Alexander De Croo
Le Premier ministre est loin d’être parvenu au bout de sa «to-do list». Vivement la rentrée... © photo news

Pouvoir d’achat, pensions, budget…: ce que De Croo voulait et ce qu’il a réellement obtenu (analyse)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Fin mai, le Premier ministre envoyait une «to-do list» à son gouvernement, à boucler avant les vacances. Il prétend que sa Vivaldi y est parvenue, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Il annonce un énorme débat budgétaire à la rentrée, ce qui est dangereusement inévitable.

L’Alexander De Croo du 20 mai laissait croire qu’il ne fallait pas y faire trop attention. Celui du 23 juillet se vantait de l’avoir respectée à la lettre. Dans un article du 26 mai, Le Vif révélait une note envoyée par le Premier ministre à ses collègues, intitulée «Programme du gouvernement fédéral pour les mois à venir». C’était alors un «non-paper», à peine une «to-do list», affirmait-on au 16 rue de la Loi, mais les sept tâches énumérées là ont pourtant scandé le début de l’été politique. Et Alexander De Croo, qui faisait depuis plusieurs semaines comme si cette liste n’avait jamais existé, s’est, au moment où il a estimé qu’il en avait fait assez, subitement mis à la brandir comme si elle avait toujours été là. «Quand j’ai lancé mon agenda des dossiers pour l’été, on disait que c’était impossible. Je constate que le gouvernement l’a fait», fanfaronnait-il ainsi, le 23 juillet, dans L’Echo. A L’Echo et à d’autres journaux, il avouait, très satisfait de ce bulletin décerné par lui-même, que cette excellente autoévaluation lui donnait l’envie de renouveler son mandat après les élections de 2024.

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Depuis les sept heures du 18 juin, qui ont mis les partenaires d’accord sur l’augmentation des investissements de la Défense, jusqu’aux jours et aux nuits qui ont mené au petit matin du 18 juillet et au compromis sur les pensions, la sueur des membres du kern a en effet pelé les sièges de cuir du «bunker», cette triste salle du «16» où se réunissent les gouvernements. Mais le Premier ministre n’a pas pour autant accompli, en ces six grosses semaines, toutes les tâches qu’il avait assignées à son gouvernement. Et celles qu’il s’impose après l’été sont, au fond, encore plus grosses de querelles.

Reprendre, chapitre par chapitre, le déroulé de la note du 20 mai dernier suffit pour s’en apercevoir.

1. «POUVOIR D’ACHAT ET COMPÉTIVITÉ»

Ce qu’Alexander De Croo voulait en mai, c’était surtout deux choses. D’une part, il espérait de son gouvernement qu’il donne suite au rapport, prévu mi-juin, du groupe d’experts réuni sous l’autorité du gouverneur de la Banque nationale, Pierre Wunsch, sur la compétitivité et sur le pouvoir d’achat. D’autre part, il s’agissait de décider si les mesures d’aides sur la facture d’énergie (réductions d’accises sur le carburant et de TVA sur l’électricité, notamment), temporaires et coûteuses, seraient prolongées au-delà de septembre. Les libéraux francophones et flamands ne le voulaient pas, et la secrétaire d’Etat Open VLD au Budget, Eva De Bleeker, s’y étaient montrée réticente fin juin.

Ce qu’Alexander De Croo a obtenu en juillet, c’est que les mesures de soutien ont été prolongées jusqu’à 2023, comme le désiraient surtout les socialistes. Quant au rapport du groupe d’experts, certaines des propositions qu’il contenait, et en particulier la limitation de la vitesse autorisée sur les autoroutes ou l’abandon du régime des voitures de société, étaient un peu défavorables aux revendications du secteur de l’automobile. Le président du Mouvement réformateur, Georges-Louis Bouchez, l’a donc logiquement démoli dès que ses premiers éléments ont été présentés au conseil des ministres et ont fuité dans la presse.

