Jules Gheude

Affaire du greffier: la Wallonie est-elle impossible à gérer proprement ?

Jules Gheude Essayiste politique

Avec l’affaire du greffier du parlement, la Wallonie est confrontée à un nouveau scandale, estime l’essayiste politique Jules Gheude. Qui s’interroge: est-il possible de gérer le sud du pays proprement, sans faire passer l’intérêt particulier avant l’intérêt général ?

La Wallonie serait-elle frappée d’une quelconque malédiction ? Incapable de retrouver le chemin de la prospérité en dépit des plan successifs de redressement (on ne les compte plus !), la Région se voit de nouveau confrontée à une « affaire » qui la frappe cette fois  à l’échelon le plus élevé, à savoir la présidence  de son Parlement.

L’affaire éclate le 12 septembre dernier, lorsque les médias révèlent que Frédéric Janssens, le greffier du Parlement de Wallonie, étiqueté libéral, fait l’objet d’une plainte déposée par l’un de ses agents auprès de l’Auditorat du Travail de Namur. L’agent concerné dispose d’un enregistrement qui en dit long sur le « style managérial » de son patron. 

 « Tu as vu comment je te l’ai dézingué ! J’ai eu sa peau comment ? Avec des procédés odieux.  Tu veux que j’utilise ces procédés avec toi ? T’es à la morgue à midi ! »

Très vite, les langues vont se délier pour évoquer un « climat de terreur ». Le 14 septembre, le Bureau du Parlement décide de suspendre le greffier pour une durée de six mois, avec maintien de son salaire (9000 euros net/mois). Et le président Jean-Claude Marcourt d’expliquer : « Il y a un ressenti de la part du personnel qui ne s’est jamais exprimé officiellement. J’ose croire que cette mesure forte permettra de libérer la parole et de mettre les choses à plat. »

L’enquête va permettre de mettre à jour le pouvoir exorbitant de Frédéric Janssens, notamment au niveau des dépenses engagées pour certains chantiers. Un rapport révèle ainsi que le coût de la construction de la future Maison des Parlementaires est aujourd’hui estimé à 46 millions d’euros, soit quatre fois plus que le montant initialement prévu. Quant à la facture relative à la construction des quelques mètres de tunnel reliant le parking du Grognon au Parlement, elle est passée d’ un à trois millions d’euros.

C’est alors que l’on apprend que le greffier avait quasiment les pleins pouvoir et prenait les décisions par « délégation générale » sans en référer au Bureau. Il agissait en électron libre.

Tous ces éléments ont été confirmés par l’émission « Investigation » que la RTBF a diffusée ce 6 décembre. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Frédéric Janssens ne s’embarrassait pas de gérer les maigres deniers wallons qui subsistent « en bon père de famille ». En témoigne l’organisation de ce voyage à Dubaï (Exposition universelle) du 11 au 15 novembre 2021, en compagnie du président Jean-Claude Marcourt, pour un coût total de 19.000 euros.

Lorsque le journaliste de la RTBF lui révèle certains détails de la facture, Jean-Claude Marcourt ne peut cacher son embarras : « Vous me l’apprenez. ».

Pour Paul Magnette, le président du PS, la coupe est pleine. Et de demander la démission collective du Bureau du Parlement (Jean-Claude Marcourt PS ; Jacqueline Galant, MR ; Manu Disabato, Ecolo ; Sybille de Coster-Bauchau, MR). Pour Elio Di Rupo aussi, la coupe était pleine en 2005 : « J’en ai marre des parvenus ! Il n’y a pas de place au PS pour les parvenus ! » Mais ce coup de gueule n’a pas empêché les « affaires » de se reproduire : Nethys, le Samusocial à Bruxelles…

Aujourd’hui, c’est le MR qui est visé en la personne de Frédéric Janssens. Mais la responsabilité du Bureau du Parlement, et singulièrement celle de son président Jean-Claude Marcourt, est aussi clairement engagée.

Il semble qu’il soit impossible, en Wallonie, de gérer proprement, sans recourir à la manigance, sans jouer des coudes pour faire passer l’intérêt partisan avant l’intérêt général.

On se souvient qu’en 2005, la presse avait fait état d’une « intervention » de Jean-Luc Marcourt, alors ministre wallon de l’Economie, auprès de sa collège Marie-Dominique Simonet pour l’octroi de la licence d’exportation d’armes à New Lachaussée, entreprise liégeoise appartenant au groupe Forrest International, dont Jean-Claude Marcourt avait été l’avocat…

Tout cela nous amène à rappeler l’impérieuse nécessité du contre-pouvoir. Car, pour reprendre la fameuse citation de Lord Acton, « le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument. »

Frédéric Janssens n’est malheureusement pas un cas isolé. Nombreux sont celles et ceux que la relation pouvoir-argent amène à avoir la grosse tête, qui abusent de leur autorité et ne supportent pas de la voir contestée. Il faut une réelle force de caractère pour ne pas verser dans la dérive.

Le fantasme des grosses cylindrées avec chauffeur que l’on n’hésite pas à utiliser à des fins personnelles, le népotisme qui permet de désigner successivement au même poste le mari de son ex-épouse, son ex-épouse et le beau-frère de celle-ci , la fréquentation immodérée des bonnes tables, les dressings bien fournis, car représentation oblige… Autant d’éléments qui vous amènent à être déconnecté de la réalité et à vous croire tout permis.

Dans l’émission de la RTBF, le journaliste montre à l’ancien président du Parlement wallon, André Antoine, une séquence où il fait un éloge appuyé de Frédéric Janssens, n’hésitant pas à le recommander « si vous désirez passer une soirée réussie ». Vif embarras d’Antoine, qui finit par avouer qu’il y avait bien eu « certaines rumeurs ».

Toujours est-il qu’un membre féminin du greffe confirme avoir rencontré personnellement André Antoine pour lui exposer les motifs de sa démission : Frédéric Janssens était sur le point de la démolir psychologiquement.

Cette affaire intervient alors que la Wallonie connaît une situation budgétaire abyssale. Il y a peu, Claude Eerdekens, le bourgmestre socialiste d’Andenne,  annonçait que les communes wallonnes allaient connaître la faillite l’une après l’autre.

Ceci nous rappelle le célèbre monologue de Ruy Blas de Victor Hugo, où l’intéressé fustige le comportement cupide des grands d’Espagne :

« Bon appétit, messieurs !

Ô ministres intègres ! Conseillers vertueux !

Voilà votre façon de servir, serviteurs qui pillez la maison ! Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure,
L’heure sombre où l’Espagne agonisante pleure !
Donc vous n’avez ici pas d’autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe ! »

Jules Gheude, essayiste politique

Le titre est de la rédaction. Titre original: Les « affaires » wallonnes : et ça continue encore et encore…

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