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François De Smet, rédacteur en chef d’un jour: «Une lâcheté politique au sujet de la neutralité»

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

François De Smet, le président de DéFI aimerait que Le Vif aborde le port des signes convictionnels dans les administrations, interroge Jean-Marc Jancovici et investigue sur les violences à l’est du Congo, s’il en était le rédacteur en chef.

Dans les colonnes des présidents de parti: François De Smet

Les élections régionales, fédérales et européennes se tiendront dans un peu plus d’un an.

A cette occasion, Le Vif a demandé aux présidents des six grands partis francophones d’endosser le costume de rédacteur en chef d’un jour. Chacun à leur tour et six semaines durant, ils exposeront les choix qu’ils effectueraient s’ils étaient à la tête de la rédaction.

Nous leur avons demandé de rédiger un éditorial, dans lequel ils s’adressent aux abstentionnistes, aux citoyens qui éprouvent de la désaffection envers la politique, pour les convaincre de se rendre dans l’isoloir.

Les présidents de parti proposeront également un sujet dont ils regrettent qu’il soit tabou et estiment qu’il mériterait pourtant de faire la couverture de notre magazine. Il leur a été demandé de suggérer un reportage international, une personnalité à rencontrer pour un grand entretien et, enfin, de mettre en lumière un chiffre qui compte à leurs yeux. Cinq éléments qui seront décryptés, décodés, analysés par la rédaction du Vif.

L’édito de François De Smet: «DéFI: retrouver le sens de l’Etat»

«Partout autour de nous, l’Etat se délite. De la pandémie à la crise énergétique, de la corruption aux narcotrafiquants en passant par la faillite de l’accueil des demandeurs d’asile, la faiblesse de l’Etat est flagrante.

La prochaine législature doit être celle du retour du sens de l’Etat.

Un Etat stratège, responsable, qui voit à long terme. Un Etat qui se soucie de ses propres finances publiques, à tous les niveaux de pouvoir – au fédéral, mais aussi dans les entités fédérées francophones, en quasi-faillite. Un Etat doté d’une politique énergétique crédible, sur plusieurs décennies, qui allie renouvelable, nucléaire et modération énergétique, pour sauver le climat.

Ce n’est pas le moment d’une énième réforme de l’Etat qui affaiblirait encore ses missions régaliennes et le poids des francophones.

C’est le moment, au contraire, de renforcer les soins de santé, en les réfédéralisant et en les refinançant.

De renforcer les moyens de la justice, notamment par le biais d’un parquet national financier.

D’améliorer notre démocratie en matière de gouvernance, de transparence et de neutralité des services publics.

Il faut, enfin, que Wallons et Bruxellois se fédèrent et se rassemblent face aux demandes nationalistes du nord du pays, et comprennent que leur destin et leurs intérêts sont liés.

Chaque voix pour DéFI construira un Etat responsable, stratège, protecteur, qui ne se laissera intimider ni par les nationalistes flamands, ni par les extrémistes, ni par les fanatiques, ni par les criminels, ni par les Etats voyous.»

Sa «cover taboue»: «Il y a une lâcheté politique au sujet de la neutralité»

Le président de DéFI aimerait lire une enquête sur l’état de la neutralité dans les administrations publiques, notamment au fédéral. Avec le MR dans le viseur.

Lorsqu’elle a été condamnée pour avoir refusé d’engager une candidate portant le voile, DéFI avait souhaité que la Stib fasse appel. © belgaimage

François De Smet, quel sujet, trop tabou à vos yeux, mériterait de faire la couverture du Vif?

L’immixtion du religieux dans les administrations publiques, singulièrement fédérales. C’est un sujet trop peu traité. L’affaire de la Stib a été douloureuse (NDLR: la société a été condamnée, en 2021, pour avoir refusé d’embaucher une candidate portant le voile). Nous étions les seuls autour de la table à vouloir que la société de transport bruxelloise fasse appel, ce que le gouvernement ne l’a pas autorisée à faire. On lui a tout de même demandé de faire une révision du règlement de travail et de consacrer le principe de l’interdiction des signes convictionnels, avec d’éventuelles exceptions. J’aimerais savoir ce qui se passe ailleurs. A l’époque, j’ai été frappé par les invitations matamoresques du MR à quitter le gouvernement bruxellois, comme si ce qui se passait à la Stib était une première.

Ce ne l’était pas?

