Charles Michel et Ursula von der Leyen © AFP

L’Union européenne, du côté d’Israël? « On assiste à une grande démission au Proche-Orient »

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Ce 17 octobre, un sommet européen, convoqué en urgence par Charles Michel, doit redéfinir la position de l’Union sur la guerre entre le Hamas et Israël. Le président belge du Conseil européen rappelle ses troupes à l’ordre après deux prises de position maladroites ces dernières semaines.

Acte I : le 9 octobre, le commissaire européen Oliver Varhelyi, chargé de la politique de Voisinage de l’Union européenne, annonce que la Commission stoppe son aide au développement de la Palestine. L’annonce, non-concertée, fait l’effet d’une bombe. Et force l’exécutif européen à faire marche arrière : l’aide humanitaire aux territoires palestiniens ne sera pas suspendue. À l’inverse, elle est portée à 75 millions d’euros, soit trois fois plus qu’avant l’attaque du Hamas. L’aide au développement, elle, fera l’objet d’un examen ultérieur.

Acte II : le 13 octobre, la présidente de la Commission Ursula Von der Leyen visite Israël. Au Premier ministre Benyamin Netanyahou, elle déclare que l’Europe se tient “aux côtés d’Israël”. Que le Hamas est le “seul responsable de ce qui se passe”. Et qu’elle sait que « la réaction d’Israël montrera qu’il s’agit d’une démocratie ». La présidente de la Commission est pointée du doigt par plusieurs députés européens, qui demandent plus de nuance dans la position européenne sur le conflit.

Acte III : le président du Conseil européen Charles Michel remet l’église au milieu du village. “Il est de la plus haute importance que le Conseil européen, conformément aux traités et à nos valeurs, définisse notre position commune et établisse une ligne de conduite claire et unifiée qui reflète la complexité de la situation actuelle”.

L’Union européenne, du côté d’Israël ?

Elena Aoun, chercheuse à l’UCLouvain qui travaille depuis 20 ans sur la politique européenne au Moyen-Orient, pose un double constat après ces prises de position. « J’y vois d’abord une tension entre la position des responsables européens et celle des Etats-membres. Secundo, cela témoigne d’un alignement significatif en faveur d’Israël au sein de l’Union ».

Saskia Bricmont, eurodéputée Les Verts/ALE

“Les actes de terreur ne sont jamais justifiés et les civils ne peuvent jamais être des cibles”, martèle l’eurodéputée Ecolo Saskia Bricmont, membre du groupe Verts/ALE. “Le gouvernement israélien a le droit de défendre sa population face aux attaques terroristes du Hamas. De la même manière, la réplique d’Israël doit être proportionnée et doit donc viser le Hamas et la libération des otages. Israël ne peut imposer de punition collective aux civils palestiniens, déjà doublement victimes : des terroristes du Hamas et du blocus imposé par Israël. L’urgence est à un cessez-le-feu immédiat dans la Bande de Gaza, où un véritable désastre humanitaire est en cours. Mettre fin au bain de sang, au drame humanitaire, à la souffrance humaine doit être la priorité de la communauté internationale.”

« De nombreux Etats-membres ont soutenu Israël sans lui demander aucune retenue dans sa réaction »

Elena Aoun (UCLouvain), spécialiste de la politique européenne au Moyen-Orient

Pour Elena Aoun, l’Union européenne manque de prudence dans le dossier israélo-palestinien. « De nombreux Etats-membres ont soutenu Israël sans lui demander aucune proportionnalité ou retenue dans sa réaction ». Une réplique sanglante de l’Etat hébreu, dont les bombardements ont déjà fait plus de 2.750 morts dans la bande de Gaza, dépassant largement les 1.400 décès causés par l’attaque terroriste du Hamas côté israélien.

La position ‘équidistante’ de l’Union dans le conflit, du passé

Traditionnellement, les 27 Etats-membres adoptent une position dite ‘équidistante’ sur la question israélo-palestinienne. L’Union militait activement pour les processus de paix, comme le montrent les accords d’Oslo, signés en 1993 et censés poser les jalons d’une résolution du conflit israélo-palestinien. « L’Union européenne, dans les années 80, avait largement contribué à légitimer les aspirations du peuple palestinien à l’auto-détermination. Elle devançait les Etats-Unis en la matière ».

Une posture équidistante de l’Union qui a « volé en éclat » au début des années 2000, pour trois raisons, estime la chercheuse, qui se dit « surprise » :

  1. « L’Union européenne, en s’élargissant en 2004, revoit sa politique étrangère et se rapproche d’Israël. En parallèle, quasi plus rien n’est fait pour favoriser les processus de paix ».
  2. « Plusieurs Etats et dirigeants se sont distanciés du droit international humanitaire. Si la Commission a revu sa position quant à l’aide humanitaire aux Palestiniens, plusieurs Etats comme l’Allemagne, la Suède ou l’Autriche ont déclaré qu’ils allaient couper le robinet des aides. Et la formulation du soutien sans faille à Israël ne s’est pas accompagnée d’un rappel du contexte palestinien. Ni de la nécessité de résoudre le conflit, ni d’épargner les civils. C’est une véritable rupture ».
  3. « Dans certains pays comme l’Allemagne et la France, on cherche à couper la parole des soutiens aux Palestiniens, sur les questions d’occupation et de colonisation israélienne ».

« On assiste à une grande démission de l’Union européenne par rapport à sa politique au Proche-Orient »

Plus largement, Elena Aoun a l’impression d’un certain fatalisme dans les discours des dirigeants européens. « Alors que l’attaque du Hamas rappelle impérieusement qu’il faut trouver une solution pour les Palestiniens. On assiste à une grande démission de l’Union européenne par rapport à sa politique de voisinage au Proche-Orient ». Selon la spécialiste de l’approche européenne au Moyen-Orient, de nombreux observateurs s’attendaient à une telle explosion du conflit depuis des années. « Jusqu’à l’attaque du Hamas, l’Europe se contentait de nourrir les Palestiniens ».

Après le sommet extraordinaire de ce mardi convoqué par Charles Michel, les eurodéputés débattront mercredi de l’attaque du Hamas qui a visé Israël. Face à la succession de drames au Proche-Orient, qui touchent des individus de toutes les confessions, Saskia Bricmont appelle l’UE à adopter une position ferme et en ligne avec ses valeurs et le droit international pour sortir du conflit israélo-palestinien.

“L’UE doit contribuer activement à la relance des efforts de paix et y entraîner ses partenaires de la communauté internationale avec un objectif : la résolution d’un conflit qui n’a que trop duré et la recherche d’une paix durable. Le respect du droit international et des droits humains doit toujours être notre boussole. Et aucune violation de ces droits ne peut bénéficier d’impunité. Ni de la part de terroristes du Hamas; ni de la part d’un gouvernement démocratiquement élu. Le courage politique doit être de mise même si l’Histoire rend la critique de la politique israélienne difficile, elle doit être dissociée de l’antisémitisme qui relève, lui aussi, d’un crime. Les crimes de guerre commis par le gouvernement Netanyahou doivent être dénoncés, le deux poids deux mesures est inacceptable. ”            

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