Franklin Dehousse

En Palestine, le festival mondial de l’hypocrisie en droit international

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Voici peu, la ministre Khattabi déclarait ignorer si le Hamas constituait un mouvement terroriste. On a peine à croire qu’une mandataire politique depuis plus de 20 ans, qui n’est certes pas à sa première déclaration sur le Moyen Orient, l’ignore. Surtout quand le mouvement en cause se délecte à diffuser sur internet certains de ses assassinats. Une autre explication, en revanche, paraît très crédible. Mme Khattabi a été une ministre du climat et de l’environnement poussive. Les élections approchent. Il est grand temps de se faire remarquer et d’adresser quelques signaux de connivence à l’électorat d’origine arabe.

Dans leur réaction, les représentants du MR adoptent un comportement miroir. Denis Ducarme défend les décisions européennes comme un nouvel évangile (et néglige de rappeler que l’ONU, elle, ne désigne pas le Hamas comme un mouvement terroriste, signe d’un léger malaise planétaire). Le président Bouchez qualifie le propos d’inacceptable et ajoute : « Nous devons être sans ambiguïté dans une lutte acharnée contre le terrorisme ».

Le racolage électoral du conflit israélo-palestinien

Hadja Lahbib
Hadja Lahbib est restée en poste, malgré son rôle dans l’invitation d’une délégation iranienne

Les élections approchent. Il est grand temps de se faire remarquer et d’adresser quelques signaux de connivence à l’électorat juif. On a peine à croire que, quelques mois avant, la ministre Lhabib invitait avec sourire à Bruxelles des Iraniens considérés comme une menace terroriste avérée. Comme le rappelle bien le Prof. Behrendt dans Le Soir, il s’agissait en terme de responsabilité ministérielle, d’un acte fort lourd. Pourtant, Bouchez l’a défendue avec acharnement.

De même, sur la Palestine, de nombreux « ténors » de la politique belge (de Croo, Magnette et autres Michel…) ont trouvé une prudente formule passe-partout : Israël a le droit de se défendre, mais en respectant le droit humanitaire. Elle offre le charme d’éviter des questions délicates. Cisjordanie et Gaza sont désignées par l’ONU comme des territoires occupés, ce qui ne va pas sans conséquences. Faut-il donc respecter seulement le droit humanitaire, et violer les autres branches du droit international ? Le premier ministre a fini par percevoir le problème, et a en partie corrigé son tir. Mais même lui n’explique pas clairement ce qu’il convient de faire par rapport à une occupation israélienne illégale depuis 50 ans.

En Europe, la plupart des Etats membres soutiennent Israël, sans même évoquer cette occupation illégale

L’hypocrisie est générale, en Europe et dans le monde

Olena Selenska Roberta Metsola, et Ursula von der Leyen © Belga

L’hypocrisie est générale, en Europe et dans le monde. En Europe, la plupart des Etats membres soutiennent Israël, sans même évoquer cette occupation illégale (à de rares exceptions, comme l’Irlande). Ursula von der Leyen offre un symbole fort de ce soutien illimité. Selon elle, Israël a non seulement le droit, mais encore le devoir, de se défendre. Elle liquide ainsi la stratégie nuancée de l’Europe depuis 1980. Avec sa collègue Roberta Metsola, elle visite même Israël en battle dress (avant que Metsola soit évacuée des photos par les services de von der Leyen – Bruxelles, ton univers de propagande impitoyable).

Par la suite, von der Leyen comme Metsola oublient de remettre leur beau battle dress pour aller défendre les civils de Gaza, qui meurent pourtant en nombre dix fois plus grand. Von der Leyen reviendra encore en exigeant des élections en Palestine, mais en refusant en même temps la participation du Hamas. Ainsi, selon la conception européenne de la démocratie, les électeurs doivent maintenant voter, à condition d’élire les dirigeants acceptés par les dirigeants européens. Merveilleuse défense de l’Etat de droit.

Allemagne, France, Etats-Unis, Russie, Chine: la faillite du droit international

Dans cet esprit, l’Allemagne multiplie les entraves aux manifestations pro-palestiniennes. Quant à la France, les multiples incohérences de Macron, parmi lesquelles la grandiose proposition d’entamer une croisade avec Israël, l’ont rendue non seulement irrelevante, mais ridicule. Les Etats-Unis ne font guère mieux. Certes, le président Biden souligne qu’Israël s’engage dans une voie dangereuse. Le secrétaire d’Etat Blinken regrette avec régularité que la réaction israélienne est disproportionnée. Hélas, cela reste peu crédible quand arrivent sans cesse des containers de bombes américaines directement utilisées pour la pulvérisation de Gaza.

Obama semble rester le seul à l’avoir compris d’emblée

Pire, les USA bloquent une résolution des Nations Unies visant à interrompre les combats à Gaza. Ils offrent ainsi un cadeau extraordinaire à la Russie et la Chine, qui se retrouvent à la tête d’une grande coalition mondiale en faveur de la paix. Hypocrisie chez elles aussi, bien sûr. La Russie critique ainsi à Gaza les comportements qu’elle adopte en Ukraine (et que la Chine soutient). Il n’empêche : chaque semaine où le gouvernement israélien continue sa stratégie de destruction systématique, la crédibilité internationale des Etats-Unis et de l’Europe sombre davantage. Obama semble rester le seul à l’avoir compris d’emblée.

