© Belga

Nethys: D’Onofrio, le 3ème homme du scandale Win et Elicio (info Le Vif)

David Leloup
David Leloup Journaliste

Le Vif et la RTBF se sont procurés un échange de messages entre François Fornieri et Lucien D’Onofrio. Il montre que ce dernier était au courant que Nethys allait vendre secrètement, le 22 mai 2019, ses filiales Win et Elicio au duo Fornieri-Moreau. Lucien D’Onofrio donne même l’impression de tirer les ficelles de l’« opération »…

Mardi 21 mai 2019, 22h28. Lucien D’Onofrio envoie le message suivant à son ami François Fornieri, patron de la société pharmaceutique Mithra et administrateur de Nethys :

« Francesco, tout est OK pour demain. Sois-là à 7h30 pour les signatures et finaliser au CA. Biz. »

« Oui, j’ai eu Steph! Bizz », lui répond François Fornieri dans la foulée.

« Steph », c’est bien évidemment Stéphane Moreau, alors big boss de Nethys, la filiale opérationnelle de l’intercommunale liégeoise Enodia (ex-Publifin).

Le lendemain, mercredi 22 mai 2019, le conseil d’administration de Nethys doit se réunir à 10h00. Objectif : vendre ses filiales « concurrentielles » Voo (câblo-opérateur), Win (services informatiques) et Elicio (production d’énergie éolienne). Il s’agit de décisions stratégiques prises par la maison-mère Enodia suite aux recommandations de la commission d’enquête du parlement wallon chargée, en 2017, d’examiner les dysfonctionnements du groupe Publifin.

Des offres valables 24 heures

Quand Lucien D’Onofrio « convoque » François Fornieri par message pour qu’il soit présent, le lendemain, afin de « finaliser au CA », l’ex-patron du Standard de Liège fait évidemment référence à la finalisation de la vente de ces filiales concurrentielles lors du CA de Nethys. Et en particulier des filiales Win et Elicio. En effet, le mardi 21 mai, plus tôt dans la journée, François Fornieri a remis au président du CA de Nethys, Pierre Meyers, deux offres d’achat pour ces deux filiales, valables vingt-quatre heures.

Via ces offres, François Fornieri propose au conseil d’administration de Nethys – dont il est membre tout comme Stéphane Moreau, rappelons-le – de mettre sur la table 8 millions d’euros pour racheter Win (moins la dette qui est de l’ordre de 800.000 euros) et 2 euros symboliques pour acquérir Elicio (avec reprise de la dette de 261 millions d’euros). Le rachat d’Elicio se ferait en partenariat avec le groupe international d’ingénierie et de maintenance John Cockerill (ex-CMI).

Stéphane Moreau futur actionnaire

Stéphane Moreau est dans le coup : il est l’administrateur délégué d’Ardentia et d’Ardentia Tech, deux sociétés en formation qui seront créées quelques semaines plus tard devant notaire, par François Fornieri. Ardentia et Ardentia Tech ont pour but de détenir les parts, respectivement, d’Elicio et de Win. Il est de plus prévu que si les deux offres d’achat sont acceptées par le CA de Nethys, Stéphane Moreau « rejoindra M. Fornieri dans l’actionnariat d’Ardentia Tech » et « rejoindra M. Fornieri et CMI dans l’actionnariat d’Ardentia », peut-on lire dans le procès-verbal du CA de Nethys du 22 mai 2019. En flagrant conflit d’intérêts, François Fornieri et Stéphane Moreau ne prennent donc part « ni à la délibération, ni au vote » sur les ventes de Win puis d’Elicio.

Les ventes se réalisent donc très rapidement, dans le plus grand secret autour de la table du CA de Nethys, rue Louvrex à Liège, sans mise en concurrence, et sans même prévenir ou avertir la maison-mère de Nethys

De manière surprenante, les deux offres spontanées et éphémères du duo Fornieri-Moreau, passent crème. Alors que les administrateurs de Nethys découvrent leur existence même durant la séance du CA – « M. le Président informe le Conseil d’administration qu’il a reçu une offre ferme (…) », peut-on lire dans le PV au point Win comme au point Elicio –, les deux offres sont acceptées « à l’unanimité des membres votants ». Les ventes se réalisent donc très rapidement, dans le plus grand secret autour de la table du CA de Nethys, rue Louvrex à Liège, sans mise en concurrence, et sans même prévenir ou avertir la maison-mère de Nethys, l’intercommunale Enodia (ex-Publifin).

