Mélissa Depraetere, présidente de Vooruit, et Georges-Louis Bouchez, président du MR, se sont affrontés sur quatre thématiques dans une salle de Bozar fort bien garnie.

Du bon Bouchez, une Depraetere incisive: tous les moments forts du débat politique Le Vif/Knack

Nicolas De Decker Journaliste au Vif
Elise Legrand Journaliste
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Le grand débat qui opposait jeudi soir la présidente de Vooruit, Mélissa Depraetere, au président du MR, Georges-Louis Bouchez, a livré toutes ses promesses. La socialiste flamande et le libéral francophone ont pu opposer leurs points de vue sur quatre enjeux cruciaux de la campagne électorale. Compte-rendu.

Mélissa Depraetere, présidente de Vooruit, et Georges-Louis Bouchez, président du MR, se sont affrontés sur quatre thématiques (le pouvoir d’achat, l’énergie, les migrations et l’extrémisme), dans une salle de Bozar fort bien garnie. Les premières secondes ont donné le ton de l’heure et quarante-cinq minutes de match. Les connaisseurs auront eu du bon Bouchez qui a multiplié les petites phrases efficaces. Les curieux auront découvert du bon Depraetere, qui a beaucoup appuyé sur l’échec de la réforme fiscale pour énerver son adversaire ce à quoi elle parvint.

Ainsi, quand Bert Bultinck (rédacteur en chef de Knack) commence par rappeler qu’à la démission de son prédécesseur Conner Rousseau, Melissa Depraetere et ses camarades répétaient vouloir « que Conner revienne », Melissa Depraetere maintient. Elle rappelle que c’est grâce à « Conner » si le gouvernement De Croo a pu augmenter les pensions, refinancer les soins de santé, et préserver le pouvoir d’achat des Belges.

Anne-Sophie Bailly (rédactrice en chef du Vif) demande à Georges-Louis Bouchez comment il envisage la campagne, notamment avec les ténors de son parti, après les tensions internes qui ont mené à la prolongation, pour un an, de son mandat de président. Il dit qu’il n’a pas ressenti de tensions internes du tout, qu’il est pleinement président et qu’il a déployé une équipe pleine de talents. C’est comme ça que chacun est parti, l’une plutôt pour défendre un bilan, lançant des pistes pour l’améliorer, « il faut faire des choses, pas promettre l’impossible », a-t-elle dit, l’autre, à l’offensive, pour se révolter de ce qui ne va pas dans ce pays, lançant des piques pour mobiliser, « je fais la guerre culturelle », a-t-il lancé. Guerre culturelle ou pas, il y a pas mal de choses qui ne vont pas dans ce pays. La socialiste, qui a tenu ses positions, et le libéral, qui a parlé beaucoup plus, en ont fait le tour.

Pouvoir d’achat: « Nulle part ailleurs il n’a été si bien protégé »

La Belgique a traversé ces dernières années des crises inédites. Toutes les mesures prises par la Vivaldi pour protéger le pouvoir d’achat des Belges étaient-elles opportunes? Melissa Depraetere en est plutôt satisfaite. « En temps de crise il faut décider très vite », dit-elle.

Et ajoute: « Nulle part ailleurs le pouvoir d’achat n’a été si bien protégé » Mais elle introduit une pincée de socialisme dans son raisonnement. « La richesse augmente mais elle est mal partagée, aux dépens du travail et en faveur du capital ». Et là, elle ne pourra pas aller beaucoup plus loin. Georges-Louis Bouchez l’interrompt, il dénonce les taux d’emplois trop faibles en Wallonie et à Bruxelles. Il explique que le problème de la Belgique ce sont les dépenses publiques, qui sont trop élevées structurellement, ce qui dégrade gravement, à chaque crise, les finances de l’Etat. « Le problème ce sont les taux d’emploi, pas le niveau des salaires ou la fiscalité », pose-t-il. « Nous, on n’a pas voulu un transfert de fiscalité », complète-t-il, revenant sur son opposition à la réforme fiscale. Et il défend certaines des niches fiscales, qui attirent et maintiennent certaines entreprises en Belgique, car sinon, « ce pays devient un désert économique ». Ce n’est pas tellement le sujet du pouvoir d’achat, et Bert Bultinck revient sur la réforme fiscale.

Il faut un tax cut, pas un tax shift!

