En 2021, la façade du MR, traditionnellement plus proche des positions israéliennes, avait été taguée. © x (EX-TWITTER)

En Belgique, comment le soutien à Israël est devenu un marqueur de droite

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

En Belgique, la gauche est plutôt propalestinienne et la droite plutôt proisraélienne. Mais ça n’a pas toujours été le cas.

Le fascisme canal TikTok historique, c’est lui. L’actualité du conflit israélo-palestinien doit le démontrer à ses milliers de followers. Poings serrés, haltères neufs en mains, idées vieilles en tête, Dries Van Langenhove a remis les choses au point.

A l’extrême droite, le Vlaams Belang en Flandre, Chez Nous en Wallonie et le Rassemblement national en France ont adopté, depuis les attaques terroristes du 7 octobre, une position inconditionnellement solidaire de l’Etat hébreu. Une erreur selon lui, et une rupture, entamée depuis quelques années déjà, avec le traditionnel antisémitisme de l’extrême droite européenne.

Mais l’ancien député Vlaams Belang, qui a quitté la Chambre le temps de mener sa défense dans son procès pour négationnisme et racisme, lui, s’énerve de cette rupture historique, contre ceux, parmi ses camarades, qui lui disent: «Les juifs sont contre les musulmans, je suis contre les musulmans, alors je suis pour les juifs», explique-t-il en quelques reps pour biceps. Il leur demande «ce qu’Israël a jamais fait pour nous», et précise que «la civilisation judéo-chrétienne, ça n’existe pas, regardez comment l’Ancien Testament veut imposer de traiter les non juifs». Cette primauté querellée, entre haine des juifs et rejet des musulmans, à la droite de la droite, s’accompagne d’autres recompositions, qui ont fait aujourd’hui du conflit au Proche-Orient un marqueur politique en Occident. En plus d’un siècle, l’alignement sur Israël s’est droitisé, en Belgique comme ailleurs. Le rapport des politiques belges aux deux autres religions du Livre, et à ceux qui les pratiquent, a lui aussi beaucoup évolué, et ceci n’est pas sans effet sur cela.

Emile Vandervelde choisira franchement la cause sioniste.

«La préférence à l’aryen»

Le royaume de Belgique est relativement peu concerné par les effroyables vagues d’antisémitisme qui traversent l’Europe à la fin du XIXe siècle. Seuls 13 200 Juifs sont recensés en Belgique en 1892 (ils étaient huit cents en 1808, et seront nonante mille, après les premières années de persécutions nazies, en 1940), et ceux-ci ne sont pas encore sionistes, puisqu’on date la naissance de ce mouvement à 1896, avec la publication de L’Etat des Juifs, de l’Autrichien Theodor Herzl. Plusieurs personnalités politiques, néanmoins, s’illustreront par une judéophobie précoce, qui ira croissante, évidemment, dans l’entre-deux-guerres. Celles-ci seront à trouver dans le monde catholique, d’où provenaient tant Léon Degrelle que Joris Van Severen ou Staf De Clercq, mais aussi dans le pilier socialiste, où Jules Destrée, et surtout l’avocat, universitaire et sénateur Edmond Picard, qui jusqu’à la fin de sa vie (en 1924), prôna «l’exclusion du Juif des fonctions gouvernementales, le parti pris raisonné de ne lui laisser aucune part dans la direction de notre civilisation, de donner en toute chose la préférence à l’aryen».

Face au sionisme, concrétisé par la colonisation en Palestine, puis par l’indépendance d’Israël, le pilier catholique belge se montrera, au moins jusqu’aux années 1970, toujours préoccupé d’une question, centrale pour son électorat, évoquée dans chaque paroisse: le devenir des lieux saints du christianisme. C’est pour cette raison qu’alors que la Première Guerre mondiale se termine et que l’Empire ottoman s’effondre, d’éminents membres de l’Eglise belge, le cardinal Mercier en tête, envisagent que la Belgique exerce, après le conflit, un mandat colonial sur la Palestine. En France, Clemenceau est séduit par l’hypothèse. Le Vatican, même, pousse. Mais l’Angleterre surpuissante veut à tout prix imposer là son influence, et les nations victorieuses la feront puissance mandataire.

