Youssef Handichi est passé du PTB au MR de Georges-Louis Bouchez et David Leisterh, un grand écart presque jamais vu dans notre histoire politique, en est-il le plus grand traître? © Photo News

Du PTB au MR, Youssef Handichi est-il le pire traître de notre histoire politique?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Il est passé du PTB au MR. Le député Youssef Handichi accomplit là un mouvement jamais vu dans notre histoire politique. Au point d’en être le pire traître?

En partant du parti le plus à gauche, le PTB, pour rejoindre le parti le plus à droite, le MR, le député bruxellois Youssef Handichi a joliment mis en application une antique espérance marxiste. «De chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins», lisait-on en effet dans de vieux livres laissés à la critique rongeuse des souris.

Ancien chauffeur de la STIB, syndicaliste à la CSC, Youssef Handichi a beaucoup donné de sa personne et de ses ressources pour faire grandir le premier de ses partis à Bruxelles, à qui il a comme il se doit donné une grande partie de ses moyens.

Mais ces moyens ne répondant plus à ses besoins, il a choisi, non pas de quitter la politique pour retrouver le monde ouvrier, comme il l’avait annoncé, mais de rejoindre un deuxième et plus récent parti, le MR, pour rester dans le monde politique tout en lançant sa propre entreprise. «Les extrêmes s’attirent», dit-on parfois très improprement, et passer ainsi de la formation la plus à gauche de Belgique francophone au parti le plus à droite de l’espace Wallonie-Bruxelles pourrait ressembler à une confirmation empirique de cette théorie dite du «fer à cheval».

De fait, la distance idéologique et sociologique parcourue par le transfert de Youssef Handichi serait pratiquement inédite dans l’histoire politique de la Belgique si on considérait le clivage gauche-droite comme un continuum. Sauf que cette distance si élevée est l’exception dans l’histoire des transfuges politiques, dans laquelle la règle est que lorsque l’on quitte un parti, c’est généralement pour rejoindre le parti le plus proche sur les plans idéologiques et sociologiques.

Est-ce à dire que Youssef Handichi est le pire traître de l’histoire politique de la Belgique?

Au PTB, évidemment, on n’est pas loin de le penser.

Les 14.000 électeurs qui ont coché son nom en mai 2019, alors qu’il était un candidat PTB, donc marxiste, qu’il était toujours ouvrier (en congé politique) dans le secteur public, syndicaliste, pour la «taxe sur les millionnaires», contre la «neutralité exclusive» et en faveur de la gratuité des transports publics le croiront-ils également lorsqu’il s’agira de voter pour un candidat MR, donc antimarxiste, qui est désormais entrepreneur (en cumul avec la politique), pour la baisse de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, contre la «neutralité inclusive» (enfin ce n’est pas encore très clair) et en défaveur de la gratuité des transports publics?

Au MR, bien entendu, on est fort enclin à l’espérer.

Mais Youssef Handichi, comme tout transfuge qui se respecte (et souvent, ils se respectent fort), lui, ne se voit pas du tout comme un traitre. «Je suis libéral depuis longtemps», a-t-il proclamé lors de sa conférence de presse de présentation, je suis le premier surpris d’avoir transité par le PTB », assumant pourtant une forme de double jeu pendant toutes ces années. Voire, donc, un forme de traîtrise. Mais les transfuges, en général, tentent de (se) convaincre qu’ils restent fidèles à ce qu’ils sont en trahissant la cause des leurs.

«Ce sont les partis qui ont changé, pas moi», s’était d’ailleurs ainsi justifié Serge Moureaux dans les années 1980.

Voyons avec quelles figures de notre histoire politique Youssef Handichi rivalise, et quelles régularités se dégagent de ces trahisons.