Georges-Louis Bouchez

« Sur la réforme fiscale, en effet, une personne s’y est opposée, et elle est face à vous », dit Melissa Depraetere. « Nous sommes d’accord pour dire qu’on paie trop vite trop d’impôts, mais que les multinationales, elles, en paient trop peu, tout comme les plus grosses fortunes », essaie-t-elle encore, mais Georges-Louis Bouchez ne la laisse pas terminer le morceau de socialisme de son raisonnement. Il se redresse et lui dit qu’il faut arrêter de croire qu’il y a 2-3% de la population qui n’est jamais taxée, car on est taxé partout en Belgique. Il faut un tax cut, pas un tax shift! » Pas déstabilisée, Melissa Depraetere reprend, et répète que la réforme fiscale aurait permis de hausser les salaires les plus faibles. Dans la salle, des gens applaudissent. La présidente des socialistes flamands a un petit fan club dans la salle. « Je préfère avoir comme fan club des gens qui investissent que des gens qui ne travaillent pas », ricane Georges-Louis Bouchez. Et il revient sur le taux d’emploi: « Voilà où sont les marges, madame Depraetere », dit-il. « Je préfère un pays où il y a plus de riches, moi. Vous, vous ne voulez pas qu’il y ait moins de pauvres, vous voulez juste vous attaquer aux riches ».

Energie: « Nous avons besoin du nucléaire »

Sur la question de l’énergie, les positions de Melissa Depraetere et Georges-Louis Bouchez se rejoignent plus qu’elles ne s’opposent.

Georges-Louis Bouchez est clair au sujet du nucléaire : continuer à miser sur l’énergie atomique est une condition sine qua non pour que son parti monte dans un gouvernement après les prochaines élections.

« Nous sommes dans une société qui consomme beaucoup d’énergie. Pour continuer à vivre de cette manière, nous avons besoin d’un mix entre le nucléaire et le renouvelable ». Selon le chef de file libéral, 80% de l’énergie consommée en Belgique vient de l’étranger. Il en appelle donc à une autonomie sur le plan énergétique. « Cela permettrait de garder les entreprises compétitives sur notre sol, ainsi que de maitriser les prix de l’énergie ».

Vooruit rejoint-il le MR ? « Nous sommes ouverts au débat », tranche Melissa Depraetere. La présidente des socialistes flamands pose trois conditions à un nouvel investissement dans l’énergie nucléaire : éviter une flambée du prix des factures d’énergie, que ces nouvelles centrales soient sécurisées, et que le nucléaire permette d’éviter un black-out énergétique.

Pour revoir le débat entre Georges-Louis Bouchez et Melissa Depraetere, cliquez ici

Deuxième point sur lequel les deux présidents de parti trouvent un terrain d’entente : limiter le réchauffement climatique sera une affaire collective ou ne sera pas. Georges-Louis Bouchez s’oppose donc à toute mesure écologique qui pénaliserait les individus. L’homme politique libéral rejette par exemple le quota carbone, une mesure portée par les Engagés selon laquelle un citoyen qui pollue davantage paie davantage (principe du pollueur-payeur). « Je ne veux pas pénaliser les travailleurs, qui payent déjà suffisamment de taxes. Ajouter une fiscalité environnementale, ce serait tuer la classe moyenne ». Le Montois n’est pas contre l’instauration d’une taxe carbone en tant que telle, mais la conditionne à une augmentation des taxes sur le revenu.

Melissa Depraetere en fait une différence de fond d’avec les écologistes (de Groen), qui selon elle proposent des solutions centrées sur l’individu (vélos électriques, pompes à chaleur, etc.). « Nous devons trouver des solutions collectives pour limiter le réchauffement climatique. Il faut faire en sorte que l’écologie soit financièrement viable pour les citoyens ». La principale mesure de Vooruit ? Rénover les logements (sociaux) pour qu’il n’y ait plus de passoires énergétiques.

La formule est connue : à la décroissance proposée par les écologistes, les libéraux préfèrent une croissance verte teintée d’évolution technologique. Mais quelles solutions concrètes le MR propose-t-il en la matière ? Georges-Louis Bouchez veut des investissements industriels, centrés sur la captation de CO2, les batteries et l’hydrogène. Sans développer plus ce point, Melissa Depraetere déclare succinctement « qu’on doit pouvoir miser sur la technologie et l’innovation ».

Immigration: « Nous devons moins accueillir, mais mieux accueillir »

La politique migratoire belge est aujourd’hui inefficace, estiment conjointement la présidente de Vooruit et son homologue du MR. Si le constat d’échec est partagé, leurs pistes d’amélioration divergent.

