La rénovation énergétique d'un bâtiment n'est pas toujours rentable en trente ans si l'on analyse sa consommation réelle. © Nicolas Guyonnet / Hans Lucas

Un label PEB «A» moyen en 2050 ? Voici pourquoi ce sera très difficile

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Dans les faits, de nombreux logements ne pourront pas obtenir un tel label, comme le souhaite la Wallonie. Pire: le certificat PEB n’a pas vocation à bâtir une politique de rénovation énergétique.

La nécessaire rénovation des logements échappera-t-elle à la récurrente fatalité des déclarations d’intention irréalistes? Fin 2020, le gouvernement wallon a acté sa stratégie de rénovation à long terme des bâtiments. Celle-ci résultait d’une directive européenne de 2018, imposant aux Etats membres d’établir une feuille de route «en vue de la constitution d’un parc immobilier à haute efficacité énergétique et décarboné d’ici à 2050». Pour y parvenir, la Wallonie s’est fixé un objectif phare: tendre, pour l’ensemble de ses logements, en moyenne, vers le label PEB (performance énergétique des bâtiments) «A» en 2050. Dans sa définition actuelle, il correspond à une consommation d’énergie primaire annuelle et théorique de 85 kilowattheures par mètre carré. Un chantier titanesque puisqu’aujourd’hui, la moyenne du parc de logement wallon correspondrait au label «F», selon les certificats PEB recensés jusqu’ici.

« La Région a des ambitions du XXIe siècle mais des outils du XIXe. »

Sachant que la part globale des labels A ou supérieurs (A+ et A++) stagne à seulement 1%, il faudrait rénover, dans des proportions diverses, plus de 1,6 million de logements d’ici à 2050, soit 163 par jour. Coût global de l’investissement, tel qu’estimé en 2020: 103 milliards d’euros pour les maisons et quatorze milliards pour les immeubles à appartements. Le bilan général évolue positivement au fil des ans: en 2022, 21% des logements construits avant 2010 affichaient un label G, selon les données disponibles, contre 32% en 2012. Mais vu l’ampleur de l’effort à accomplir, peu de rénovations profondes aboutissent au label A. Par ailleurs, 47% des logements plus récemment construits affichent encore un label B, d’après les estimations arrêtées en octobre 2022.

Une opération pas toujours rentable

L’objectif du gouvernement wallon suppose que de nombreux logements devront atteindre une performance énergétique encore plus élevée (A+ ou A++), afin de compenser ceux pour lesquels le label A est inenvisageable. Car, comme le reconnaît son document stratégique, la rénovation profonde de certains logements fera face à des limites techniques, économiques et patrimoniales. Impossible, toutefois, de savoir combien n’atteindront pas la moyenne. «D’un point de vue strictement technique, rares sont les bâtiments dont les caractéristiques ne permettent pas d’atteindre le label A, commente Gaëtan Doquire, directeur de l’Union wallonne des architectes (UWA). Il existe un greenwashing urbanistique à cet égard: les gens imaginent que l’on va mettre du crépi sur l’isolant de toutes les façades. Or, une rénovation profonde n’implique pas nécessairement d’emballer toute l’enveloppe du bâtiment.» Dans bon nombre de cas, l’amélioration des performances énergétiques ne dénaturera pas l’identité du cœur des villes ou des villages. Dans d’autres, des démolitions-reconstructions s’imposeront.

A, A+ ou A++: le mythe du «zéro carbone»

Dans sa stratégie de rénovation, la Wallonie opte pour un terme curieux: le «label A décarboné». Comme les logements concernés consommeront toujours de l’énergie pour le chauffage et l’électricité, celle-ci devra donc provenir de sources renouvelables. Dans les faits, même le label le plus performant, A++, n’est pas nécessairement «zéro carbone». Il porte sur l’énergie consommée par le bâtiment, et non sur l’empreinte carbone des matériaux, qu’il convient alors de compenser. Les analyses du cycle de vie n’incluent par ailleurs pas les anciens matériaux inexploités, entre-temps devenus des déchets. «Il s’agirait de dire: vous aviez la possibilité d’utiliser X tonnes de briques déjà présentes, qu’en avez-vous fait?», résume Gaëtan Doquire. De son côté, la Commission européenne prépare une révision de sa directive PEB. Elle propose notamment d’ajouter un volet sur l’empreinte carbone du bâtiment en complément à la certification, dont la méthodologie pourrait changer. Les labels A+ et A++ devraient disparaître. Le A de demain n’équivaudra pas au A d’aujourd’hui. Ce qui, là encore, pourrait nuire à la clarté de l’objectif wallon.

