Les démissions des Premières ministres Jacinda Ardern et Nicola Sturgeon et la mise en retrait du ministre de la Défense Jakob Ellemann-Jensen: parfois, l’énergie vient à manquer. © National

Jacinda Ardern, Nicola Sturgeon, Jakob Ellemann-Jensen… : comment rebooster les politiques ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Démissions surprises, retraites temporaires…: le contexte est-il trop pesant pour les dirigeants ou font-ils preuve de plus d’intelligence? Entre exigences du citoyen-consommateur et complexité de la prise de décision, pas simple d’être un politique en 2023.

Est-ce la conséquence de la succession de crises: épidémie de Covid, dérèglement climatique, guerre en Ukraine, transition énergétique? Ou l’effet de l’évolution de la société, transformée par l’information immédiate, le diktat de la transparence et la désaffection pour l’intérêt général? Voire l’indice d’une manière plus saine d’envisager le service à la nation?

En l’espace d’un mois, trois personnalités politiques ont annoncé renoncer à leur fonction: le 19 janvier, la Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, âgée de 42 ans, le 15 février, son homologue écossaise de 52 ans, Nicola Sturgeon, toutes les deux à titre définitif, et le 6 février, le ministre danois de la Défense, Jakob Ellemann-Jensen, 49 ans, de manière temporaire. «Maintenant, mon corps envoie le signal qu’il est temps de faire une pause si je ne veux pas que cela tourne mal», a justifié celui qui n’exerçait sa fonction que depuis le 15 décembre, mais qui la cumulait avec la présidence du Parti libéral du Danemark.

Auparavant encore, la conseillère fédérale suisse Simonetta Sommaruga, dont le poste équivaut à celui de ministre, et la cheffe de la diplomatie belge Sophie Wilmès avaient décidé de quitter leur fonction pour s’occuper l’une et l’autre d’un conjoint malade.

La dictature de la transparence et la spirale dégagiste engendrent, depuis quelques années, un affaiblissement considérable du milieu politique.

Mener une carrière politique serait-il devenu si difficile? Ministre à quatre reprises, députée française et européenne, militante depuis plus de quarante ans, Roselyne Bachelot reconnaît qu’il est plus ardu de mener un combat politique aujourd’hui, ne fût-ce qu’à cause des réseaux sociaux et de la défiance de la population. La France en fournit une inquiétante illustration avec l’explosion des violences à l’encontre des élus qui a connu son pic au moment de la crise des gilets jaunes.

Transparence, consumérisme, individualisme

La dégradation des conditions de vie des politiques est effectivement due en partie au changement d’appréhension de la politique par le citoyen. Autrice d’un essai pertinemment intitulé On a les politiques qu’on mérite (1), la politologue Chloé Morin pointe trois facteurs qui ont modifié son attitude.

D’abord, l’impératif de transparence: le politique est sommé de potentiellement tout dévoiler de sa vie, vouloir en préserver certains aspects est automatiquement source de suspicions. Cette exigence désinhibe certains citoyens qui se croient tout autorisé, y compris la violence.

Deuxième facteur, l’expansion du consumérisme: «Le numérique a transformé notre rapport au service, note Chloé Morin. A l’heure de la livraison “en deux heures”, du “drive”, et du “click-and-collect”, comment comprendre que les services publics, que nous finançons à grands frais avec nos impôts, ne soient pas disponibles et réactifs?», se demandent de plus en plus d’électeurs.

Enfin, la perte du sens de l’intérêt général: les citoyens qui réclament probité et honnêteté de la part des élus sont les premiers à solliciter une faveur de leur représentant pour obtenir un logement ou une place dans une crèche, témoigne l’adjoint d’un maire dans On a les politiques qu’on mérite.

«Il est manifeste que la dictature de la transparence et la spirale dégagiste engendrent, depuis quelques années, un affaiblissement considérable du milieu politique, en décourageant des profils compétents, et en rendant la vie impossible à ceux qui ont encore le courage – ou la folie – de se risquer à se présenter à des fonctions électives», analyse Chloé Morin.

Affaires, déconnexion, inefficacité

Mais la défiance envers la politique est aussi de la responsabilité des élus et des dirigeants. Les affaires de corruption et d’autres natures, l’impunité présumée dont, dans l’entendement du grand public, continuent à bénéficier les politiques alors que des condamnations ont pourtant été prononcées ; la déconnexion, apparente ou réelle, avec les réalités du commun des mortels ; la difficulté à prendre de «vraies décisions, claires et assumées» ou tout simplement l’impuissance à agir face à des défis colossaux, voilà autant de motifs d’alimenter la machine à décrédibiliser les représentants du peuple. Les citoyens ont le sentiment que la politique ne change plus la vie.

Comment leur redonner envie de politique, d’engagement, même si celui-ci peut prendre et a pris d’autres allures ces dernières années? Deux voies semblent se profiler pour y parvenir. L’une promeut les nouvelles formes de démocratie participative (assemblées de citoyens, référendums, pétitions…), l’autre, une révision de mesures prises à l’origine pour «assainir» le monde politique. En France, par exemple, le bilan de l’interdiction du cumul des mandats conclut apparemment à plus d’inconvénients que d’avantages.

Au-delà des dispositions techniques incitatives, c’est surtout une vision du sens commun qu’il faut recouvrer, insiste Chloé Morin. «Quand une société en arrive à un tel niveau de “chacun pour soi”, et quand le collectif ne désigne plus que ce que nous avons de négatif en commun – les charges et les dettes, l’insécurité, la pauvreté… –, c’est que notre problème n’est plus un sujet de qualité des élites. C’est une crise d’identité. Et ce qui nous guette est bien pire que la révolution que d’aucuns appellent naïvement (ou cyniquement) de leurs vœux: après un lent affaissement, la désagrégation.»

(1) On a les politiques qu’on mérite, par Chloé Morin, Fayard, 2022, 324 p. On aura tout essayé… (Fayard, 400 p.), sorti le 15 février, en est le prolongement.

Le contexte

Deux Premières ministres, la Néo-Zélandaise Jacinda Ardern et l’Ecossaise Nicola Sturgeon, qui démissionnent à la surprise générale, un ministre de la Défense et président de parti, le Danois Jakob Ellemann-Jensen, qui décide de se mettre en retrait: l’époque est-elle particulièrement pesante pour les politiques? Eléments de réponse et témoignage éloquent, à front renversé, d’une routière de la politique, l’ancienne ministre française Roselyne Bachelot.

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