Traître politique, de l’extrême gauche à partout

Etaient-ils sérieux lorsqu’ils avaient dix-sept ans? Ils sont en tout cas nombreux à avoir sérieusement milité à cet âge pour la collectivisation des moyens de production. En Flandre, Vincent Van Quickenborne (aujourd’hui Open VLD via la Volksunie, ancêtre de la N-VA) et Siegfried Bracke (aujourd’hui N-VA via le SP, aujourd’hui Vooruit, et la BRT, aujourd’hui VRT), par exemple, ont à l’adolescence été membres du PTB ou de son prédécesseur, Amada-TPO (pour Tout le pouvoir aux ouvriers).

En Wallonie, Pierre-Yves Dermagne (aujourd’hui PS) a été affilié à la fédération namuroise du même parti.

Et Jean-Luc Crucke (aujourd’hui Les Engagés via le MR) fréquentait un groupe étudiant anarchiste lorsqu’il assista à une conférence du ministre de la Justice Jean Gol, qui recruta le bouillant et juvénile libertaire. Patron des libéraux francophones jusqu’à son décès en septembre 1995, ancien cadre des Etudiants socialistes que, trotskyste et prowallon, il quitta à cause d’une droitisation alléguée pour fonder le Parti Wallon des Travailleurs, qu’il contribua à fondre dans le Rassemblement wallon, qu’il quitta à cause d’une gauchisation alléguée pour fonder le PRLW antimarxiste et prowallon avec les libéraux wallons mais sans les bruxellois, puis le PRL avec les bruxellois, qu’il unit au FDF profrancophone en 1993, Jean Gol avait, il est vrai, une certaine expérience de la transhumance. Jean Gol est, au fond, un des seuls francophones à avoir parcouru autant de distance politique que Youssef Handichi. Mais, à Jean Gol, il fallut deux décennies et plusieurs partis pour y arriver.

Ancien journaliste, Josy Dubié fut parlementaire Ecolo avant de faire campagne pour le PTB. Les verts prirent évidemment le geste comme une trahison. © BELGA

Traître politique, de la gauche à l’extrême gauche

Si certaines figures socialistes (Sfia Bouarfa, ancienne députée régionale) ou écologistes (Josy Dubié, ancien député régional ont ces dernières années soutenu le PTB, le gros des transfuges de la gauche vers la gauche de la gauche s’est surtout fait du Parti ouvrier belge, l’ancêtre du PS, vers le Parti communiste belge. Les deux fondateurs du PCB, Joseph Jacquemotte et War Van Overstraeten, avaient pour lancer leur parti fait sécession du POB, à l’initiative de l’Internationale Commmuniste. Plus tard, dans les années cinquante, la féministe boraine Isabelle Blume fut exclue du PSB avant de rejoindre le Parti communiste.

Traître politique, de la gauche à l’extrême droite

Un ancien – en fait le dernier puisqu’il prononça lui-même sa dissolution – président du Parti ouvrier belge a comblé lui aussi une distance similaire à celle de Youssef Handichi, en partant de moins à gauche et en arrivant beaucoup plus à droite. Socialiste hostile au marxisme, Henri de Man s’opposa assez durement à la présidence, qu’il jugeait trop à gauche, du patron du POB, Emile Vandervelde (qui avait, quelques décennies plus tôt, été un étudiant libéral fort motivé, mais c’est une autre histoire).

Devenu président du POB en 1939, après la démission puis le décès de Vandervelde, De Man veut imposer à son parti la ligne d’un socialisme national. La victoire allemande de mai 1940 lui permet de souplement le transformer en national-socialisme. Henri de Man déclare le POB dissout dans un Manifeste aux membres du POB, précise que la défaite, «loin d’être un désastre, est une délivrance», et fonde un syndicat corporatiste et collaborationniste, l’UTMI (Union des travailleurs manuels et intellectuels). L’immense majorité des cadres et des militants socialistes ne le suit pas, et certains, dans la clandestinité, poursuivent le travail du parti dissous, qu’ils renommeront PSB après la Libération. Celle-ci n’en est pas vraiment une pour Henri de Man, condamné à une peine de 20 ans de prison pour collaboration. Exilé en Suisse, il ne la purgera pas. Mais il se fera écraser par un train, passant en retard sur un passage à niveau, en 1953.

