Georges-Louis Bouchez, président du MR. © ID/bart de waele

Georges-Louis Bouchez, rédacteur en chef d’un jour: «Une déperdition d’argent colossale en Belgique»

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

La mauvaise utilisation de l’argent public, Emmanuel Macron ou l’emploi en Wallonie et à Bruxelles… des sujets que Georges-Louis Bouchez, président du MR, développerait s’il était rédacteur en chef du Vif.

Dans les colonnes des présidents de parti: Georges-Louis Bouchez

Le compte à rebours sera bientôt enclenché. Les élections régionales, fédérales et européennes se tiendront dans un peu plus d’un an.

A cette occasion, Le Vif a demandé aux présidents des six grands partis francophones d’endosser le costume de rédacteur en chef d’un jour. Chacun à leur tour et six semaines durant, ils exposeront les choix qu’ils effectueraient s’ils étaient à la tête de la rédaction. Eux qui s’appuient sur les médias pour défendre leur projet aiment aussi, de temps à autre, à critiquer le travail des journalistes. Les voilà libres de jouer le jeu, fictivement bien entendu.

Nous leur avons demandé de rédiger un éditorial, dans lequel ils s’adressent aux abstentionnistes, aux citoyens qui éprouvent de la désaffection envers la politique, pour les convaincre de se rendre dans l’isoloir.

Les présidents de parti proposeront également un sujet dont ils regrettent qu’il soit tabou et estiment qu’il mériterait pourtant de faire la couverture de notre magazine. Il leur a été demandé de suggérer un reportage international, une personnalité à rencontrer pour un grand entretien et, enfin, de mettre en lumière un chiffre qui compte à leurs yeux. Cinq éléments qui seront décryptés, décodés, analysés par la rédaction du Vif.

L’édito de Georges-Louis Bouchez: «Il est temps d’encourager le travail»

«Trente pour cent de la population francophone en âge de travailler est inactive: il est temps de changer un système qui, depuis des décennies, n’encourage pas le travail. Défendre la solidarité, ce n’est pas défendre l’assistanat aux dépens du travail. En travaillant, on gagne de l’argent pour soi, mais on contribue aussi au financement de cette solidarité. L’effort collectif est mieux réparti et cela permet de baisser les impôts, puisque les dépenses publiques diminuent et les recettes augmentent.

Cela implique un travail collectif qui va beaucoup plus loin que le débat sur les allocations de chômage, qu’il faudrait limiter à deux ans. En effet, en Wallonie et à Bruxelles, près d’une personne sur deux au chômage n’a pas son diplôme de l’enseignement secondaire. Nous devons réformer l’enseignement qualifiant, mieux organiser la formation en alternance et, surtout, orienter les moyens vers les organismes de formation les plus efficaces. Un travail particulier doit aussi être réalisé pour accompagner le retour au travail des bénéficiaires du CPAS et des malades de longue durée. Nous devons en outre concentrer nos efforts sur les travailleurs âgés de plus de 55 ans, en réduisant le coût de leur embauche pour les employeurs et en aménageant les fins de carrière.

Nous avons besoin d’une vision qui repose sur l’incitation, la récompense, l’accompagnement mais aussi la sanction. Alors que la Belgique fait partie des cinq pays européens où le taux d’activité est le plus faible et est la championne du monde de la fiscalité la plus élevée, il est urgent de mettre en œuvre de nouvelles recettes.»

Sa «cover taboue»: «En Belgique, la déperdition d’argent est colossale»

Le président du MR apprécierait un dossier sur les dépenses publiques en Belgique. Où, selon lui, il est trop souvent question de gabegie.

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La Belgique est l’un des pays de l’OCDE qui dépensent le plus pour l’enseignement. Avec un triste résultat, estime Georges-Louis Bouchez. © Getty

Georges-Louis Bouchez, quel sujet, à vos yeux trop tabou, mériterait de faire la couverture du Vif?

Les dépenses publiques, quand elles sont excessives et, en même temps, sans résultats. Prenons l’enseignement, par exemple. Nous faisons partie des pays de l’OCDE qui dépensent le plus par élève, or nous figurons au fond du classement Pisa. Les dépenses publiques représentent 56% de notre PIB, soit dix points de plus que la moyenne européenne. Pourtant, les gens ne sont pas satisfaits de la justice, des routes, du service administratif, la police manque de moyens, etc. Une question se pose: où part l’argent? Dès qu’un problème surgit, on promet un refinancement. En fait, l’argent part dans de multiples structures, dans des procédures pas toujours efficaces, on maintient des situations qui n’ont pas de sens. La déperdition de moyens est colossale. C’est un vrai tabou, parce que ce dossier, au terme de sa lecture, risque de fâcher tout le monde.

Y compris les libéraux?