2. «MARCHÉ DU TRAVAIL: POURVOIR LES POSTES VACANTS»

Ce qu’Alexander De Croo voulait en mai, c’était compléter le «jobsdeal» bouclé fin 2021. Celui-ci doit faciliter le travail de nuit et flexibiliser les horaires de travail. Les syndicats y sont si opposés qu’ils n’ont pu s’accorder avec les organisations patronales pour le mettre en œuvre, et que c’est le gouvernement fédéral, et spécialement le ministre socialiste de l’Economie et du Travail, Pierre-Yves Dermagne, qui s’en chargera. «Comme les défis sur le marché du travail restent considérables, et en particulier pour que les postes vacants soient pourvus au plus vite, il semble approprié de prendre des mesures supplémentaires en étroite collaboration avec les Régions. Chaque gouvernement a inclus l’objectif d’un taux d’emploi de 80% dans son accord de gouvernement», spécifiait la note du 20 mai.

Ce qu’Alexander De Croo a obtenu en juillet, c’est absolument rien. Les socialistes francophones ont déjà eu du mal à avaler, après la torture que furent pour eux les discussions sur l’Accord interprofessionnel, les concessions sur ce jobsdeal très dérégulateur, donc fort peu socialiste (et donc, s’énerve-t-on au PS, fort apprécié par Frank Vandenbroucke). Ils n’allaient pas en redemander.

3. «RENFORCEMENT DE LA POLITIQUE ET DE L’ARCHITECTURE DE SÉCURITÉ»

Ce qu’Alexander De Croo voulait en mai, c’était convaincre les socialistes et, surtout, les écologistes de la nécessité pour la Belgique d’encore augmenter les investissements dans son armée – après une première vague décidée, conformément à l’accord de gouvernement: ça, c’était le «plan Star» approuvé fin janvier. «Le gouvernement examine actuellement comment la norme de 2% de dépenses qui s’applique au sein de l’Otan peut être mise en œuvre dans notre pays. En effet, la Belgique ne peut être le seul Etat membre de l’Otan à vouloir bénéficier de la protection collective offerte par l’Alliance, sans vouloir contribuer à cette protection au même niveau que les autres Alliés», lisait-on dans la «to-do list» primo-ministérielle. En 2014, les alliés avaient promis de parvenir à ce seuil des 2% en 2024.

Deux pour cent du PIB investis dans la Défense en 2035. C’est dans longtemps, tout le monde aura probablement oublié cet engagement d’ici là.

Ce qu’Alexander De Croo a obtenu en juillet, c’est un engagement des socialistes et (surtout) des écologistes que les 2% du PIB investis dans la Défense – la Belgique est aujourd’hui autour d’1,11% et le «plan Star» prévoyait 1,54% en 2030 – soient atteints en 2035. C’est dans longtemps, et tout le monde aura probablement oublié cet engagement d’ici là, mais cela a permis à Alexander De Croo de passer un sommet de l’Otan plus tranquille, à Madrid, fin juin.

Les annonces se sont multipliées entre le 18 juin et le 18 juillet. Ne fallait-il pas se donner bonne conscience avant de boucler les valises?
Les annonces se sont multipliées entre le 18 juin et le 18 juillet. Ne fallait-il pas se donner bonne conscience avant de boucler les valises? © photo news

4. «SÉCURITÉ D’APPROVISIONNEMENT ET ACCÉLÉRATION DE LA TRANSITION»

Ce qu’Alexander De Croo voulait en mai, c’était arriver à un accord pas trop humiliant avec Engie, l’exploitant des deux réacteurs nucléaires que la Vivaldi a finalement décidé de prolonger alors qu’il était prévu depuis vingt ans qu’ils fermeraient. «L’ objectif est de conclure les discussions avec Engie sur les modalités de la prolongation de dix ans de la capacité nucléaire de 2 GW à court terme», précisait la note.

