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Grève nationale: salaire, indexation… le vrai du faux des arguments syndicaux

Eglantine Nyssen
Eglantine Nyssen Journaliste au Vif, multimedia editor

Salaires bloqués, indexation automatique des salaires en danger, explosion des marges des entreprises… voici quelques grandes inquiétudes qui poussent les syndicats à faire grève ce mercredi 9 novembre. Sont-elles fondées ? Décodage des arguments syndicaux.

Des perturbations dans les transports, les magasins, les bureaux de police… la grève nationale de ce mercredi 9 novembre va paralyser de nombreux secteurs. Les syndicats socialistes et chrétiens (la CGSLB a décidé de ne pas se joindre à la grève mais appelle à une journée d’actions) réclament un plafond sur le prix du gaz et de l’électricité, ainsi qu’une adaptation de la norme salariale. Ils retaperont sur le clou ce mercredi. Nous avons analysé les arguments syndicaux, pour tenter d’en dégager le vrai du faux.

Les syndicats peuvent-ils encore négocier des augmentations de salaire ?

Dans son appel à la grève, la FGTB cite parmi ses revendications « la liberté de négocier les augmentations de salaires réels ». Le syndicat socialiste ajoute : « La loi sur la norme salariale – renforcée par le gouvernement Michel en 2017 – rend impossible pour les syndicats de négocier des augmentations de salaire réel avec les patrons. » L’abrogation de la loi de 1996, loi de « blocage des salaires » est également une revendication de la CSC.

Pourquoi c’est légèrement exagéré

En dehors de l’indexation, une loi crée la possibilité d’augmenter les salaires du secteur privé de manière structurelle. C’est la loi de 1996, durcie en 2017 sous le gouvernement Michel. Une marge maximale est établie pour l’augmentation. Elle est plus qu’une indication, elle est impérative. Elle se base sur l’évolution des salaires en Belgique par rapport à nos voisins. Le but étant d’éviter un trop grand écart pour ne pas affaiblir la compétitivité des entreprises belges. Or, l’écart salarial avec la France, l’Allemagne et les Pays-Bas serait actuellement de l’ordre de 6% selon le Conseil central de l’économie. Cet écart en notre faveur s’est notamment agrandi ces derniers mois en raison des indexations. Avec pour conséquence, une marge maximale disponible négative, ramenée à zéro. Il n’y aura donc pas de possibilité d’augmenter les salaires en 2023 et 2024. Les syndicats disent donc vrai quand ils expliquent ne pas pouvoir négocier d’augmentation, mais cela vaut uniquement pour les deux prochaines années. Cependant, depuis la modification de la loi en 2017, la marge salariale maximale a été de 1,1% (en 2017-2018 et 2019-2020). Lors du dernier accord interprofessionnel (2021-2022), la marge salariale avait été calculée à 0,4%. « La loi de 1996 et son caractère impératif est une revendication fondamentale des syndicats aujourd’hui », constate Mateo Alalouf, sociologue à l’ULB. « La question est en arrière fond depuis longtemps et est l’élément qui pèse le plus dans la situation actuelle dans la mesure où le salaire permet de moins en moins de vivre correctement. C’est une situation jugée intolérable. »

Les syndicats contestent la pertinence du handicap salarial de la Belgique par rapport aux pays voisins. Selon la FGTB, il se base sur un mauvais calcul, qui ne prend pas en compte « les milliards de subsides salariaux accordés aux entreprises, précisément pour sauvegarder leur compétitivité ». Seule solution donc pour augmenter les salaires dans les deux prochaines années : modifier la loi de 1996 sur la norme salariale. Pas une mince affaire. L’accord de gouvernement ne le prévoit pas, a notamment expliqué le ministre du Travail Pierre-Yves Dermagne (PS), mais le gouvernement pourrait autoriser les entreprises qui le peuvent à octroyer une prime à leurs travailleurs comme ce fut le cas en 2021. Une mauvaise idée, selon Mateo Alalouf. « L’augmentation se fait alors sur la base de la bonne volonté de l’entreprise, elle est limitée et, en ne concernant que certains, elle risque d’accentuer les inégalités. De plus, les chèques et les primes ne bénéficient pas aux allocations sociales. »

L’indexation automatique des salaires est-elle en danger ?