Comment Israël se moque de l’ONU, sans qui l’Etat hébreu n’existerait pas

En effet, le gouvernement israélien non seulement viole sans cesse les règles internationales, mais il manifeste une hostilité vitriolique à l’égard des Nations Unies, organisation sans laquelle Israël n’aurait pourtant jamais existé. L’assassinat par dizaines du personnel de l’ONU est assumé avec une indifférence, et même une morgue, extraordinaire. Pour se justifier, le gouvernement Netanyahu vient avec une étoile jaune au Conseil de sécurité, et se prétend dans un nouvel Holocauste.

Pourtant, comme l’indique le courageux directeur de Yad Vashem, les situations ne peuvent être comparées, et pareille utilisation de l’étoile constitue une disgrâce « pour les victimes de l’Holocauste et l’Etat d’Israël ». Par ailleurs, la politique de Netanyahu a renforcé la popularité du Hamas. Il a d’ailleurs lui-même aidé le Hamas, pour mieux diviser les Palestiniens. Et il a négligé les avertissements de sa propre police, contribuant au succès de l’attaque d’octobre. Netanyahu a une responsabilité essentielle dans la crise actuelle.

Pourquoi la réplique israélienne est disproportionnée en regard du droit international

Plus fondamentalement, le gouvernement israélien qualifie les Palestiniens d’ « animaux humains », les traite depuis des décennies comme des « untermenschen », les menace de la bombe atomique, détruit de façon systématique les infrastructures de Gaza, y organise les famines et les épidémies, et couvre les pogroms menés par les colons israéliens en Cisjordanie. L’offensive israélienne actuelle évoque moins des représailles qu’une opération destinée à évacuer définitivement les Palestiniens et un sauvetage à tout prix non des otages israéliens, mais de Netanyahu lui-même. (En cela, Israël reproduit de multiples exemples historiques de pays, commençant par les Etats-Unis ou la Chine, invoquant le droit international en position de faiblesse, et le bafouant par la suite en position de force. Rien de nouveau.)

Le sabordage du pouvoir judiciaire par Netanyahu épouse celui d’Orban, et pour les mêmes motifs de corruption

Par leur soutien lâche à cette opération, les dirigeants occidentaux courent un risque majeur. Ils appuient en réalité une politique de plus en plus raciste et autocratique (le sabordage du pouvoir judiciaire par Netanyahu épouse celui d’Orban, et pour les mêmes motifs de corruption). On n’est plus au temps de Ben Gourion et Golda Meir. Surtout, ils appuient une offensive de colonisation qui, à bien des égards, ne diffère guère de celle de Poutine en Ukraine. Ce faisant, ils fragmentent à la fois leur opinion, et la communauté internationale, tant sur l’Ukraine que sur Taïwan.

La politique du Hamas ne favorise pas une solution à deux Etats

Cela ne signifie en rien que le camp opposé à Israël manifeste davantage de respect pour le droit international. Les assassinats de civils par le Hamas ne poursuivent pas du tout une solution à deux Etats, mais l’annihilation d’Israël. Tous les gouvernements arabes, ainsi que l’Iran, défendent en théorie les Palestiniens sans rien faire en pratique pour eux, et en opprimant leur propre population au mépris des droits humains.

Quant à leur solidarité musulmane réelle, elle se mesure à leur silence assourdissant sur le traitement discriminatoire de leurs coreligionnaires en Russie, et surtout en Chine. Quand leur intérêt financier parle, leur religion se tait. La femme du président iranien offre un symbole répugnant de ce cynisme, en pleurnichant sur le sort des jeunes Palestiniens, au moment même où les jeunes Iraniennes se font sans cesse incarcérer, violer, torturer et pendre dans les prisons de son propre pays.

Jamais le droit international et l’ONU n’ont été aussi peu défendus, et respectés

Que diront les politiciens occidentaux, après avoir assisté avec discrétion la destruction des Palestiniens ?

En réalité, jamais le droit international et l’ONU n’ont été aussi peu défendus, et respectés. Tout le monde en use et en abuse, dans son propre intérêt, ce qui représente une menace considérable. Non seulement pour les civils directement impliqués dans le conflit, tant israéliens que palestiniens, pour les pays occidentaux, pseudo défenseurs du multilatéralisme, ou pour l’avenir d’Israël, mais surtout pour la paix et les droits humains partout dans le monde. Chaque violation non combattue, ni même contestée, du droit international, rend d’autres violations plus probables dans le futur. Que diront les politiciens occidentaux, après avoir assisté avec discrétion la destruction des Palestiniens, quand la Russie appliquera demain le même traitement aux Ukrainiens, et la Chine peut-être après demain aux Taïwanais ? Ou quand, lors de conflits en Afrique ou en Asie, on liquidera froidement des agents de l’ONU ?

Cette crise constitue un nouveau symptôme, hélas, de la dégénérescence du droit international. Ce n’est pas un hasard si un rapport de l’institut stratégique IISS souligne la prolifération des conflits armés. Signe des temps, plusieurs généraux viennent d’ailleurs d’avertir le public de la nécessité de se préparer à une guerre entre l’Europe et la Russie (un constat que les politiciens européens auraient dû assumer eux-mêmes s’ils n’étaient pas aussi médiocres).

Récemment, une manifestante a été arrêtée à Berlin pour avoir, dans une démonstration solitaire, arboré  le panneau : « Comme Juive et comme Israélienne, arrêtez le génocide à Gaza ! » Non seulement elle défendait l’honneur d’une espèce humaine en perdition, mais elle semble avoir bien mieux compris que les dirigeants actuels la pensée de Donne, reprise bien plus tard par Hemingway : si tu entends sonner le glas, ne demande pas pour qui il sonne, car il sonne pour toi.

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