Pourquoi pas… Si on revient sur les aides à l’emploi, ça fâchera les socialistes, mais on peut aussi revenir sur certaines aides aux entreprises ou mécanismes, en se demandant s’ils sont les plus pertinents. Je rêve du jour où un ministre expliquera qu’il a réduit son volume de dépenses, augmenté son efficacité et le niveau de satisfaction des usagers ou des contribuables. Un exemple: la politique de subsides dans les communes. Vous voulez une piscine? Subside. Un stade de foot? Subside. La commune voisine veut un club house pour son terrain de hockey? Encore un subside. Cessons cette petite concurrence et ayons une réflexion plus générale. Le dossier peut nous entraîner très loin, fâcher tout le monde, mais aussi remettre tout le monde en question sur la manière de dépenser. C’est la clé pour diminuer l’impôt et pour garantir un avenir aux générations futures, car nous vivons à crédit. La gauche a raison quand elle dit qu’on ne peut pas vivre à crédit des ressources de la planète, mais on ne le peut pas non plus sur le plan financier. Je verrais donc bien une couverture du type «La Belgique dépense trop». Le sous-titre serait «Justice, enseignement, routes… voici tous nos gaspillages».

Ce que vous dénoncez est pourtant très ancré en politique.

Oui, dans tous les partis. On a besoin d’une révolution culturelle. L’idéal serait de pouvoir dire: «Regardez, on n’a pas augmenté le budget, mais en réformant, on a pu dégager plus de moyens.» Le dossier déboucherait sur une question: quels bons principes de la dépense publique sont galvaudés? Les problèmes sont la politique du subside permanent, le saupoudrage, le manque de courage de faire des réformes. Faut-il remettre de l’argent dans la justice? Peut-être, mais si vous ne réformez pas les procédures et l’organisation, vous pouvez remettre de l’argent à l’infini. Ce dossier porte sur la vraie responsabilité politique telle qu’on ne l’évoque jamais: que fait-on de l’argent des autres?

Comment verriez-vous le sujet se décliner?

Une vue d’ensemble sur nos dépenses publiques, comparativement aux autres pays. Après, j’illustrerais avec les trois ou quatre départements où l’on dépense le plus. J’aborderais aussi ce qu’on peut y faire en matière de réformes, avant de vouloir y réinjecter de l’argent. Je conclurais en expliquant les principes d’une bonne gestion publique. Ce qui ressortira, c’est qu’il n’y a aucune évaluation des politiques publiques en Belgique, qu’il y a parfois un manque de courage pour faire des réformes et les expliquer, que le sous-localisme reste un problème, qu’il faut plus de planification de la dépense publique, et parfois oser dire non.

Son reportage international: que pèse encore l’Europe dans le monde?

Industrie, énergie et compétence militaire, trois domaines où le président du MR voudrait voir l’Europe reprendre la main. © Getty

Un sujet de portée internationale qui préoccupe Georges-Louis Bouchez et qui mériterait une analyse approfondie est, comme il le formule, «la perte de place de l’Europe face à la Chine et aux Etats-Unis». Dans un monde qui se bipolarise entre les deux puissances, l’Union européenne risque de se retrouver complètement hors jeu.

«Je suis un proatlantiste convaincu, mais cela ne doit pas nous amener à travailler uniquement sous le parapluie des Etats-Unis», considère le président du MR. Dès lors, il aimerait voir l’Union européenne renforcer son caractère politique sur trois thématiques. Il s’agit premièrement d’une stratégie industrielle «qui a disparu en Europe. On peut citer beaucoup d’exemples: microprocesseurs, photovoltaïque, etc. On a déjà loupé un tas de virages. Il faut retrouver de la souveraineté. Deuxièmement, nous devons reprendre de la maîtrise sur l’énergie, avec du nucléaire et du renouvelable, dans un mix qui ne soit pas pensé à l’échelon national, mais européen.» Enfin, explique le président du MR, la compétence militaire. «Je ne parle pas d’une armée européenne, mais d’un vrai pilier européen au sein de l’Otan. On ne peut pas avoir une Otan avec les grands Etats-Unis et des forces européennes disparates. Soyons atlantistes, mais avec une capacité d’autonomie. Si vous ne maîtrisez ni industrie, ni énergie, ni défense, vous n’avez pas voix au chapitre», redoute-t-il.

Le chiffre de Georges-Louis Bouchez: 64%

C’est le taux d’emploi en Wallonie, qu’il souhaite mettre en lumière. «Allez, à Bruxelles comme en Wallonie, on s’approche des 65%», admet-il. Pour lui, cela reste bien insuffisant comparé à la Flandre qui dépassait les 77% à la fin 2022. Et comparativement aux voisins allemands et néerlandais qui dépassent les 80%, précise le libéral. «C’est l’exemple même de réforme qu’il faut mener avant les élections. Si on n’augmente pas le taux d’emploi dans la partie francophone du pays, on va droit dans le mur. C’est la clé: chaque personne remise au travail représente entre 28 000 et 40 000 euros de gains pour l’Etat», soutient encore Georges-Louis Bouchez.