«Le valet des Juifs»

Dans le monde ouvrier, l’antisémitisme de Destrée et Picard n’est pas partagé par deux influents socialistes. L’Anversois Camille Huysmans, qui fut bourgmestre, Premier ministre, secrétaire de la Deuxième Internationale et président de la Chambre des représentants, pesa pour qu’en 1919, le sionisme soit reconnu par l’Internationale comme «mouvement de libération nationale du peuple juif».

Après la Seconde Guerre mondiale, alors que le ministre des Affaires étrangères Paul-Henri Spaak, socialiste lui aussi, estimera que «pour un grand nombre de nos compatriotes, la justesse de la cause juive n’apparaît pas comme une réalité suffisamment établie», Huysmans insiste, victorieusement, auprès de son camarade pour que la Belgique vote le plan de partage de la Palestine à l’Assemblée générale des Nations unies. Pour ses 70 ans en 1951, un quartier de la ville de Rishon LeZion, dans la zone métropolitaine de Tel-Aviv, sera baptisé Beth-Maon en son hommage. Toute sa vie, Huysmans sera ainsi taxé d’accointances coupables avec la communauté juive, très implantée à Anvers. Avant-guerre, il sera «den Jodenknecht (le valet des Juifs) Huysmans» pour la droite, qui, adoucie après la Shoah, n’osera plus l’accuser que de clientélisme électoral, soit de parler «le langage de celui dont on mange le pain», selon l’expression alors fréquente dans la presse catholique.

Pendant la Guerre des Six-Jours, une manifestation de soutien à Israël avait rassemblé 20 000 personnes à Bruxelles. On distingue sur cette photo trois anciens Premiers ministres, Paul-Henri Spaak, Théo Lefèvre et Pierre Harmel.
Pendant la Guerre des Six-Jours, une manifestation de soutien à Israël avait rassemblé 20 000 personnes à Bruxelles. On distingue sur cette photo trois anciens Premiers ministres, Paul-Henri Spaak, Théo Lefèvre et Pierre Harmel. © PHOTO NEWS

Dans l’entre-deux-guerres, le sionisme est de moins en moins minoritaire parmi les Juifs de Belgique, qui, dans certains secteurs, l’industrie textile notamment, affilieront des sections juives dans les organisations syndicales. Mais le socialiste le plus illustre, Emile Vandervelde, choisira franchement la cause sioniste. En 1919, avec Huysmans, il fera entrer le Poale Zion, un parti ouvrier sioniste, dans une Internationale jusqu’alors réticente. En 1929, il publie Le Pays d’Israël. Un marxiste en Palestine, récit – en fait coécrit avec son épouse Jeanne – d’un voyage de plusieurs semaines à travers la Palestine mandataire, à l’invitation du Comité exécutif sioniste. «A de rares exceptions, y écrit-il, tout ce qui s’est fait de neuf en Palestine, depuis la guerre, a été l’œuvre des Juifs», et, «en outre, du point de vue humain, le sionisme constitue l’un des plus merveilleux efforts idéalistes de ce temps». Le collectivisme intégral de plusieurs colonies juives semblait un louable contre-modèle à la nationalisation autoritaire de l’économie pilotée par les adversaires bolcheviques du «patron» du Parti ouvrier belge. Pour Vandervelde comme pour l’ensemble de la gauche sioniste d’alors, ceux qui «dans un élan de joyeuse espérance, veulent bâtir la Cité de l’Avenir» en Palestine y entraîneraient avec eux leurs voisins musulmans, car «il n’y a pour eux de perspectives d’avenir que dans une entente, une coopération pacifique, entre les fils d’Israël et les fils d’Ismaël». Côté libéral, l’ancien président du Sénat Charles Magnette, liégeois, laïque et franc-maçon, dirigera un comité «Belgique-Palestine» favorable, lui aussi, à l’installation de colonies juives.

Pour le pilier catholique belge, la question centrale est celle du devenir des lieux saints du christianisme.

«Le destin le plus douloureux»

Après l’indépendance de 1948 et la guerre israélo-arabe de 1948-1949, après quelques hésitations, notamment celles de Spaak, la Belgique politique se rangera fermement dans la défense de la survie d’Israël. La culpabilité consécutive au génocide, et l’ancrage solide, en pleine guerre froide, de l’Etat juif dans le camp atlantique, y contribuèrent.