Mais bien d’autres obstacles se dressent sur la route des rénovations, sans même s’attarder sur la disponibilité de la main-d’œuvre (il faudra pourvoir 30 000 emplois supplémentaires dans le secteur wallon de la construction d’ici à 2028) ou sur les démarches administratives. L’un d’eux concerne la rentabilité des rénovations profondes, qu’un calcul basé sur le certificat PEB tendrait parfois à surestimer. Celui-ci fait en effet état de consommations théoriques: il ne tient pas compte du comportement des occupants et suppose, entre autres, que l’ensemble de la surface habitable est chauffée à une température constante. Ainsi, alors que la consommation théorique moyenne du parc de logements wallon, et donc selon les certificats PEB, s’élèverait à 459 kWh par mètre carré et par an, la consommation réelle atteindrait plutôt 340 kWh, voire même 145 kWh selon d’autres méthodes de calcul. Comme l’ont montré les résultats de l’étude «Cozeb 2», après une analyse du bureau Climact, tendre vers le label PEB A ne serait pas rentable (en moins de trente ans) pour douze des quatorze typologies de maisons unifamiliales analysées, si l’on se réfère à la consommation réelle estimée à cette occasion. Pour les cinq typologies d’appartements, aucune combinaison de rénovations ne permettrait d’atteindre la rentabilité. D’où la nécessité de «stimuler l’innovation pour faire tendre la rénovation au label A vers le seuil de rentabilité», souligne la stratégie wallonne.

Les bâtiments qui, aujourd’hui, ne sont pas sur la route du label A ne l’atteindront pas en 2050.

«La Région a des ambitions du XXIe siècle mais des outils du XIXe, commente Hugues Kempeneers, directeur général d’Embuild Wallonie, la fédération du secteur de la construction. Droits d’enregistrement, TVA sur les démolitions-reconstructions, procédures de permis… Si rien ne change, l’objectif du label A moyen sera très difficilement atteignable.» La hausse des prix de l’énergie réduira logiquement le temps de retour sur investissement, mais dans certaines limites. «Atteindre le label A est possible sans surcoûts énormes, à condition de ne pas devoir démolir de nombreuses parties pour les surisoler, ajoute Gaëtan Doquire. Pour les bâtiments construits avant 1980, généralement sains, ce sera envisageable du fait de leur entretien naturel et de leur rénovation progressive. En revanche, ce sera plus compliqué pour ceux bâtis ultérieurement, c’est-à-dire dès qu’on a commencé à isoler un peu. On pourrait penser que l’horizon 2050 nous laisse du temps, mais c’est exactement l’inverse: on estime que le cycle de vie d’un bâtiment avant une retransformation lourde est de trente ans. De ce fait, chaque bâtiment qui, aujourd’hui, n’est pas sur la feuille de route du label A, ne pourra vraisemblablement pas l’atteindre.»

D’autant qu’un autre obstacle entrave régulièrement la rénovation énergétique des logements: l’effet «lock-in». Le terme désigne les blocages résultant de certains travaux de rénovation incompatibles avec des opérations ultérieures sur le bâtiment. C’est l’exemple d’une nouvelle toiture et d’un châssis dont la largeur du débordement ne permettra pas d’isoler le logement par l’extérieur dans un second temps. Ou de finitions intérieures qui n’ont pas prévu d’espace pour installer un système de ventilation (indispensable pour le label A). En principe, l’audit énergétique, nécessaire pour bénéficier de certaines primes régionales, permet de se prémunir de telles mésaventures, puisqu’il identifie l’ordre logique des travaux à effectuer. Toutefois, le citoyen n’est plus tenu de respecter cet ordre, ce qui peut aboutir aux fameux effets lock-in. «Ce qui coûtera le plus cher dans la transition vers le label A, ce ne sera pas la main-d’œuvre, ni même les matériaux, mais l’absence de coordination des différentes phases de la rénovation», résume Gaëtan Doquire.

Des travaux parfois inutiles

Un problème plus fondamental pour la stratégie wallonne s’ajoute: le certificat PEB a été conçu comme un outil d’information, non comme un instrument de régulation. «Dès le départ, la méthode de calcul visait à garantir qu’il n’y ait pas plus d’une classe de différence (NDLR: par exemple, un label B d’une part et un D de l’autre) si deux certificateurs examinaient un même bâtiment, commente Nicolas Heijmans, expert en la matière chez Buildwise, le centre d’innovation du secteur de la construction. En Wallonie, ce contrat a été rempli.» Pour un locataire ou un candidat-acquéreur, la différence entre une certification PEB B ou C n’est pas significative. Mais cette approximation pose davantage problème quand il s’agit de chiffrer le bilan d’une politique de transition vers un parc de logements moins carboné (lire l’encadré ci-contre). Ou d’interdire les logements de label G en 2030 et F en 2033, comme le prévoit la Commission européenne.

