Stéphane Moreau et quelques autres dirigeants de Nethys se sont assurés un parachute doré de 18 millions d'euros, finalement dénoncé. © ANTHONY DEHEZ/PHOTO NEWS

2019, la chute de la maison Moreau

En échange de son débarquement, Stéphane Moreau devait recevoir une partie d’Elicio et de Win, filiales de Nethys. Ainsi que du cash, beaucoup de cash. Près de douze millions d’euros. Scandale et (presque) fin de partie.

En 2017, à la suite du scandale Publifin, révélé par Le Vif/L’Express, la commission d’enquête parlementaire wallonne mettait au jour les pratiques peu orthodoxes du groupe Nethys. Qui aurait pu imaginer que le monde politique wallon et liégeois allait accorder une seconde chance à l’homme fort de l’intercommunale, Stéphane Moreau, en lui permettant de préparer lui-même sa sortie ? Pourtant, il s’est trouvé quelques initiés pour couvrir la vente en catimini et semble-t-il, au rabais, en mai 2019, des filiales Voo, Win et Elicio – en plus des cessions également suspectes des journaux Nice-Matin et La Provence et de la réorganisation de la société d’assurances Integrale. Ces mêmes décideurs politiques ont aussi laissé Stéphane Moreau et quelques autres dirigeants (Pol Heyse, Diego Aquilina, Bénédicte Bayer) se constituer un parachute doré de 18 millions d’euros, dont 11,6 millions pour Stéphane Moreau.

Ces  » mains invisibles  » appartiennent vraisemblablement au top management politique de la Province de Liège. Elles se défaussent aujourd’hui sur la maison mère, Enodia (l’ex-Publifin), et incriminent la conduite personnelle des bénéficiaires de ces largesses. Les dirigeants d’Enodia étaient au courant de certaines manoeuvres, mais pas des  » détails « . Certes, Nethys avait pour habitude de bluffer les non-initiés à coup d’avis juridiques circonstanciés et de centaines de slides préparés par le représentant local de McKinsey. Puis, il y eut le coup de tonnerre du 6 octobre : l’annulation, par le nouveau gouvernement wallon, des ventes controversées et une dénonciation pénale au parquet fédéral.

Le parquet général de Liège en assure le suivi. Une instruction a été ouverte sur les conditions suspectes de cession de ces actifs, mais la question des parachutes dorés n’en fait pas (encore) partie, car elle semble avoir été juridiquement bétonnée. Le juge d’instruction Frédéric Frenay mène l’enquête avec l’aide de l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC). Les perquisitions se sont enchaînées à la fin de l’année.

Eviter le bis repetita

Avant ce dernier épisode, on savait que le parquet général de Liège s’apprêtait à conclure une transaction pénale avec Stéphane Moreau et consorts à propos de dossiers plus anciens et plus diffus : Ogeo Fund, Tecteo, etc. Si cette transaction est homologuée par la chambre du conseil, elle éteindra les poursuites sans affecter le casier judiciaire des intéressés, mais la machine judiciaire n’en a pas fini avec les agissements des anciens maîtres de la rue Louvrex.

Il reste enfin à assainir les pratiques d’une sphère publique souvent gérée avec les méthodes et les appétits du secteur privé. Le PS liégeois a longtemps revendiqué un rôle d’opérateur dans ce qu’on appelle l’économie mixte. Il a satellisé à cette fin le MR liégeois et moindrement le CDH. Le rêve d’André Cools, dévoyé par le défunt club socialiste des Cinq à Liège (Stéphane Moreau, Jean-Claude Marcourt, André Gilles, Alain Mathot, Willy Demeyer), reste toutefois porteur d’espoir. L’initiative industrielle publique a donné naissance à un conglomérat hybride, créateur de valeur, certes, mais vulnérable.

Sans l’annulation des transactions secrètes du mois de mai, Elicio et Win seraient tombées aux mains d’oligarques liégeois (François Fornieri, Stéphane Moreau) telles de vulgaires entreprises soviétiques autrefois rachetées par des proches du pouvoir russe. Le mystère relatif à la vente des parts de Nethys dans des journaux du sud de la France n’est d’ailleurs pas dissipé, ni la raison du déplacement du siège d’Intégrale au Grand-Duché de Luxembourg.

On peut donc se réjouir que des Liégeois en premier lieu, révoltés par les préparatifs du  » casse du siècle « , aient résisté et construit un nouveau rapport de force, souvent avec l’appui de plusieurs médias. Mais il faut espérer qu’à la faveur du dénouement de cette crise, un clan ne se substitue pas à un autre, sans modifier le logiciel qui a perverti  » la plus grande intercommunale du monde  » : la cupidité et l’entre-soi. Sans quoi, les mêmes causes finiront par produire les mêmes effets.

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