Le social-chrétien Pierre Harmel déclarera, dès les premières heures de la Guerre des Six-Jours, en 1967, combien «nous songeons à protéger l’existence d’Israël, peuple dont le destin, au cours de ce siècle, fut sans doute plus tragique et plus douloureux que celui de tout autre peuple».

Ce conflit marqua, pour la Belgique en tout cas, un zénith de sympathie proisraélienne. A Bruxelles, une manifestation de solidarité avec Israël rassembla plus de vingt mille personnes.

Au premier rang du cortège, parmi tant d’autres, l’ancien (et prochain) Premier ministre Gaston Eyskens, président d’un Comité de solidarité pour Israël, Norbert Hougardy, futur président libéral, le socialiste Paul-Henri Spaak ou l’ancien Premier ministre Théo Lefèvre.

Six ans plus tard, le 16 novembre 1973, juste après la guerre du Kippour, un appel fut publié dans le quotidien Haaretz et titré «Israël n’est pas isolé». Parmi les signataires de ce «rassemblement pour Israël», outre Gaston Eyskens, les socialistes Pierre Vermeylen et Louis Major, les libéraux Albert Lilar, Frans Grootjans et Norbert Hougardy, mais aussi Jean Gol (alors au Rassemblement wallon) ou Roger Nols (alors au FDF).

A portée d’haltères

Mais Israël occupe depuis 1967 la Cisjordanie et Gaza, et la cause palestinienne reçoit, en Europe, de plus en plus de sympathies. A la gauche de la gauche, parmi une jeunesse universitaire qui se radicalise, mais pas seulement.

Ainsi Ernest Glinne, animateur de l’aile gauche du PS, très impliqué dans les questions internationales, sera-t-il un très précoce propalestinien, en ligne avec la charte de l’Organisation de libération de la Palestine, comme Amada-TPO (Tout le pouvoir aux ouvriers), ancêtre du PTB et très tôt connecté aux formations, arabes comme juives, hostiles à une solution à deux Etats.

L’Association Belgo-Palestinienne, fondée en 1976, est clairement ancrée à gauche, et assez proche de la gauche du PS. Pierre Galand, qui en fut un des fondateurs avec Marcel Liebman (ULB), en sera président à partir de 1986. Il sera également sénateur PS pendant les années deux mille, en se faisant, de sur’croit, soutenir dans ses campagnes par ce qu’il restait du Parti communiste.

Comme en miroir, le soutien à Israël, alors, se droitise peu à peu. En Belgique même, des attentats, souvent de revendications propalestiniennes, contre la communauté juive contribuent à attirer certains de ses membres vers les formations de droite, et vice versa. Celle-ci était pourtant historiquement, à Bruxelles et à Anvers, plutôt proche des partis socialistes. La très forte droitisation du paysage politique israélien, où la gauche, jadis presque hégémonique, est aujourd’hui marginale, a eu à cet égard des effets en Belgique.

En outre, l’accession à la citoyenneté de musulmans belges, réputés sensibles à la cause palestinienne, et qui votent assez massivement à gauche (en 2007, 50% des musulmans bruxellois avaient choisi le PS) a consolidé ce nouvel alignement. Aujourd’hui, c’est à droite et au centre que l’on trouve les plus sincères soutiens à la politique israélienne, et que l’on reçoit le plus d’insultes propalestiniennes. C’est là aussi qu’on trouve les représentants les plus explicites de la communauté juive de Belgique, dans les deux dernières villes où elle est présente, et dont il n’est pas rare de voir le portrait de campagne affiché dans les synagogues: les Bruxellois Viviane Teitelbaum au MR et Marco Lowenstein chez DéFI (les deux seuls partis à avoir acheté de l’espace publicitaire, en 2019, dans le magazine Regards du CCLJB), l’Anversois Michael Freilich à la N-VA. Le cas de Mischaël Modrikamen est à cet égard exemplaire. Fils d’un résistant juif, qui fut échevin socialiste carolo et patron des mutualités locales, l’avocat des actionnaires de Fortis a fondé, en 2009, le Parti populaire. Un temps vice-présidé par l’ancien président du Comité consultatif des Organisations juives de Belgique, Joël Rubinfeld, leur PP se rangeait, clairement, à la droite de la droite de l’échiquier politique. A portée d’haltères de Dries Van Langenhove.

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