« Un label A peut donner l’impression d’une comparaison honnête entre neuf et ancien, or ce n’est pas le cas. »

A l’heure actuelle, chaque Région du pays dispose de son propre régime de certification PEB. Un A wallon n’équivaut donc pas à un A flamand ou bruxellois. En outre, certains critères de la méthode de calcul améliorent virtuellement la performance énergétique de biens plus anciens, tandis que d’autres avantagent les nouvelles constructions. «Un label A peut donner l’impression d’une comparaison honnête entre le neuf et l’ancien, alors que ce n’est pas le cas», poursuit Nicolas Heijmans.

La certification PEB ne prend pas en compte les caractéristiques des rénovations que l’on ne peut prouver – soit visuellement, soit sur la base de factures très détaillées. En l’absence de telles preuves, le label final tiendra compte de valeurs par défaut, pénalisant fortement la performance énergétique réelle du logement. «Après les inondations de juillet 2021, on a par exemple conseillé aux Liégeois d’installer des châssis PVC et alu, relate Gaëtan Doquire. Bien qu’ultraperformants, ils ne seront pas valorisés dans le certificat s’ils n’ont pas fait l’objet d’une prime. En maison mitoyenne, la déperdition de chaleur dans le sol représentera l’un des postes les plus importants selon les critères du PEB, alors que dans les faits, ce n’est presque jamais une priorité. Au niveau des murs, les valeurs par défaut seront telles que le certificat fera état de déperditions deux fois supérieures à ce qu’elles sont. Quand on cumule tout cela, il sera très difficile de valoriser des travaux concourant pourtant bel et bien à la performance énergétique réelle du bien.»

Voilà donc l’une des dérives majeures de la certification PEB quand elle devient un outil de contrôle: à défaut de pouvoir prouver toutes les spécificités du bâti, obtenir le label A nécessitera parfois la réalisation de travaux inutiles. «D’où l’importance de garder les factures, devis, photos de chaque intervention, et de les transmettre au nouveau propriétaire», souligne Nicolas Heijmans. A la décharge de la Wallonie comme des autres Régions, la certification PEB constitue le seul outil d’évaluation à une large échelle de la performance énergétique des bâtiments. «Il y a des biais à son utilisation actuelle, mais elle a le mérite d’exister, d’autant que sa méthodologie est assez fine», résume Hugues Kempeneers. La Région ne reste par ailleurs pas les bras croisés, à l’image de l’initiative Reno+, visant à tripler les rénovations de bâtiments. A sa charge, les approximations inhérentes aux nouveaux rôles que le politique impose au certificat ne serviront pas la cause d’un étiquetage équitable des biens rénovés. Ni celle du réchauffement climatique, vu l’empreinte carbone des matériaux utilisés pour certaines rénovations superflues.

Vers des matériaux plus durables

De la fabrication des matériaux jusqu’au chauffage, les bâtiments seraient responsables de 37% des émissions de CO2 énergétique à travers le monde, selon un récent rapport des Nations unies et du centre de Yale pour les écosystèmes dans l’architecture (Yale CEA). Et l’urbanisation progresse à un rythme effréné: tous les cinq jours, l’équivalent d’un nouveau Paris se construit à l’échelle mondiale. Il est donc crucial de déployer une triple stratégie, souligne le rapport: recycler le bâti existant, opter pour des matériaux biosourcés (bois, bambou, biomasse…) et réduire l’empreinte carbone des matériaux conventionnels (le ciment, l’acier et l’aluminium en tête). En Belgique, l’outil «Totem» permet au secteur de la construction d’estimer l’empreinte carbone de certains matériaux sur la base d’une analyse de leur cycle de vie (ACV). «Mais aujourd’hui, les ambitions sont telles que l’on ne peut se permettre d’éradiquer les matériaux conventionnels», souligne Hugues Kempeneers, directeur général d’Embuild Wallonie. Qui invite aussi les pouvoirs publics à montrer l’exemple dans leurs marchés publics, ce qui fait encore trop souvent défaut à l’heure actuelle.

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