Paul-Henri Spaak (PS puis FDF), « personnage néfaste », est-il un des pires traîtres de notre histoire politique?

Traître politique, de gauche à droite

Allié de de Man pour ardemment contester Emile Vandervelde sur sa droite après 1935, Paul-Henri Spaak avait, avant 1935, violemment contesté Emile Vandervelde sur sa gauche, notamment lorsqu’il dirigeait l’intransigeant hebdomadaire L’Action socialiste. Entre l’avant et l’après, il n’y eut qu’un moment, celui d’une nomination comme ministre des Transports et des PTT dans le gouvernement tripartite de Paul Van Zeeland, installé le 25 mars 1935. Premier ministre avant et après la guerre, Spaak s’éloigne des affaires nationales lorsqu’il devient secrétaire général de l’Otan, au plus grand soulagement de l’aile gauche de son parti, jusqu’à 1961. Revenu sur la scène belge, il redevient notamment ministre des Affaires étrangères, à la plus grande colère de l’aile gauche de son parti, à qui il mène la vie dure. En 1971, il annonce quitter le PS et s’affilie au FDF (ancêtre de DéFI, dont sa fille, Antoinette, sera plus tard présidente), soulageant et encolérant en même temps l’aile gauche de son parti.

Professeur à l’ULB, Marcel Liebman disait de Spaak qu’il était « un des personnages les plus néfastes de l’histoire contemporaine de la Belgique ». Dans un «essai biographique» intitulé Spaak ou la politique du cynisme, Liebman remarquait que «s’il est vrai que le terme de « trahison » est, en politique, d’un usage trop fréquent et trop facile, il est des circonstances qui l’imposent sans conteste. Le lâchage par P.H. Spaak de la gauche socialiste belge en 1935 est parmi elles»…

Autre monument socialiste, l’Anderlechtois Henri Simonet, bourgmestre de sa commune et ministre PS des Affaires étrangères de 1977 à 1980, était rigoureusement aligné sur Paul-Henri Spaak lorsqu’il s’agissait de mener la vie dure à l’aile gauche de leur parti. Simonet quitte avec fracas le PS en 1985 et rejoint le PRL de Jean Gol. Il en restera parlementaire jusqu’en juin 1992, date à laquelle il cède la place à son suppléant, l’Anderlechtois Jacques Simonet, son fils, qui sera bourgmestre d’Anderlecht et ministre-président bruxellois et patron des libéraux bruxellois jusqu’à son décès prématuré en 2007. La fille de Jacques, Eleonore Simonet sera sur la liste régionale bruxelloise du MR le 9 juin, à l’avant-dernière place.

Traître politique, de droite à gauche

Peut-être faut-il y voir une confirmation de cet adage qui proclame que celui qui n’est pas révolutionnaire à 20 ans n’a pas de cœur, mais que celui qui n’est pas conservateur à 40 n’a pas de raison, mais les transfuges issus de la droite vers la gauche sont plutôt rares. On se rappellera tout de même de Serge Moureaux, frère de Philippe, socialiste plus connu, et fils de Charles, ancien ministre libéral, qui commença sa carrière politique dans le parti de son père, passa au FDF, puis la termina dans le parti de son frère. «Ce sont les partis qui ont changé, pas moi», se justifia-t-il dans les années 1980 quand Le Soir lui demanda d’où lui venait cette fluidité, formulant un adage encore très couru chez les transfuges soucieux de justifier leur trahison. Toujours des rangs libéraux aux bancs socialistes, on rangera l’ancien bourgmestre de Forest et actuel député bruxellois Marc-Jean Ghyssels.

