vivre seul est cohérent avec le culte de l’individu, au cœur de nos sociétés occidentales contemporaines, assurait déjà Eric Klinenberg, auteur de Going solo (Penguin Books), en 2012. Il s’éloigne, le temps où on considérait qu’une personne célibataire était seule au monde et comme incomplète. L’ actrice britannique Emma Watson n’a-t-elle pas déclaré qu’elle vivait «en couple avec elle-même»? «Il s’agit peut-être d’une façon de se souvenir que notre bonheur n’a pas à dépendre de quelqu’un d’autre et de rappeler que notre valeur ne dépend pas de ce qu’un partenaire voit en nous», analysait le sociologue et sexologue Martin Blais dans La Presse.

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De l’autre côté du miroir, la valeur du couple s’en trouve sur-investie. Car débarrassé – dans la société occidentale – de ses oripeaux religieux, institutionnels ou moraux, le couple n’est désormais plus qu’une affaire de sentiments amoureux. Les duos qui se forment sont le résultat du seul choix d’individus qui n’anticipent que le meilleur. Et si le pire survient, ils se séparent, c’est tout. Plus libres de trancher ce lien volontairement noué, les individus y placent aussi plus d’exigences de réussite… augmentant d’autant le risque d’échec. «La surévaluation du couple le rend plus difficile à réussir et à y rester qu’auparavant», affirme Gérard Neyrand, sociologue et professeur émérite à l’université de Toulouse. Et puis, il y a cet autre paradoxe: l’individu s’affirme de plus en plus mais il se réalise encore en premier lieu par le conjoint.

Le célibataire a beaucoup de peine à s’intégrer dans un modèle sociétal qui ne pense l’économie de solidarité que sur des modes archaïques.

Le couple, pierre angulaire

Le célibat a beau faire florès, la norme du couple et de la famille ne disparaît pas pour autant. «Notre vie en société s’est construite depuis des siècles sur le couple, rappelle Dimitri Mortelmans, professeur de sociologie à l’UAntwerpen. Le couple est considéré comme la pierre angulaire de la socialisation: les parents éduquent leurs enfants jusqu’à ce qu’ils deviennent de braves citoyens qui, à leur tour, assureront le relais.»

C’est aussi dans la famille nucléaire que, d’abord, on se construit autour de la question de l’attachement. Si les mariages se font plus rares, les couples, avec enfants ou non, restent nombreux. La plupart des jeunes se projettent dans une vie à deux et/ou en famille. Et même si l’on accepte davantage des formes de vie relationnelle différentes, le couple se taille toujours une place de choix dans les productions culturelles et les médias. «Tout nous rappelle que pour être heureux, il faut être deux», affirme Aline, 35 ans, célibataire depuis trois ans. «Même si on nous montre de plus en plus qu’autre chose est possible, tout pousse au couple et au stéréotype de la famille», confirme Manou, célibataire de 37 ans. Le succès de l’émission Mariés au premier regard ne se dément pas: entre 2 500 et 3 000 candidats s’y présentent à chaque nouvelle saison.

«La société attend de nous qu’on soit mariés, parents et propriétaires, ce qui constitue les clés du succès dans la vie, synthétise Christine Schnor. Ce n’est pas parce que la société est moderne que les normes changent…»

On l’a vu lors de la crise du Covid, au plus fort d’un confinement qui a plongé les célibataires dans une éprouvante solitude. «Nous ne sommes pas tous en couple et évoluant au sein d’une famille traditionnelle, rappelait à l’époque David Paternotte, chargé de cours en sociologie à l’ULB, dans Le Soir. Or, en Belgique, le concept de la “bulle” était construit autour de l’unité familiale. C’est une vision très étonnante de la société parce qu’elle ne correspond pas à la réalité statistique. Par ricochet, de la sexualité et de la vie affective, puisque l’on affirme que ces dernières ne reposent que sur le couple stable. On impose donc une norme implicite et on renvoie constamment à ceux qui ne s’y reconnaissent pas le fait qu’ils n’en font pas partie.» Or, insiste Christine Schnor, «les normes sociales font souffrir: on ne les ressent pas quand on est dans le cadre normatif, mais très fort quand on est en dehors».