Ce qu’Alexander De Croo a obtenu en juillet, c’est un accord fort incertain avec Engie. Il prévoit que l’Etat belge et la multinationale française constituent une société qui partage les risques, élevés, et les bénéfices, douteux, de cette prolongation. Mais il a surtout obtenu que les verts l’acceptent, alors que se réalise tout ce qu’ils redoutaient: Engie profite de sa position de force.

5. «RÉFORME DES PENSIONS»

Ce qu’Alexander De Croo voulait en mai, c’était avoir quelque chose à annoncer en juillet. «L’ objectif est que le Conseil des ministres approuve prochainement en première lecture un projet de loi qui mette en œuvre la réforme des pensions (salariés, fonctionnaires et indépendants). Ce projet sera ensuite soumis à l’avis des partenaires sociaux», relatait fort sobrement sa note.

Ce qu’Alexander De Croo a obtenu en juillet, c’est quelque chose à annoncer, ce qui fut compromis lorsque Paul Magnette proclama, début juillet, qu’il valait mieux aucune réforme que pas de réforme du tout. Après l’accord, qui prévoit vingt ans de travail effectif (à 4/5e temps) pour accéder à la pension minimale, les libéraux francophones et le CD&V ont estimé que les pensions les plus faibles promises dans cette configuration étaient encore trop élevées, et donc que la réforme n’était finalement qu’un premier pas vers de plus substantielles économies. Le président du parti d’ Alexander De Croo leur a répondu, dans un impeccable néerlanglais: «Als je in een coalitie zit, own your shit!» Les socialistes francophones, satisfaits d’avoir sauvé les meubles, et Alexander De Croo, content d’avoir sa réforme, ont apprécié.

6. «AGENDA INTERNATIONAL»

Ce qu’Alexander De Croo voulait en mai, c’était surtout rappeler qu’il était en charge des Affaires étrangères, en l’absence de Sophie Wilmès. Et qu’il faudrait peut-être envisager de livrer davantage d’armes à l’Ukraine.

Ce qu’Alexander De Croo a obtenu en juillet, c’est que l’on continue à discuter de ces livraisons, et des autres sujets qui, en Belgique, suscitent rarement d’insupportables tensions politiques. Une nouvelle ministre MR, Hadja Lahbib, a désormais remplacé Sophie Wilmès.

7. «CONFECTION DU BUDGET 2023»

Ce qu’Alexander De Croo voulait en mai, c’était, au-delà des précisions techniques (l’attente de l’avis du comité de monitoring) et des précautions numéraires (la mauvaise situation budgétaire de la Belgique par rapport à la plupart des autres pays de la zone euro), n’autoriser avant les vacances qu’«une première discussion sur les éventuelles demandes supplémentaires prioritaires», celles-ci devant être «couvertes par des mesures budgétaires compensatoires». En d’autres termes, il souhaitait, une fois les précédentes dispositions adoptées, et presque tout l’accord de gouvernement mis en œuvre, que chacun ne se mette à revendiquer de nouvelles mesures que lorsque les vacances seraient terminées. Ou du moins, entamées.

Le budget 2023 sera aussi celui de 2024, a dit le Premier ministre. On négociera donc deux mois, de mi-août à mi-octobre, ce qui devra valoir pour deux ans.

Ce qu’Alexander De Croo a obtenu en juillet, c’est que tous ses partenaires veulent obtenir plein de choses en octobre. Le budget 2023, a dit le Premier ministre, sera aussi celui de 2024. On négociera donc deux mois, de mi-août à mi-octobre, ce qui devra valoir pour deux ans. Paul Magnette a déjà réclamé qu’en sorte un énorme paquet de mesures socio-économiques. Samy Mahdi (CD&V) et Jean-Marc Nollet (Ecolo) multiplient les propositions contradictoires, et Georges-Louis Bouchez (MR) les tweets cinglants.

Il n’a décidément pas fini de peler, le cuir des sièges du «bunker».

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