Dans son appel à la grève encore, la FGTB indique que « les employeurs s’attaquent à l’indexation automatique des salaires ». Un discours récurrent du côté syndical. Lors de la manifestation nationale du 21 septembre, les trois présidents des grands syndicats du pays ont chacun scandé « pas touche à l’indexation salariale » dans leurs discours.

Pourquoi cela n’arrivera pas

L’indexation automatique des salaires permet de protéger le pouvoir d’achat des Belges. La Belgique est un des seuls pays, avec le Luxembourg, Malte et Chypre, à appliquer ce système. Or ce mécanisme a un coût pour les entreprises. On parle, par exemple, pour le million de travailleurs indexés annuellement, d’une augmentation de 11,6% brut en janvier. En septembre déjà, l’administrateur délégué de la FEB, Pieter Timmermans avait estimé que le débat autour de l’indexation des salaires « ne pouvait plus être évité ». Abandonner l’indexation automatique des salaires serait bénéfique pour la compétitivité belge, selon les patrons. « Nous perdons notre attractivité du point de vue de la concurrence et l’on a plus de difficulté à exporter » avait-il estimé. L’organisation patronale flamande Voka plaide également pour une réouverture du débat. « Certains (c’est le cas par exemple de la fédération de l’industrie technologique, ndlr) avancent l’idée que l’indexation puisse être proportionnelle au revenu ou que les salaires les plus élevés ne soient plus indexés », analyse Mateo Alalouf. A nouveau, une mauvaise chose selon lui, « parce que c’est un droit ». « Contrairement à ce que certains disent, l’indexation ne favorise pas les hauts salaires. Elle ne crée pas d’inégalité mais une solidarité. Son but c’est que le salaire de chacun ne perde pas de sa valeur en période d’inflation. »

« Dans l’immédiat, il n’y a pas de danger concernant la suppression de l’indexation »

Mateo Alalouf

L’indexation est-elle cependant en danger ? Actuellement, aucun parti ne soutient formellement un saut d’index. Alexander De Croo l’a confirmé ce lundi sur La Première : « L’indexation est aujourd’hui la meilleure protection qu’on ait contre la perte du pouvoir d’achat et elle restera là. II n’est pas question qu’elle soit remise en cause. » « Dans l’immédiat, il n’y a pas de danger concernant la suppression de l’indexation », confirme le sociologue de l’ULB. « L’indexation et le tarif social sont deux questions qui semblent aujourd’hui acquises. Les autorités les mettent en avant pour nous montrer que nous n’avons pas de quoi nous plaindre. Or ce n’est pas le cas. L’indexation ne couvre pas la totalité de l’augmentation du coût de la vie. »

Les salaires augmentent-ils plus vite chez nous que chez nos voisins ?

« Il est faux d’affirmer que nos salaires augmentent plus vite chez nous que dans les pays voisins. Mais pendant ce temps, les travailleurs en paient le prix sous la forme de blocage salarial , avec une norme à 0% pour les années à venir », indique la FGTB dans ses revendications.

Pourquoi c’est faux…

Le Premier ministre belge utilise souvent cet argument : regardez ce qu’il se passe chez nos voisins. « En France, il n’y aura pas de système d’indexation pour tout le monde », expliquait-il encore ce lundi. C’est vrai, même si le débat sur la baisse du pouvoir d’achat agite la majorité en France, Emmanuel Macron a récemment écarté toute indexation des salaires. Les coûts salariaux horaires en Belgique augmenteront de 5,7% de plus que la moyenne des pays voisins sur la période 2020-2024. Il n’y a dès lors pas de marge pour que les salaires augmentent en plus de l’inflation, confirme un rapport du Conseil central de l’économie publié mardi.