Pour la socialiste flamande, la Belgique doit améliorer sa politique d’asile et de migration, en trois axes. La priorité est d’abord de réduire le nombre de personnes à accueillir. Cela passe par une meilleure coopération au développement dans les pays en guerre ou en difficulté. L’Union européenne doit également assurer une meilleure répartition entre les Etats membres, car la Belgique assume aujourd’hui plus que sa part, estime Melissa Depraetere. Enfin, il est capital de raccourcir les procédures d’asile. « Aujourd’hui, certains demandeurs d’asile attendent parfois sept ans avant de recevoir une réponse. C’est beaucoup trop long ! »

Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, estime lui aussi que la Belgique doit « moins accueillir, mais mieux accueillir ». Et de pointer les inefficiences du système, notamment en termes de retour : « Environ 120.000 personnes en Belgique ont reçu un ordre de quitter le territoire (OQT), qui n’est malheureusement pas respecté ». Pour le libéral, les pays qui refusent de « réadmettre » leurs ressortissants visés par un OQT devraient être sanctionnés. D’une part, les dignitaires de ces Etats ne devraient plus se voir délivrer de visas belges. Un point que le président du MR veut mettre à l’agenda de la présidence belge du Conseil européen. D’autre part, ces Etats en question ne devraient plus bénéficier de la coopération internationale. « Cette aide est censée leur permettre de mieux s’occuper de leurs citoyens, estime Georges-Louis Bouchez. Si, au final, ils viennent chez nous, la Belgique paie deux fois. »

Une proposition qui crispe Melissa Depraetere. « Monsieur Bouchez ne se soucie pas des populations des pays en développement, s’indigne-t-elle. En bloquant ces aides, nous frappons de plein fouet des personnes qui vivent déjà dans des conditions très difficiles. » La présidente de Vooruit se déclare plutôt en faveur de sanctions économiques, voire d’une limitation des visas envers les pays qui refusent de coopérer en matière de retours. « Mais la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib (MR), n’en fait malheureusement pas assez à ce sujet. »

Une attaque à laquelle s’empresse de répondre le président du MR, qui défend le bilan de sa ministre. « Davantage de conventions de réadmissions ont été signées depuis la prise de fonction de Madame Lahbib que par le passé. » Et de rappeler que ces visas sont avant tout octroyés par les Affaires intérieures.

Enfin, Melissa Depraetere a rappelé la volonté de Vooruit de ne plus octroyer le revenu d’intégration aux primo-arrivants, mais de le remplacer par un « soutien à l’intégration » conditionné à leur participation effective à cette intégration (cours de néerlandais, recherche d’emploi…). Une proposition recalée par président du MR, qui ne veut pas d’un système « à deux vitesses ». « Toute personne qui remplit les conditions pour être en Belgique doit pouvoir bénéficier des mêmes droits qu’un Belge ». Et de rappeler que toute personne ayant introduit une demande d’asile en Belgique ne peut être contrainte de dormir à la rue. « Un système de pré-accueil, tel que mis en place sous la Suédoise, devrait à nouveau être implanté », a-t-il plaidé.  

Extrémisme: « Ceux qui votent pour le Vlaams Belang et le PTB, ce sont les mêmes électeurs »

Georges-Louis Bouchez (MR) et Melissa Depraetere (Vooruit) regrettent tous deux la montée des extrêmes politiques. Mais ils se rejettent aussi mutuellement la responsabilité du phénomène.

Cela reste un des grands points d’interrogation, dans la perspective des élections de juin 2024 : quel résultat pour le Vlaams Belang, les sondages successifs plaçant le parti d’extrême droite en tête au nord du pays ? Et comment expliquer cette montée de l’extrême droite qui, dans les intentions de vote, touche davantage la Flandre que Bruxelles et la Wallonie ? C’était une des thématiques abordées lors du débat du Vif et de Knack, ce 14 décembre à Bozar, entre Georges-Louis-Bouchez (MR) et Melissa Depraetere (Vooruit).

Pour la présidente de Vooruit, Melissa Depraetere, il appartient avant tout à la classe politique de se saisir davantage de thématiques telles que la migration et le pouvoir d’achat, notamment pour ne pas laisser à l’extrême droite le loisir de s’en emparer.

« Or, selon la socialiste, ce qu’ils racontent ne correspond pas à ce qu’ils votent dans les parlements. » Elle reproche en effet au Vlaams Belang de « leurrer les électeurs ». « Quand nous voulons renforcer le pouvoir d’achat, augmenter le salaire minimum ou le revenu d’intégration, ils votent contre », fait-elle remarquer. Par contre, « ils votent toujours pour lorsqu’il s’agit de défendre l’intérêt des grandes fortunes. Mais ce qu’ils montrent sur les réseaux sociaux, c’est autre chose. » Une réalité valable en Belgique comme ailleurs en Europe, où l’extrême droite est au pouvoir, selon Melissa Depraetere : une fois ces partis aux affaires, les droits et la situation des personnes les moins favorisées reculent.