Son grand entretien: Macron et l’alignement des planètes

Emmanuel Macron
Emmanuel Macron

Georges-Louis Bouchez hésite entre deux présidents français: Nicolas Sarkozy, personnalité à laquelle il voue une admiration de longue date, ou Emmanuel Macron. C’est in fine pour le président en exercice qu’il opte. «Aujourd’hui, Emmanuel Macron est un moteur pour l’Europe. Ce choix est donc en adéquation avec le sujet international que j’ai choisi, puisqu’il est sans doute le plus europhile» des leaders européens. Mais une seconde raison explique ce choix, davantage liée à sa personnalité et sa situation. «Une personnalité comme la sienne, en second mandat, est plus intéressante encore. Il a une nature transgressive, tout en étant rationnel, et ne doit plus se faire réélire. Sur les grands chantiers et les réformes, même s’il apaise un peu en ce moment, ce serait intéressant de savoir ce qu’il est encore capable d’assumer. Il a bien identifié les problèmes de la France. Il a réformé les retraites, mais ira-t-il plus loin? Un homme aussi jeune, intelligent, qui ne doit plus être réélu, avec son énergie… si même lui ne réforme pas, c’est à désespérer de tout», tant, pour Georges-Louis Bouchez, la conjonction de ces éléments le met dans une situation propice à d’ambitieuses réformes.

Décrypage | Un président libéral, des choix libéraux

Le président des libéraux francophones s’exprime comme un président de parti libéral. Cela ressemble fort à une lapalissade, mais convenons qu’avec Georges-Louis Bouchez, les comportements et prises de position prennent parfois un tour inattendu. Ce n’est une découverte pour personne, sa vision de la politique se fonde sur le clivage et l’affirmation d’opinions fortes. Le Montois se montre tantôt transgressif, tantôt provocateur, quitte à déplaire, parfois au sein de sa propre formation.

En émettant le souhait de mettre sur pied un large dossier sur les dépenses publiques en Belgique, il entend évidemment donner un coup de pied dans la fourmilière. Mais il s’engage aussi sur un terrain qui, finalement, rassemble les libéraux.

Les gaspillages en matière d’argent public ont fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois, qu’il s’agisse des pensions des parlementaires, du mobilier au parlement de Wallonie, de financement des partis, de privilèges divers et variés. Le grand public, à raison sans doute, songe spontanément à ces thématiques lorsqu’il s’agit de réduire les gaspillages d’argent public. Et Georges-Louis Bouchez ne nie pas la nécessité d’un sursaut dans ce qu’il est convenu d’appeler la bonne gouvernance.

Mais c’est vers un autre terrain, plus global, très ancré dans les usages politiques, qu’il aimerait qu’on braque les projecteurs. Il évoque la façon de faire de la politique, le sens de l’engagement, l’évaluation des résultats obtenus à l’aune de l’argent déployé, la responsabilité envers les citoyens lorsqu’on est amené à gérer les deniers publics et à répartir les parts du gâteau. Bien entendu, sa vision de la problématique est éminemment politique, libérale en l’occurrence, en contradiction logique avec les options des partis de gauche sur le sujet. Le problème, pour Georges-Louis Bouchez, c’est le robinet des dépenses, à ses yeux trop abondantes. Il ne dit pas autre chose que la secrétaire d’Etat au Budget, Alexia Bertrand (Open VLD). «Rien que le budget fédéral est en déficit de 28 milliards d’euros», insiste-t-il.

Le sujet est-il tabou pour autant? Il est omniprésent dans le débat budgétaire. Mais, assure le président du MR, se comparer aux voisins européens et décortiquer de long en large le fonctionnement de nos dépenses publiques finira nécessairement par crisper à peu près tout le monde. En mettant le doigt là où ça fait mal. Il cite volontiers en exemples quelques secteurs sensibles, comme l’enseignement, les pensions, la sécurité sociale, la justice.

Sans surprise, tant il le répète à qui veut l’entendre, l’emploi – en particulier le taux d’emploi en Wallonie et à Bruxelles – est l’autre clé qui permettra d’assainir les finances publiques, assure le président du MR. C’est aussi, en matière de compétences politiques, cette chasse gardée des socialistes (au fédéral et en Wallonie, du moins) qu’il ne se prive pas d’égratigner. «Le PS, parti de la sieste», lâchait-il voici quelques semaines, alors parfaitement dans son rôle de trublion.

Enfin, il y a dans ce choix de vouloir s’entretenir avec Emmanuel Macron, qu’il s’imagine d’ailleurs interviewer lui-même, une forme de synthèse plutôt cohérente et en adéquation avec la figure de Georges-Louis Bouchez. Sur leur personnalité, sur leurs orientations politiques, sur leur dimension europhile. Aussi sur l’aversion qu’ils peuvent inspirer auprès de quelques-uns, probablement.

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