Mais les ménages belges sont-ils pour autant mieux protégés qu’ailleurs ? En effet, comme le pointe Mateo Alalouf, « une partie de la question est éludée dans l’argumentation de De Croo » : l’inflation. « L’inflation augmente moins fort en France qu’en Belgique suite au blocage des prix de l’énergie (6,2% en France contre 12,3 chez nous, ndlr). » Difficile donc de comparer des augmentations de salaires et des indexations, puisqu’elles sont liées aux chiffres de l’inflation. Pour mieux comparer, mieux vaut donc comparer le pouvoir d’achat des ménages dans les deux pays. En France, celui-ci a reculé de 1,2% au deuxième trimestre 2022 selon des chiffres de l’Insee. Et ce, malgré un revenu disponible en hausse. Chez nous, KBC table sur un recul du pouvoir d’achat des ménages limité à 0,1% cette année. « L’inflation galopante pèse sur le pouvoir d’achat, expliquait Geert Langenus, économiste de la Banque nationale à nos confrères de l’Echo. Cette année, les salaires réels diminueront. Mais le mécanisme d’indexation appliqué en Belgique protège beaucoup mieux le pouvoir d’achat que dans d’autres pays. »

« De plus en plus de gens ne peuvent plus vivre de leur travail, note cependant Mateo Alalouf. Cela veut dire qu’il y a un véritalbe problème de salaires dans notre société. Si on écoute les responsables des CPAS, ils voient venir des ménages où les deux membres travaillent et ne parviennent plus à s’en sortir.»

Le taux de marge bénéficiaire des entreprises privées a-t-il explosé ces dernières années ?

Dans son appel à la grève, la CSC pointe que « les taux de marge bénéficiaire des entreprises privées ont littéralement explosé ces 25 dernières années, de 36% en 1996 à 46% en 2022. Elles sont même historiquement élevées en 2022 et plus importantes que dans nos pays voisins, malgré les discours alarmistes des organisations patronales ». « Cela qui veut dire que beaucoup d’entreprises peuvent encaisser sans trop de problèmes », poursuit le syndicat.

Un argument également utilisé par Benjamin Pestieau, responsable des relations syndicales du PTB : « Certains engrangent des profits records pourtant la FEB et Pierre-Yves Dermagne continuent à vouloir bloquer les salaires à 0%. »

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Pas pour toutes

L’explosion du prix de l’énergie pèse lourd sur de nombreuses entreprises. De nombreuses boulangeries, boucheries ne voient pas comment s’en sortir. Certaines PME sont en grande difficulté. Et pourtant, les syndicats soulignent des profits historiques. Ils font référence à l’indicateur de rentabilité des entreprises non financières (principalement de l’industrie, en ce compris les sociétés du secteur de l’énergie) qui a atteint 45,2% au deuxième trimestre. Ce taux est le plus haut depuis que la BNB a commencé à en tenir compte en 1995. La marge bénéficiaire moyenne cache cependant de grandes différences entre les secteurs. « L’augmentation du taux de marge est concentrée dans l’industrie« , indique la Banque nationale. Dans ce secteur, on retrouve notamment les producteurs d’énergie.

Ces derniers mois, le monde patronal s’est alarmé d’une hausse très importante des coûts salariaux, en raison de l’indexation automatique des salaires et, surtout, d’un niveau d’inflation qui n’avait plus été vu en Belgique depuis 40 ans. La CSC voit également, dans ces chiffres, la preuve que certains secteurs – tels que les banques et les entreprises énergétiques – se portent bien et qu’il est donc possible d’augmenter les salaires dans ce cadre-là, a relevé pour sa part Marie-Hélène Ska.

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