Ernest Glinne (à gauche) et Jean Guy (à droite) à un congrès écolo avec José Daras, sont passés du rouge au vert. Un cas rare dans notre histoire politique. © BELGA

Traître politique, du vert au rouge et du rouge au vert

Entre les écosocialistes du PS et les écologistes sociaux d’Ecolo, les transferts auront été plutôt rares, et concernaient surtout des personnalités en fin de carrière. Du PS à Ecolo, il y eut Ernest Glinne, dit Ernest le Rouge, ancien ministre, et Jean Guy, ancien rédacteur en chef de l’ancien journal socialiste Le Peuple. Il y eut aussi Paul Magnette, qui participa, fort jeune, à quelques réunions de la locale écolo de Charleroi (et qui fut,moins jeune, collaborateur scientifique au Centre Jean Gol, mais c’est une autre histoire aussi). D’Ecolo au PS via Ecolo au RWF, il y eut notamment le Bruxellois Henri Simons.

Traître politique, du centre-droit au centre-droit

Entre les libéraux et leurs héritiers et entre les sociaux-chrétiens et leurs prolongateurs se firent le plus gros des transferts politiques en Belgique francophones, souvent lors d’opérations de débauchage à grande échelle.

Elles se firent surtout des uns vers les autres depuis la transformation en 1961 du Parti libéral en Parti pour la liberté et le progrès (il y en eut des dizaines, de Charles Poswick au début des années 1960 au député bruxellois Bertin Mampaka pendant cette législature, en passant par Gérard Deprez et MarieChristine Marghem, bien sûr, mais aussi Richard Fournaux ou à l’ancienne présidente des jeunes CDH Opaline Meunier, par exemple). Mais Jean-Luc Crucke a montré tout récemment que la connexion fonctionnait aussi des autres vers les uns.

Roger Nols (PL, puis FDF, puis PRL, puis FN) mena des campagnes racistes qui en firent un bourgmestre très populaire. Et un traître de notre histoire politique? © BELGAIMAGE

Traître politique, de la droite à l’extrême droite

Beaucoup de ceux qui tentèrent d’implanter l’extrême droite en Belgique francophone avaient commencé leur vie politique dans la droite démocratique, voire au centre.

Ce fut le cas de Daniel Féret, «président à vie» du Front national belge mais aussi de Laurent Louis, jeune MR nivellois avant de devenir député fédéral du Parti populaire. En 2014, c’est pourtant un ancien socialiste, Aldo Carcaci, qui fut échevin PS à Saint-Georges-sur-Meuse, que le PP parvint à faire élire à la Chambre des représentants.

Et le très polémique bourgmestre FDF de Schaerbeek Roger Nols fut avant cela un fort populaire conseiller communal libéral, puis fut un très polémique bourgmestre PRL de Schaerbeek avant de se transformer en fort polémique candidat du Front national, le tout tout en ayant été un très populaire candidat des listes Nouvelles orientations pour les libertés schaerbeekoises, dont l’acronyme se prononçait Nols. En toute modestie.

Traître politique, dans tous les sens

Bruxelles, avec ses 19 communes, ses six zones de police, ses deux commissions communautaires et son esprit de clocher, est un théâtre politique dont les acteurs excellent dans le retournement de veste. L’ancienne députée Souad Razzouk en a porté quatre, celle du FDF, donc du MR, jusqu’en 2009, avant de rejoindre le PS car elle préférait « être à la droite d’un parti de gauche qu’à la gauche d’un parti de droite« , mais l’aphorisme était réversible puisque, non élue en 2009, elle était candidate CDH en 2010, puis en 2014, avant d’envisager en 2019 un retour vers DéFI. Plus drôle parce qu’encore moins conséquent est le vestiaire de l’ancien ministre bruxellois PSC Dominique Harmel. Il avait quitté son parti lorsqu’il se transforma en CDH parce que ce dernier renonçait à la référence chrétienne, et avait fondé les CDF, pour Chrétiens démocrates francophones, avant de rejoindre le FDF, puis DéFI, qui a renoncé à son pluralisme philosophique d’origine pour embrasser une laïcité à la française. A la fois pour et contre l’affirmation du catholicisme en politique, Dominique Harmel est toujours échevin à Woluwe-Saint-Pierre.

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