Actiris, l’Office régional de l’emploi, avait été condamné en 2015 pour discrimination. Le politique n’avait pas réagi. J’ai eu la curiosité de vérifier ce qui se passait dans les autres administrations, singulièrement celles sous contrôle du MR, au fédéral depuis vingt ans. J’avais la sensation que les signes convictionnels étaient bien plus autorisés que ce qu’on disait. J’ai été frappé par un tweet de Sophie Dutordoir, CEO de la SNCB, avec une image qui célébrait la diversité de la SNCB, avec une femme portant son uniforme et un voile. J’ai commencé à poser des questions parlementaires. J’ai constaté qu’au fédéral, depuis une vingtaine d’années, les signes convictionnels sont autorisés. A tout le moins en back-office. Cela fait trente ans qu’il y a une lâcheté du politique à ce sujet. Tout le monde a peur d’être traité d’islamophobe et de raciste dès qu’on rappelle un principe constitutionnel fondé dans un arrêté royal depuis 1937, qui reconnaît la neutralité d’apparence et la neutralité des actes comme un seul tout, protégeant l’expression de toutes les convictions. Oser questionner des limites fait plus de bruit que le fait que ces limites, petit à petit, sont dépassées. C’est pourquoi je désirerais un travail journalistique.

Comment le décliner?

Il faudrait interroger des responsables d’administrations et des ministres, revoir les questions parlementaires, trouver des employés, certains portant des signes convictionnels et d’autres pas, poser des questions d’ordres juridique et philosophique. Il faut aussi recueillir les rares études existantes. La Stib a organisé une consultation de ses travailleurs. Plus de 60% demandent qu’on continue à interdire les signes convictionnels et trois quarts estiment que la Stib devrait les protéger contre le prosélytisme. Personne ne veut interdire l’expression de signes convictionnels dans la rue, au travail lorsqu’il s’agit de lieux privés et, évidemment, à la maison. La neutralité et l’impartialité de l’Etat méritent d’interdire les signes convictionnels dans un contexte précis: quand, comme travailleur, vous incarnez l’autorité de l’Etat.

Traiter le sujet, n’est-ce pas relancer l’éternel débat entre neutralités inclusive et exclusive?

C’est pour cela que c’est un beau sujet. Soyons honnêtes, il y a polémique, même juridiquement. Elle gonfle dans les creux laissés par notre législation. Il existe des jugements contradictoires. C’est parce que le débat juridique mérite une clarification que DéFI veut inscrire la laïcité dans la Constitution. Ça ne vise pas à exclure l’expression de convictions, mais à considérer des milieux comme sanctuarisés, si j’ose dire, qui permettent qu’aucune conviction ne prenne le pas sur d’autres, dans le but de protéger tout le monde.

Son reportage international: au Congo, un conflit et un drame humanitaire

Le prix Nobel Denis Mukwege, témoin de situations désastreuses en Afrique de l’Est. © getty images

Les sujets internationaux sont peu porteurs électoralement, cela n’empêche pas François De Smet de leur vouer un grand intérêt, affirme-t-il. S’il en est un qui souffre de trop d’indifférence politique et médiatique, c’est celui «des guerres qui dévastent l’est du Congo depuis bientôt vingt ans».

«On parle, selon certaines estimations, des conflits les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale. Il y a des implications entre factions armées, des soutiens de différents pays – essentiellement celui du Rwanda – à une faction extrêmement meurtrière comme le M23, une situation politique au Congo, des Nations unies qui ne parviennent pas à interrompre les conflits», sans oublier les aspects économiques. «Le conflit se joue sur des terres riches en métaux et éléments devenus importants, comme le coltan», abondamment utilisé dans l’électronique.

«C’est objectivement très compliqué» et cela justifierait, pour le président de DéFI, un large travail d’investigation. Une mise en lumière d’autant plus nécessaire que les conséquences humanitaires sont désastreuses, comme en témoigne le prix Nobel de la paix Denis Mukwege. «Il pourrait être un interlocuteur, de même que la diaspora congolaise qui vit ce conflit depuis la Belgique, soutient François De Smet. Si un pays comme la Belgique ne s’intéresse pas davantage au sujet, qui le fera?»

Le chiffre de François De Smet: 6%

C’est, indique-t-il, la proportion de francophones vivant en Flandre. «Autrement dit, le nombre de Flamands francophones. Il n’y a plus de recensement, mais ils sont environ 310 000, dont grosso modo 200 000 en périphérie bruxelloise. Ce n’est pas rien, comme minorité.» Une minorité que François De Smet ne considère certes pas comme opprimée, mais négligée. «Dans n’importe quel autre pays, une région serait priée de respecter le droit de cette minorité. Or, ce n’est pas tout à fait le cas», déplore-t-il, enjoignant la Flandre à «enfin accepter de ratifier la convention-cadre sur la protection des minorités» du conseil de l’Europe.