La liberté des célibataires peut faire fantasmer, jusque dans les couples où elle manque.
La liberté des célibataires peut faire fantasmer, jusque dans les couples où elle manque. © getty images

Si la norme du couple est un peu moins envahissante que par le passé, c’est sans doute parce que la survie de l’espèce ne semble plus constituer un enjeu. «Il reste des ancrages incompressibles, assure Willy Lahaye, professeur de sciences de l’éducation à l’UMons. La question qui se pose n’est plus celle de la reproduction mais celle de la solidarité: comment vivre ensemble? Le célibataire a beaucoup de peine à s’intégrer dans un modèle sociétal qui ne pense l’économie de solidarité que sur des modes très archaïques, comme la famille et le transgénérationnel. Il faudrait une économie structurelle plus large, qui intègre aussi les célibataires, leurs modes de fonctionnement, leur précarité éventuelle et leur contribution au système.» Les types d’habitat, par exemple, pourraient être réimaginés au profit de logements plus transversaux et plus collaboratifs.

Les célibataires, des égoïstes?

Il faudrait, pour cela, que les représentations que le tout venant nourrit à propos des célibataires – des gens qui ne pensent qu’à eux et ne se préoccupent pas d’autrui – se modifient. «Ce n’est pas forcément la réalité, mais c’est la représentation qu’on en a, précise Willy Lahaye. La posture du célibataire est perçue comme s’il était indépendant par rapport à la reproduction du système social et n’apportait aucune touche personnelle au système de collaboration et de redistribution.» Un électron libre, en quelque sorte, pareil aux autres mais tellement différent… «Les réalités auront un jour raison de ces représentations, assure Willy Lahaye. Même si elles ont la vie dure.»

Les femmes ayant davantage de facilités à créer et entretenir du lien que les hommes, il leur sera plus simple de vivre leur situation de solo.

«La vie en solo devient plus facile à porter si l’individu, loin de faire passer sa carrière avant tout, est intégré dans une communauté sociale et s’implique dans des logiques de collaboration et de coopération, abonde le psycho- pédagogue Bruno Humbeeck. Avec une famille, vous faites d’emblée la preuve que vous êtes solidaires, généreux, dans un souci de production et de reproduction. Autrement dit, une forme d’altruisme naturel. Le célibataire, lui, est en rupture avec cette solidarité naturelle.»

Mais pas avec les autres: des études ont montré que les solos s’investissent davantage dans l’accompagnement de leurs parents et sont plus actifs socialement, alors que les personnes en couple, se repliant sur leur existence à deux, ont une vie sociale moins développée.

Fous du roi

Les stéréotypes ont la vie dure. Vanté sans beaucoup de nuances dans certains magazines ou séries comme Sex and the City, le célibataire suscite parfois l’envie. «J’aime mon célibat, dit Selin, 32 ans. J’ai beaucoup plus de temps pour moi, je ne dois jamais penser que quelqu’un m’attend.» Cette liberté peut faire fantasmer, jusque dans les couples où elle manque. «En effet, confirme Catherine. Mais beaucoup ont peur d’être seuls et tiennent à leur confort matériel.»

La possibilité de faire ce qu’on veut, quand on veut, avec qui on veut et comme on veut, dans la fantaisie la plus totale si les finances le permettent, ne manque pas d’attrait. «J’ai vite repeint ma porte, tant que je vis seul et que je peux décider moi-même de la couleur», avoue François, célibataire de 55 ans. L’idée de ne pas devoir sans cesse négocier avec son conjoint, pour la liste des courses, l’école des enfants ou la destination de vacances est tentante. «Le célibat choisi s’inscrit effectivement dans une socialisation liée aux amis et aux fêtes, qui constitue une contre-culture, vivifiante pour ceux qui la vivent», souligne Bruno Humbeeck. Une vie plus éloignée des préoccupations domestiques et plus proche des contacts sociaux, notoirement plus développés que ceux des personnes qui vivent en famille.