Casse du siècle

« Succès opération 💪💪💪 », envoie alors François Fornieri à Lucien D’Onofrio, le 22 mai à 12h09, alors que le CA de Nethys est vraisemblablement toujours en cours vu le nombre de points abordés et les 21 pages que compte le procès-verbal de la réunion. Lucien D’Onofrio lui répond illico : « Top, je t’appelle vers 13h30. » L’ex-homme fort du Standard était donc tenu au courant, quasi en direct, de l’un des secrets les mieux gardés de Liège. Un secret qui n’éclatera dans la presse que quatre mois plus tard.

« Les termes utilisés, « casse du siècle », « hold-up », étaient très durs, en particulier à propos de la vente d’Elicio, rachetée 2 euros symboliques plus une reprise de dette, là où une série d’autres acteurs se sont dits immédiatement prêts à mettre un prix supérieur », se souvient Xavier Counasse, chef du service Enquêtes au journal Le Soir, qui a révélé ces ventes secrètes mi-septembre 2019. « Pour Win, François Fornieri a proposé un prix de 8 millions qui a été accepté. Or il y avait a minima deux autres sociétés intéressées, qui n’ont pas été sondées, et qui ignoraient ce deal fait en extrême urgence. Une de ces sociétés, NRB, avait même envoyé un courrier dans lequel elle se disait prête à mettre un prix deux fois supérieur. »

Des partenaires pour réduire le risque

Ces ventes secrètes, à prix bradés, sans mise en concurrence, entachées de conflits d’intérêts, seront finalement cassées par le gouvernement wallon le 6 octobre 2019. Questions : pourquoi est-ce Lucien D’Onofrio qui convoque François Fornieri à une réunion préalable au CA de Nethys ? Que devaient signer les trois hommes – « Francesco », Lucien et « Steph » – à 7h30 du matin, soit deux heures et demie avant le CA de Nethys entérinant les ventes des filiales ? Un pacte d’actionnaires pour investir, aux côtés de François Fornieri, dans le capital d’Ardentia et d’Ardentia Tech, qui s’apprêtaient à racheter Elicio et Win pour deux bouchées de pain ?

« Je pense que François Fornieri avait besoin d’autres partenaires, des gens avec des épaules assez solides, pour ne pas porter tout le risque sur lui et lui seul, analyse Xavier Counasse. Donc ça ne semble pas illogique qu’il ait cherché des partenaires. Et en l’occurrence, ce n’est pas la première fois, ni le premier dossier, où l’on voit une connexion entre François Fornieri et Lucien D’Onofrio. »

Exercice parallèle du pouvoir

Une chose est sûre : le duo Fornieri-Moreau du scandale Win et Elicio, un des volets de l’affaire Nethys, était en réalité un trio. « Stéphane Moreau et François Fornieri avaient déjà caché des informations et menti au conseil d’administration d’Enodia, fulmine Muriel Gerkens (Ecolo), qui était à l’époque administratrice de la maison-mère de Nethys. Et maintenant, on se rend compte qu’ils nous ont non seulement menti, mais qu’ils ont associé une troisième personne, qui est Lucien D’Onofrio », à leur plan de rachat de Win et Elicio.

« Ce qui est heurtant, c’est de se rendre compte que ces mêmes trois personnes règlent des affaires ou décident de l’avenir d’outils de développement économique liégeois, en-dehors des lieux qui sont destinés à cela – les conseils d’administration, les assemblées générales. Et ça se décide autour d’une table, ou dans des lieux qui sont finalement des lieux parallèles. Et l’exercice parallèle du pouvoir est quelque chose qui est antidémocratique et inacceptable », conclut-elle.

David Leloup, avec Nicolas Taiana

Enquête réalisée avec le soutien du Fonds pour le Journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles et en collaboration avec la cellule #Investigation de la RTBF.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire