Le président du PS publie un «manifeste écosocialiste». Avec dans l’idée une recomposition du paysage politique francophone? © belga image

L’écosocialisme du PS, cadeau ou piège pour Ecolo? (analyse)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Paul Magnette publie La Vie large, un «manifeste écosocialiste» qui veut confirmer le virage écologique du PS. En Belgique francophone, socialistes et écologistes sont à la fois partenaires privilégiés… et rivaux potentiels.

Comme cul et chemise. Ou bien comme écorce et chair – vous savez, celles de la fameuse pastèque, verte à l’extérieur, rouge à l’intérieur.

Ecolo et PS sont côte à côte dans les manifestations, ils sont coude à coude dans les gouvernements, ils sont en tête à tête dans des collèges communaux. Et aujourd’hui que Paul Magnette, président du Parti socialiste et bourgmestre de Charleroi, publie son «manifeste écosocialiste», intitulé La Vie Large (éd. La découverte, 304 p.), tous les membres des deux partis, de la tête aux orteils, se voient reposer la sempiternelle question de leur association.

Pas pour se fondre dans un parti futur, non. Mais pour établir en tout cas que ce que les «convergences de gauche» de 2002 avaient semblé mettre en place a pris corps dans la Belgique francophone de 2022. Et ce que la révélation écosocialiste du PS en 2017, sous Elio Di Rupo, était déjà censé avoir officialisé, en tout cas chez les rouges.

Le bourgmestre-président-essayiste confirme d’ailleurs, aujourd’hui, la profondeur de la conversion. «A une époque, il y eut les convergences de gauche, mais c’était un truc construit depuis l’appareil… Ici, disons que ça se fait plutôt naturellement: il y a des convergences et des complémentarités. Sociologiquement et idéologiquement nous sommes plutôt proches. Et donc, si le choix se pose, à résultat égal, et avec les mêmes personnalités…», explique Paul Magnette. Le président écosocialiste ne termine pas sa phrase, mais on a un peu compris.

Il y a des convergences et des complémentarités. Sociologiquement et idéologiquement nous sommes plutôt proches. Et donc, si le choix se pose, à résultat égal, et avec les mêmes personnalités…» Paul Magnette, président du Parti socialiste et bourgmestre de Charleroi.

Il ne doit pas non plus le dire trop fort. Ça donnerait trop de crédit aux débiteurs de pastèque, surtout réformateurs, qui assènent que voter Ecolo ou voter PS, c’est du pareil au même – vous savez, chou vert et chou rouge, ou un truc du style. Car il y a dans l’électorat socialiste des gens qui détestent les écologistes, et il se trouve dans l’électorat écologiste des personnes qui haïssent les socialistes, et l’officialisation de ces convergences – vous savez, ce «truc construit depuis l’appareil» – serait nocive pour ces deux formations, que tout, pourtant, voue à l’association.

Le Scoubidou

C’est pourquoi rouges et verts tortillent leurs arguments dans un Scoubidou de rapprochements et de distanciations. «Sur l’échiquier, globalement, oui, Ecolo est le parti le plus proche du PS. Il y a une communauté de valeurs sur les questions de droits humains. Mais la difficulté, c’est de savoir si Ecolo est de gauche», pose et dépose ainsi Ahmed Laaouej, député fédéral et président de la Fédération bruxelloise du Parti socialiste.

«On nous a déjà fait le coup des convergences à gauche…», fait, comme pour lui répondre, Olivier Bierin, député wallon écologiste, et liégeois. «Dans les faits, ils sont beaucoup moins écosocialistes que dans leur nouvelle doctrine: regardez sur l’aéroport de Liège, par exemple. C’est du discours de Paul Magnette, l’écosocialisme, mais beaucoup moins des actes de ses ministres et bourgmestres, hein.»

Un autre député wallon de l’arrondissement de Liège, Mauro Lenzini, socialiste et d’Oupeye, lui, adresse aux verts un reproche presque symétrique: «Sur le programme et sur le volet relatif à l’environnement et à la biodiversité, on ne peut qu’être d’accord. Maintenant, sur le développement économique, sur l’énergie et sur la mobilité, on ne peut pas dire que leurs positions soient les plus sensées qui soient, spécialement à Liège…», souffle-t-il.

Leur collègue et voisine, l’Ecolo Veronica Cremasco redonne, dans l’autre sens, un coup de symétrie: «J’ai une vraie fibre de gauche, et c’est un vrai plaisir de travailler avec les socialistes en général. Mais il y a parfois un problème de personnes, vous voyez… Et puis, leur vision de l’aéroport, ce n’est pas la mienne, et leur version du stop béton, ce n’est pas la mienne non plus».

Nicolas Martin, bourgmestre de Mons, estime qu’au niveau local le partenariat est «assez naturel»...
Ecosocialisme: Nicolas Martin, bourgmestre de Mons, estime qu’au niveau local le partenariat est «assez naturel»… © belga image

Verts et rouges ne sont pas à se bagarrer dans un octogone, mais ils se jettent quand même des morceaux d’orthogone.

Rajae Maouane, coprésidente d’Ecolo, trace la ligne, angle, arrondit, et recadre: «Non, on ne commet pas une erreur d’analyse en disant que le PS est le parti le plus proche de nous, idéologiquement. On a pas mal de combats communs. Mais cette prise de conscience du volet climatique et environnemental est-elle opportuniste ou réelle? Je pense vraiment que Paul Magnette est sincère. Mais je distingue Paul Magnette de l’ensemble de son parti: je n’ai pas toujours l’impression que ça percole loin au-delà du boulevard de l’Empereur…»

Il y a dans ces récriminations et ces affections croisées quelque chose du très éternel débat de l’adéquation entre théorie et pratique, de ces mots bien beaux et de ces actes fort laids qui caractériseraient la vie politique. L’ essai théorique de Paul Magnette lui-même n’épargne pas certains courants et penseurs écologistes, et se dissocie de certaines pratiques… tout en pouvant les présenter comme inévitables. «Quand l’écologie consiste à renoncer à sa voiture et à l’avion, à manger moins de viande, à déménager vers un logement plus petit et à acheter moins de vêtements, il n’est pas étonnant qu’elle soit perçue comme un nouveau surmoi castrant nos désirs les plus élémentaires», écrit le bourgmestre de Charleroi en une page 178 fort dépréciative sur ce qu’il nomme «l’écologie des choix individuels». Mais un peu plus tôt, le président du Parti socialiste n’avait pas forclos son surmoi castrant: «On sait que les déplacements en voiture individuelle, en avion et en bateau, la consommation de données digitales ou de protéines animales… devront diminuer dans les pays les plus prospères si l’on veut permettre aux autres de continuer à se développer», lit-on ainsi à la page 171 de La Vie large.

Sur l’échiquier, Ecolo est le parti le plus proche du PS. Il y a une communauté de valeurs sur les questions de droits humains. Mais la difficulté, c’est de savoir si Ecolo est de gauche.» Ahmed Laaouej, député fédéral et président de la Fédération bruxelloise du Parti socialiste.

«Le parti le moins éloigné»

D’accord, ou plus ou moins, dans l’empyrée de la théorie, forcés, peu ou prou, de s’entendre dans la glaise de la pratique, écologistes (sociaux ou pas) et écosocialistes partagent de plus en plus d’expériences locales.

Et c’est, en fait, plutôt du chef des socialistes qui, après les élections communales de 2018, donnèrent un certain systématisme aux alliances rouges-vertes, à la très notable exception de Liège. Dans la plupart des communes bruxelloises et dans toutes les grandes cités hennuyères, PS et Ecolo ont signé des accords de majorité. Pas parce qu’ils lisaient les mêmes essais de philosophie politique.

«C’est là qu’on voit la différence entre le terrain et la vie conceptuelle», éclate de rire Nicolas Martin, bourgmestre de Mons, où il est en coalition avec les verts, et président de la fédération de Mons-Borinage de son parti. «Il y a des convergences, c’est clair. Mais les choses se font assez naturellement, comme sur la nature en ville. Oui, au niveau local, c’est un partenariat assez naturel. Et puis, compte tenu des évolutions récentes du spectre politique national, avec le MR qui va vers une droite de plus en plus conservatrice et le PTB qui ne veut pas monter dans les majorités, Ecolo est sans doute le parti qui est le moins éloigné de nos positions», observe-t-il.