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Mais l’envie qu’ils suscitent est plutôt théorique et éphémère. Parce qu’en pratique, les couples tiennent à la sécurité affective qu’ils ont construite. «Les célibataires occupent un peu la fonction du fou du roi, résume Willy Lahaye. Une société a toujours besoin d’une figure emblématique différente pour construire son identité, en miroir. Le célibataire renforce ainsi l’identification du système que le couple privilégie, en incarnant ce qu’il ne faut pas devenir

S’ils ne font pas envie, les célibataires peuvent parfois faire pitié. «Je me suis inscrite sur Tinder sans y croire, raconte Sophie, 30 ans, dont quatre comme célibataire. J’y étais pour me souvenir, le dimanche soir, que je n’étais pas la seule dans le cas.» Car, même très entourés, ils éprouvent plus que les duos le sentiment de solitude. «C’est difficile de revenir dans sa famille, seule, le soir de Noël», raconte ainsi Manou. Se rendre seul au restaurant n’est pas forcément un plaisir. Idem pour les vacances. François achète toujours deux places quand il veut aller au théâtre et se débrouille pour trouver quelqu’un pour l’accompagner. «C’est parfois difficile d’exister à côté de couples, poursuit Manou. C’est souvent moi qui leur propose des sorties parce que c’est moi qui suis le plus en demande.»

Crétins et moches

Certains couples hésitent à inviter des célibataires, comme il arrive à ces derniers de décliner une invitation, tant il est parfois pénible d’incarner le nombre impair autour de la table, de rentrer seul et de sentir que les centres d’intérêt – le couple, les enfants, les projets immobiliers – ne sont plus partagés. «Quand il m’arrivait de faire une rencontre d’un soir, je me voyais mal la raconter en plein repas à mes amis en couple», résume Sophie. A la trentaine, les jeunes célibataires voient leur environnement changer, peuplé de couples et de bébés qui débarquent. Leur appartenance à une minorité se fait plus durement sentir et la pression sociale est plus forte. Il est plus commode, alors, de se retrouver entre célibataires. Surtout que les amis qui vivent à deux ne sont pas avares de tentatives pour caser le ou la solitaire à tout prix. «C’est pourquoi, je suis de plus en plus secrète avec eux», avoue Manou.

La personne qui vit seule peut aussi représenter un danger pour les couples. C’est du moins ce que pensent certains hommes et certaines femmes, rétifs à inviter un solo fraîchement largué à leur table. «Je ne vois pas en quoi une personne casée ne pourrait pas, elle aussi, séduire une autre personne en couple», soupire Sophie. Exact. Mais c’est ainsi. A croire que le célibat intrigue: «Comment se peut-il que toi, une femme belle, intelligente et drôle – ou un homme paré des mêmes vertus – tu vives seule?» Comme si seuls les crétins moches étaient célibataires. Ou comme si c’était leur faute.

A croire que le célibat dérange aussi. «On dirait que le bonheur ou le bien-être dans la vie célibataire n’est pas vraiment crédible, écrivent les démographes Marie Bergström et Géraldine Vivier dans leur étude «Vivre célibataire: des idées reçues aux expériences vécues». D’ailleurs, on demande “toujours seul?” et jamais “toujours en couple?”.»

Plafond de fer

En matière de célibat, hommes et femmes ne jouent pas (non plus) dans la même catégorie. D’abord parce qu’il y a statistiquement, dans les pays européens, plus de femmes qui vivent seules que d’hommes. Les premières ont une espérance de vie supérieure aux seconds. Ensuite parce que, désormais mieux formées que les hommes, les femmes cherchent à trouver des âmes sœurs qui leur ressemblent, alors que celles-ci sont numériquement plus rares. «Donc qui reste célibataire? , interroge Christine Schnor. Les hommes les moins instruits et les femmes les plus instruites. Beaucoup de femmes universitaires choisissent un homme moins instruit qu’elles mais occupé dans une fonction très masculine, ce qui rééquilibre le rapport.»

Je ne suis plus sûre de vouloir rencontrer quelqu’un. Mais quand je le dis, personne ne me croit…

Les hommes qui ont vécu une séparation reforment plus souvent et plus rapidement un couple – souvent avec une femme plus jeune – , contrairement aux femmes, à qui échoit généralement la garde des enfants. «Les femmes ayant davantage de facilités à créer et entretenir du lien que les hommes, il leur sera plus simple, psychologiquement et moralement, de vivre leur situation de solo, relate Pierre-Yves Wauthier. Elles auront aussi tendance à demander, recevoir et offrir plus d’aide que leurs homologues masculins.»