Son grand entretien: Jean-Marc Jancovici, l’inclassable

© belga image

François De Smet apprécierait un entretien avec l’ingénieur et conférencier français Jean-Marc Jancovici, figure médiatique de la transition énergétique.

«C’est un excellent vulgarisateur et pédagogue», autour d’un thème éminemment technique. «Il est aussi inclassable, à la fois pronucléaire et décroissant. Dans le cadre de la politique belge, vous ne pouvez le classer ni au MR ni chez Ecolo.»

François De Smet reconnaît que Jean-Marc Jancovici a contribué à lui forger un avis sur ces questions et à défendre ce qu’il appelle le «triangle d’or»: l’investissement massif dans le renouvelable, le nucléaire comme parachute indispensable pour se libérer des énergies fossiles et la modération énergétique. «Je préfère ce terme à celui de sobriété, qui est déprimant comme la pluie.»

Jancovici lui a permis de comprendre à quel point «ce n’est pas juste un enjeu pour sauver le climat, mais un problème de flux physiques. Qu’on le veuille ou non, avec la fin des énergies fossiles, nous voyons la fin de deux cents ans qui ont construit notre civilisation actuelle.» Un changement civilisationnel requiert de l’adhésion, soutient François De Smet, à laquelle un bon vulgarisateur peut intelligemment contribuer.

Décryptage | Le «triangle d’or» de DéFI

Invité à suggérer une personnalité pour un entretien long format, François De Smet cite Jean-Marc Jancovici, ingénieur français intervenant régulièrement dans les débats sur la transition énergétique. Un homme «inclassable», clivant, pas épargné par les critiques. Un homme qui a aussi aidé le président de DéFI à se forger une opinion sur cette matière complexe. C’est là qu’intervient le «triangle d’or» du parti amarante: renouvelable, nucléaire et modération énergétique (ne dites pas «sobriété»). C’est un équilibre à trouver, une ligne de crête, à l’image de la définition que le parti se fait de lui-même.

DéFI est fondamentalement constitué d’une alliance, une conjonction de trois identités, détaille François De Smet: «Il y a les défenseurs des francophones qui ont fondé le FDF voici soixante ans, les libéraux sociaux qui ont une fibre sociale forte mais aiment le monde du travail, des gens attachés à la laïcité d’Etat, qui viennent plutôt de la gauche.»

La triple identité transparaît dans les choix posés par François De Smet, fictivement rédacteur en chef.

Les libéraux sociaux se retrouveront donc dans son éditorial, qui plaide pour une résurgence du sens de l’Etat dans les rangs politiques. François De Smet perçoit cette aspiration au sein de la population. «Un Etat un petit peu plus fort, au service des citoyens. Mais nous restons des libéraux», prévient-il. Malgré tout, «le gros problème de notre époque, c’est la faillite de l’Etat», qu’il souhaite plus responsable et stratège en matière d’énergie, d’alimentation, de justice et de sécurité d’existence (allocations familiales, lutte contre la pauvreté, santé), qu’il conviendrait de refédéraliser pleinement. Tel est le subtil équilibre à trouver, entre un Etat qui renoue avec des prérogatives fortes et une conception libérale, selon DéFI.

François De Smet opte ensuite pour la laïcité, que son parti aimerait voir inscrite dans la Constitution belge. Le sujet ressurgit épisodiquement dans l’actualité. La polémique enfle, à chaque fois, autour d’acceptions différentes de la neutralité à la belge. Le sujet est sensible et divise les formations politiques, si bien qu’on les imagine fort mal, à l’heure actuelle, suivre majoritairement François De Smet dans sa quête de laïcité d’Etat. Ce qui ne l’empêche pas d’admettre, dans le contexte d’un travail journalistique, que «plusieurs thèses existent et qu’en tant que philosophe de formation, je serais frustré de n’en retrouver qu’une seule dans le dossier. Toutes doivent être étalées et que chacun en tire ses conclusions.» Ce qui ne clarifiera pas nécessairement le débat, soit dit en passant.

Héritier du FDF, DéFI reste naturellement ce parti associé à la défense des droits des francophones. C’est son histoire, que François De Smet n’entend manifestement pas renier. Ce n’est pas pour rien, en effet, qu’il choisit d’évoquer les francophones de Flandre au moment de citer un chiffre. Ils se sentent abandonnés, considère-t-il, d’autant plus depuis la sixième réforme de l’Etat. «Ils sont un peu démobilisés, aujourd’hui. Ça se sent dans leurs intentions de vote, dans leur façon de vivre. Ils vivent une accumulation de petites frustrations, des problèmes dont sont en partie responsables les francophones.» Ils voteront également dans un an, comme doit s’en souvenir François De Smet, qui aurait bien tort de ne pas se rappeler à leur bon souvenir.

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