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Intenable, le modèle low-cost? « Ryanair n’est plus si bon marché que ça »

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Aucune solution miracle ni aucune technologie verte ne nous permettra de continuer à prendre l’avion sans se ruiner et sans états d’âme. La seule option est la marche arrière, évalue Bart Jourquin, professeur à l’UCLouvain, expert en transport, mobilité et logistique.

Malgré les grèves, l’aéroport de Charleroi a accueilli en juillet 865.129 passagers, soit 7% de plus que le même mois en 2019, avant la crise sanitaire. Le taux de remplissage des avions a également retrouvé son rythme de croisière.

On commence à connaître la chanson: ou vous pliez, ou c’est nous qui plions bagage. Doit-on encore prendre les menaces de Ryanair au sérieux?

C’est vrai que ce n’est pas une première. La compagnie a déjà formulé de telles menaces. Mais on sait aujourd’hui qu’elle est capable de les mettre à exécution. En Espagne, elle devait développer ses activités dans un tout nouvel aéroport. Comme les conditions avaient changé, elle a refusé de venir. J’ignore ce qui se passera pour la Belgique. Cet ultimatum met tout de même une certaine pression. Ce qui apparaît aussi de plus en plus clairement, c’est que le modèle d’affaires établi par le patron de Ryanair (NDLR: Michael O’Leary), qui est aussi lié à sa personnalité, commence à montrer ses limites. Cela ne l’empêchera pas d’en tirer profit au maximum, d’autant qu’il a certains atouts en poche, comme le fait que l’aéroport de Charleroi crée de nombreux emplois directs et indirects.

Les compagnies qui pratiquent ces tarifs dérisoires sont forcément conscientes que le modèle n’est plus tenable. Que font-elles pour anticiper le crash?

Le modèle low cost est assez particulier. Sur le plan technique, Ryanair utilise systématiquement les mêmes appareils, des Boeing 737, ce qui lui permet de limiter les coûts de formation des pilotes, de les faire changer de ligne facilement et d’avoir des pièces de stock. Au final, la compagnie a une force de négociation importante pour acheter des avions en grande quantité et pour s’implanter dans les aéroports les moins chers, là où les taxes sont les plus basses. Pendant des années, elle a rémunéré son personnel au salaire le plus bas possible en le maintenant sous statut irlandais. Aujourd’hui, même si les coûts restent très bas, avec des frais supplémentaires comme ceux liés aux bagages, ses vols ne sont plus si bon marché que ça. Si elle reste debout, c’est grâce à sa clientèle, essentiellement composée de touristes, qui continue à réserver des billets malgré la hausse des prix et le réchauffement climatique.

Les gens ne se voient pas exploiter eux-mêmes des travailleurs, par contre cela ne les dérange pas de prendre un vol sur lequel le personnel de bord travaille dans des conditions extrêmement difficiles.

La sécurité est aussi un bon incitant…

C’est un argument qui est régulièrement mis en avant. Ce qu’on oublie toutefois de dire, c’est qu’en Europe, toutes les compagnies sont sûres. Il n’y a donc rien d’exceptionnel à cela.

Les prix de certains vols sont effectivement quasi équivalents à ceux pratiqués par les compagnies classiques. Signe que les deux modèles se rejoignent?

Brussels Airlines joue la concurrence sur certaines lignes. Les plus rentables peuvent compenser le fait que les autres ne le sont pas. Le problème, c’est qu’à l’avenir, il faudra intégrer les vrais coûts du transport, y compris les coûts externes liés au bruit et à la pollution. Et encore, dans le modèle actuel, les aéroports que les compagnies low cost utilisent bénéficient d’une aide régionale et paient un prix très bas pour leur utilisation. C’est le cas pour celui de Charleroi qui a bénéficié de subsides pour se développer. Et tout le monde a dû payer pour ça. Non, définitivement, l’avion ne peut plus être ce qu’il a été. C’est déjà ce que je soutenais avant la crise du Covid. Il est vrai que pendant très longtemps, le transport aérien a fait rêver, notamment parce qu’il était réservé à ceux qui avaient les moyens de voyager. A la fin des années 1990, on a mis en évidence les avantages du modèle Ryanair et on a rendu les vols accessibles à tous. Mais aujourd’hui, la situation n’est plus tenable.

On en revient alors à un privilège de riches?

La vraie question à se poser, c’est: est-il réellement nécessaire de prendre l’avion pour aller en vacances? Est-ce vraiment raisonnable d’aller faire son shopping à Milan, de passer le week-end à Barcelone? Ces trente dernières années, la demande pour le transport a énormément augmenté. A titre d’exemple, la distance moyenne annuelle parcourue par un véhicule était de 10 000 kilomètres. Aujourd’hui, on en est à 15 000. Et que dire du transport de marchandises: c’est encore pire! On en est arrivé à manger des crevettes pêchées en mer du Nord et envoyées au Maroc pour être décortiquées!

Bart Jourquin, expert en transport, mobilité et logistique (UCLouvain).
Bart Jourquin, expert en transport, mobilité et logistique (UCLouvain). © DR

Penser que l’hydrogène, comme carburant vert, nous permettra de continuer à explorer le monde sans se ruiner et sans polluer, est-ce réaliste?

L’essentiel de nos moyens de transport est encore très carboné. Dans le secteur automobile, on a développé les voitures électriques qui, certes, ne polluent pas mais qui ne participent pas à la décongestion du trafic, lequel coûte chaque année 3,5 milliards d’euros à l’Etat. On a toujours fait croire à la population que le transport ne coûtait rien. Quant à l’hydrogène, on n’a pas encore trouvé de solution pour en produire en grande quantité et de manière verte. On pourra donc moins polluer en utilisant ce carburant mais pas en le produisant. A ce jour, nous n’avons pas d’alternative. Il faut regarder la situation de manière très simple: tant qu’on vendra des billets bon marché, on créera une demande artificielle.

Le rail, qui connaît une nouvelle phase de développement à travers son offre de trains de nuit, ne pourra jamais rivaliser avec l’avion…

On dit que le train est trop cher. En réalité, c’est l’avion qui l’est trop peu. La solution du rail existe et les trains de nuit restent une solution. On est dans une tendance rétro, dans le slow travel… Les gens se donnent bonne conscience en prenant le train et c’est très bien qu’ils le fassent. Ceux qui ne veulent pas voyager en train avancent aussi l’argument du temps de voyage: une heure d’avion contre quatre à cinq heures dans un wagon. Mais si on additionne le temps qu’on prend pour se rendre à l’aéroport, le temps d’attente avant d’embarquer, de rentrer dans l’appareil, on arrive à la même chose. Le train, qui plus est, vous dépose dans le centre et pas à 40 kilomètres de votre point de chute.

Le secteur aérien peine à recruter. Comment peut-il se montrer à nouveau attractif?

Les gens ne se voient pas exploiter eux-mêmes des travailleurs, par contre cela ne les dérange pas plus que ça de prendre un vol sur lequel le personnel de bord travaille dans des conditions extrêmement difficiles. On n’est plus du tout dans le rêve, là. Ce n’est qu’en améliorant ces conditions de travail et en répercutant les coûts sur les billets que le secteur pourra à nouveau se montrer attractif.

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