... comme Christos Doulkeridis, bourgmestre d’Ixelles, qui sait éviter «les caricatures réciproques d’usage».
… comme Christos Doulkeridis, bourgmestre d’Ixelles, qui sait éviter «les caricatures réciproques d’usage». © belga image

A Ixelles, où une majorité verte-rouge a succédé à un collège bleu-rouge après le scrutin de 2018, l’écologiste Christos Doulkeridis, bourgmestre, jauge ainsi la conversion écosocialiste de la formation associée. «Je remarque qu’à Ixelles, on parvient à trouver des accords qui permettent de mettre en œuvre la transition écologique et d’être au rendez-vous de nos responsabilités sociales, en évitant les caricatures réciproques d’usage. Au-delà de mon terrain local, oui, les socialistes ont compris l’importance de l’écologie pour l’opinion publique, et donc pour leur survie. Cela rend certains combats compatibles, oui. Actuellement, c’est clairement le parti avec lequel, sur la solidarité, il est possible de construire quelque chose en commun. Mais sur d’autres enjeux, ça l’est beaucoup moins. Sur certaines pratiques politiques, par exemple.»

Mauro Lenzini (PS) trouve que son parti a beaucoup de convergences avec Ecolo sauf sur la mobilité et le développement économique...
Mauro Lenzini (PS) trouve que son parti a beaucoup de convergences avec Ecolo sauf sur la mobilité et le développement économique… © belga image

Ecosocialisme: profit électoral immédiat

C’est aussi que l’intensité de la préoccupation environnementale des socialistes, tout autant que celle de la mobilisation sociale des écologistes, dépendait, dépend et dépendra des enjeux de campagne. Et là, il en faut en fait peu pour que la chemise s’éloigne du cul.

En 2002, au moment des convergences de gauche, les socialistes n’avaient pas beaucoup soutenu leurs convergents au sujet du Grand Prix de Francorchamps et de la publicité pour le tabac. Et juste un peu plus tard, en 2007-2009, au moment des «affaires» carolorégiennes, les écologistes n’avaient pas fort défendu leurs camarades qui n’en sont pas revenus. C’est-à-dire qu’aucune convergence doctrinale ne pourra totalement étouffer l’instinct de survie d’un parti.

Ni même sa quête, toujours vitale, de profit électoral immédiat, fût-ce aux dépens d’un convergent concurrent.

Le PS est le parti le plus proche de nous. On a pas mal de combats communs. Mais cette prise de conscience du volet environnemental est-elle opportuniste ou réelle?» Rajae Maouane, coprésidente d’Ecolo.

Un intéressant article de trois politologues de l’ULB, revenant en 2019 pour La Revue nouvelle sur la campagne électorale de cette année-là («Vert de Rage?», par Robin Lebrun, Thomas Legein et David Talukder), expliquait comment la stratégie agressive du MR envers Ecolo, alors que la thématique climatique s’imposait, avait contribué à crédibiliser Ecolo, alors que le PS, qui aurait pu en profiter, par ricochet, puisqu’il se disait déjà écosocialiste, mais qui avait échoué «à accaparer l’enjeu dans le contexte d’une attention croissante dédiée au duel se jouant entre les libéraux et les écologistes sur la question climatique».

L’ approfondissement du virage écosocialiste du PS, pensé par son président, et conjugué avec l’hystérisation des débats entre verts et bleus, notamment sur le nucléaire, a aussi cet objectif: attirer des électeurs effrayés par ce que dénonce le MR chez Ecolo, mais trop effrayés par ce qu’Ecolo dénonce pour accorder de l’intérêt au MR.

Ainsi tout n’est-il pas si rose entre rouges et verts. Surtout quand menace un ciel bleu.

... mais Veronica Cremasco (Ecolo) trouve que son parti a beaucoup de convergences avec le PS sauf sur la mobilité et le développement économique.
… mais Veronica Cremasco (Ecolo) trouve que son parti a beaucoup de convergences avec le PS sauf sur la mobilité et le développement économique. © belga image

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