Les hommes assument aussi moins, quand ils sont en famille, le poids des charges ménagères. Pour les femmes qui se retrouvent seules, cela ne fait donc guère de différence en matière de charge mentale. En revanche, adieu les compromis! La trentaine passée, le taux de vie hors couple augmente pour les femmes sans jamais plus diminuer.

Car la question de la vie en solo pose également celle de la parentalité et, à ce titre, le temps se montre impitoyable avec les femmes, pas avec les hommes. On n’hésite pas à qualifier celles qui ne sont pas mères de «femmes excédentaires» en Chine et de «femmes parasites» au Japon.

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Entre 30 et 40 ans, période pendant laquelle le célibat est le plus lourd à porter, c’est presque plus la question de la maternité que celle du couple qui se pose. «J’ai dit à mes parents que je n’aurais jamais d’enfants pour qu’ils me laissent tranquille avec mon célibat», confirme Selin. A la quarantaine, la pression se relâche un peu. «Si vous êtes un homme, mariez-vous. Si vous êtes une femme, ne vous donnez pas cette peine», écrit Paul Dolan, professeur de sciences du comportement à la London School of Economics.

A l’appui de plusieurs études, il affirme que les femmes célibataires et sans enfant vivent plus longtemps, plus heureuses et en meilleure santé que les femmes mariées avec ou sans enfant.

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Pour ceux dont la vie de couple s’est interrompue, de leur chef ou non, la vie en solo se révèle souvent riche d’apprentissages. «Avec le recul, c’est bénéfique, assure Aline. Mon célibat forcé m’a permis de tout remettre en question: le couple, le patriarcat dominant, mes relations avec les gens. Je ne suis plus sûre de vouloir rencontrer quelqu’un. Mais quand je le dis, personne ne me croit… Je me sens mieux maintenant. Pour être heureux à deux, il faut d’abord être heureux seul. Je suis ravie de n’avoir rencontré personne pour avoir le temps de le comprendre.» Même sentiment pour Manou: «Ma perception du couple comme but absolu a changé. Je sais maintenant que le bonheur n’est pas de rester à deux à tout prix.» Et quand on goûte à cette forme de liberté, il est plus difficilement imaginable d’aimer quelqu’un de moins indépendant. L’ avenir de tous ces solos s’en trouve clarifié et prend souvent la forme d’un partage d’existences sous deux toits différents. Vivre ensemble sans être en bulle, en quelque sorte. Le rêve?

Combien?

Selon les registres de l’Etat civil, 2 555 780 personnes sont célibataires en Belgique, parmi les plus de 24 ans. Ce chiffre n’indique toutefois que le nombre de ceux qui ne sont pas mariés. «En d’autres termes, souligne-t-on chez Statbel, l’office belge de statistique, les personnes vivant ensemble légalement ou de facto sans être mariées appartiennent forcément à l’une des catégories suivantes, puisqu’il n’y en a pas d’autres: célibataires, divorcés ou veufs.»

Si l’on part du principe que ces chiffres correspondent malgré tout à la réalité, et que l’on ajoute aux célibataires déclarés les veufs de plus de 25 ans (648 811) et les divorcés de la même tranche d’âge (1 083 430), on arrive à un total de 4 228 021 individus sur une population adulte totale de 8 338 017 personnes, en 2022. Selon l’Etat civil, donc, un Belge sur deux vivrait seul. En 1992, le nombre de célibataires était de 863 907: il a été multiplié par trois en trente ans.

Si l’on se réfère aux chiffres de Statbel selon les typologies de ménages, 2 236 450 personnes sont considérées comme individus isolés et familles monoparentales. «Cela ne signifie pas que ces personnes ne vivent pas avec un partenaire», nuance-t-on chez Statbel. En outre, des célibataires peuvent être classés dans d’autres typologies de ménages: des parents chez qui un enfant trentenaire vit toujours seront ainsi considérés comme un couple marié avec enfant. Et un individu vivant seul peut tout à fait avoir une relation durable avec quelqu’un qui ne partage pas son habitat. Autrement dit? Le sujet est complexe et il est statistiquement impossible, en Belgique, de déterminer le nombre de célibataires qui le sont effectivement.

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Cet article a été publié pour la première fois en octobre 2022.

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