Ben Weyts
Ben Weyts présente le Canon flamand © Belga

Le Canon flamand, brûlot nationaliste ou ouvrage didactique?

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Quatre ans après le lancement du processus, le Canon flamand est enfin prêt. Sorte de bible de l’identité flamande, il donne un aperçu des éléments « essentiels » de l’histoire, de la culture et de la société du nord du pays. Brûlot anti-belge ou ouvrage didactique destiné à un large public ? Décryptage.

En 2019, le gouvernement flamand, emmené par la N-VA, décidait de s’atteler à un Canon flamand, « une liste de points d’ancrage de la culture, de l’histoire et des sciences flamandes ». Rédigé par un comité d’experts indépendants dirigé par le professeur émérite Emmanuel Gerard (KU Leuven), il fournit un aperçu chronologique de l’histoire du nord du pays, allant de l’ère glaciaire à la société flamande diversifiée d’aujourd’hui.

L’aperçu est subdivisé en 60 « fenêtres » ou thèmes. Chaque thème est élaboré à l’aide d’une accroche et de deux points focaux. Par exemple, la question sociale au 19e siècle est abordée via une référence à Emilie Claeys, une ouvrière gantoise qui s’est engagée en faveur de l’émancipation des femmes et des ouvriers, puis de la résistance ouvrière et de la protection sociale.

Outre des moments et des personnages illustres comme la Bataille des éperons d’or en 1302 ou le peintre James Ensor, des noms moins connus sont également passés en revue. Ainsi, on lit l’histoire de Cathelyne Van den Bulcke, une femme brûlée pour sorcellerie au 16e siècle. Un certain nombre de noms célèbres, tels que le Père Damien et le poète Guido Gezelle, n’y figurent pas

Jacques Brel

Le Canon mentionne également l’Agneau mystique des frères Van Eyck, le festival Rock Werchter ou encore Tour de Flandre cycliste comme accroche pour le thème de la Flandre des courses. Malgré son caractère flamand, il évoque aussi un certain nombre d’éléments « belges », tels que la chanson « Le plat pays » de Jacques Brel ou encore l’indépendance de la Belgique.

Faut-il y voir un instrument au service de la cause flamande ? En novembre dernier, trois historiens appuyés par des collègues de toutes les universités flamandes ont fustigé l’initiative. Ils y voyaient un instrument pour les nationalistes flamands au service du « combat anti-belge ».  A leurs yeux, il s’agirait d’amener en douceur une politique permettant d’élargir l’identification à la Flandre et de saper l’attachement à la Belgique. A les entendre, le projet viserait également à « préserver » la culture flamande de « toute forme de cosmopolitisme ».

Six mois plus tard, l’historien Karel Van Nieuwenhuyse (KU Leuven) n’a pas changé d’avis. « Comme cette liste de noms et d’événements clés de notre culture flamande est imposée d’en haut, on assiste à une instrumentalisation politique de l’histoire », déclare-t-il à l’agence Belga. « Pour moi, que celle-ci soit le fait d’un gouvernement flamand, belge ou européen, est de toute façon une mauvaise chose ».

Pour Bram De Ridder, chercheur en histoire à la KU Leuven, il est certain qu’au niveau politique, le canon est utile au gouvernement flamand, et surtout à la N-VA, même si ses auteurs sont bien conscients de ce risque de récupération politique.

« Intelligent de la part de la N-VA »

Le canon a le mérite de raviver l’intérêt pour le passé, souligne l’historien. « Au fond, nous revenons à l’histoire, et pour moi, c’est le principal, surtout vu le contexte flamand. Les gens s’intéressent à nouveau au passé. Tant Het verhaal van Vlaanderen [NDLR : une série télévisée historique sponsorisée par des ministres N-VA] que le canon flamand répondent à cette demande. C’est dommage qu’il y ait ce contexte politique, mais en même temps, c’est intelligent de la part de la N-VA et du gouvernement flamand de tirer parti de cette soif de connaissance », déclare Bram De Ridder au Vif.

En revanche, l’historien ne voit pas de récupération politique au niveau du contenu. « Je suis assez impressionné par la façon dont cela a été géré, par la méticulosité et l’ampleur du processus. Je suis positif au sujet du contenu, mais on revient toujours à la question de la demande politique. C’est évidemment un projet politique, mais le contenu lui-même peut difficilement être qualifié de partial ». Si des scientifiques décidaient d’ailleurs d’établir un canon belge, ils seraient également accusés de nationalisme banal, estime le chercheur.

« Et si le problème vient du mot Flandre, il ne faut pas oublier que toute étude scientifique sponsorisée par la Flandre porte la mention ‘avec le soutien du FWO Flandre’. La Flandre en tant que région et communauté est une réalité, et ce serait dommage de récupérer ce canon politiquement. C’est ce que fait la N-VA, mais je sais que le comité du canon lui-même veut s’y opposer catégoriquement », ajoute Bram De Ridder. (Avec Belga)

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