Ce qu’ils racontent ne correspond pas à ce qu’ils votent dans les parlements.Melissa Depraetere

La partie francophone de la Belgique semble épargnée par l’extrême droite, « mais on a le PTB et je suis toujours agacé quand on fait une différence. Ce sont plus ou moins les mêmes électeurs que ceux qui votent pour l’extrême droite. Et le phénomène est le même en France, en Italie, en Angleterre… », estime pour sa part Georges-Louis Bouchez, qui place Vlaams Belang et PTB à un même niveau de nocivité.

Il l’a déjà fait savoir, il est favorable à l’instauration d’un cordon sanitaire autour du PTB, mais n’est pas rejoint par les autres partis sur ce point. Or, prévient-il, socialistes et écologistes négocieront avec le PTB au lendemain des scrutins de 2024. Sans trouver un accord au niveau des gouvernements mais, prédit Georges-Louis Bouchez, « je vous le dis, le PTB montera dans des collèges communaux. Surtout en province de Liège et peut-être un peu dans le Hainaut ». L’avenir le dira.

Selon le président du MR, trois raisons principales expliquent la montée des extrêmes. « Aujourd’hui, les gens de la classe moyenne considèrent que leurs enfants vont vivre moins bien qu’eux », ce qui ne fut pas le cas lors des dernières décennies. « Lorsque vous perdez cette espérance, vous faites des choix plus radicaux, de rejet, de colère. »

La deuxième explication, pour Georges-Louis Bouchez, relève de la « crédibilité de la classe politique », alors qu’il regrette l’existence du cordon sanitaire médiatique côté francophone, qui « m’empêche de débattre avec Tom Van Griecken », le président du Vlaams Belang. Un non-sens, selon lui, pour un parti qui séduit un quart des électeurs flamands.

Enfin, troisième raison : « les leçons de morale ». Pour le Montois, « on est des dans une société où il y a des choses qu’on ne peut pas dire. Un ancien président du MR, Daniel Ducarme, avait tenu le même discours il y a quinze ans et avait été critiqué par tout le monde, puis dû s’excuser… »

S’il y a bien un point sur lequel Melissa Depraetere et Georges-Louis Bouchez sont d’accord, c’est sur le fait que l’action politique des partis au pouvoir, comme le combat sur le plan des idées, sont cruciaux pour lutter contre les extrêmes comme le Vlaams Belang. Toutefois, chacun rejette sur l’autre la responsabilité de l’échec de certains dossiers importants.

« Avez-vous déjà réfléchi au fait que les gens votent pour les extrêmes parce qu’ils ont le sentiment de reculer, ou de faire du surplace, ou de travailler trop dur sans être récompensés ? », a lancé la socialiste au libéral. « Si à chaque fois, vous bloquez les décisions du gouvernement, quand vous avez l’opportunité de réduire les impôts à hauteur de 800 euros, mais préférez favoriser les entreprises, les footballeurs professionnels et les grosses multinationales, c’est votre choix. Vous dites des choses, mais faites l’inverse. » Il s’agit ici d’une allusion au projet avorté de réforme fiscale, pour lequel le MR a été tenu responsable de l’échec des négociations internes à la Vivaldi, l’été dernier.

Quand on est dans une formation qui continue à défendre les propos de Conner Rousseau, on n’a pas de leçons à donner.Georges-Louis Bouchez

De manière quasi symétrique, Georges-Louis Bouchez adresse les mêmes reproches à Vooruit. « Nous avons voulu des règles plus strictes pour que les gens qui ne travaillent pas le fassent davantage : vous avez refusé. Nous avons fait pareil avec les faux malades : vous avez refusé. C’est encore le cas avec l’exécution des ordres de quitter le territoire. Vous refusez les réformes, mais venez me reprocher à moi de refuser une mauvaise réforme fiscale », a à son tour lancé le président libéral.

Il y eut enfin cette perche qu’il eut été difficile de ne pas saisir, pour Georges-Louis Bouchez, face à la nouvelle présidente de Vooruit. « Quand on est dans une formation qui continue à défendre les propos de Conner Rousseau, on n’a pas de leçons à donner. C’est cela, faire le jeu de l’extrême droite. »

Conner Rousseau, qui était initialement celui avec qui Georges-Louis Bouchez devait débattre ce jeudi, a pour rappel démissionné de la présidence de Vooruit après avoir tenu des propos racistes visant la communauté rom. Propos qui n’ont été que timidement condamnés au sein de son parti. Cette flèche décochée par Georges-Louis Bouchez aura en tout cas provoqué quelques huées, parmi les défenseurs de Melissa Depraetere présents dans la salle, et constitué un des moments de crispation du débat.

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