Philippe Lamberts (Ecolo), chef de file des Verts européens. © Alexey Vitvitsky/Belgaimage

Quelle grande alliance contre les nationalistes au Parlement européen ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Une majorité stable au Parlement européen ces cinq prochaines années passe par une grande alliance entre les familles politiques pro-européennes. Mais les Verts n’entreront pas dans la coalition sans un « changement de cap » de l’Union, prévient Philippe Lamberts.

Les projections issues de sondages nationaux ne se sont pas trompées : le paysage politique européen est sorti des élections européennes plus fragmenté que jamais. La coalition entre démocrates-chrétiens et conservateurs (PPE) et sociaux-démocrates (S&D) n’est plus majoritaire, ce qui va rendre plus complexe la recherche de compromis sur les grandes réformes européennes et la répartition des plus hauts postes de l’Union (présidents de la Commission, du Conseil, du Parlement, de la Banque centrale européenne, haut représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité). On en a eu un avant-goût dès la publication des résultats : les leaders du PPE ont réclamé la présidence de la Commission européenne pour leur chef de file, le conservateur bavarois Manfred Weber, selon la formule informelle du spitzenkandidat (la tête de liste de la famille politique ayant obtenu le plus de sièges a la main pour former une coalition). Mais les socialistes ont répliqué que l’heure n’était pas à l’attribution des postes clés, alors que les chefs d’Etat et de gouvernement devaient se retrouver le surlendemain des élections pour un sommet au cours duquel il y aurait des échanges sur les nominations.

Sanctionnés par le citoyen, le PPE et le S&D restent, avec respectivement 180 et 146 sièges, les deux premières formations dans l’hémicycle, mais le bipartisme historique va laisser la place à une tripartite, voire à une quadripartite. Troisième force politique de l’assemblée avec 109 sièges, les libéraux, en progrès et renforcés par l’arrivée des  » marcheurs  » d’Emmanuel Macron, se disent incontournables.  » Aucune majorité solide ne sera possible au Parlement européen sans notre nouveau groupe « , assure Guy Verhofstadt, chef de file du groupe libéral Alde. De même, les Verts, portés par la mobilisation pour le climat dans plusieurs Etats membres, pourraient être, eux aussi, déterminants afin d’installer une majorité stable ces cinq prochaines années. Forts de leur score historique en Allemagne (ils deviennent la deuxième force politique du pays, avec plus de 20 % des voix) et de leur succès en France, les écologistes seront le quatrième groupe parlementaire (69 sièges), devançant les listes souverainistes et d’extrême droite. La poussée des forces populistes et ultra- nationalistes est réelle, surtout en Italie (la Ligue de Matteo Salvini passe de 6 à 28 sièges), mais il n’y a pas eu de marée noire sur l’Europe.

Soirée électorale animée le 26 mai dans l'hémicycle européen, à Bruxelles.
Soirée électorale animée le 26 mai dans l’hémicycle européen, à Bruxelles.© Didier BAUWERAERTS/belgaimage

Des Verts « satellisés » ?

 » Les conservateurs, les sociaux-démocrates et les libéraux sont en mesure, mathématiquement, de former une nouvelle majorité sans nous, reconnaît Philippe Lamberts, chef de file du groupe des Verts/ALE. Mais cette coalition risque d’être l’otage, en cours de législature, de franges extrémistes du PPE ou de radicaux du S&D. Sur des questions comme la politique migratoire ou les traités de libre échange, elles peuvent faire basculer la majorité d’un côté ou de l’autre. N’oublions pas que le parti populiste de Viktor Orban, qui vient de triompher en Hongrie, fait toujours partie du groupe PPE. Si les Verts acceptent de monter dans la barque, ce ne sera pas sans exiger un changement de cap de l’Union.  »

Au lendemain du scrutin européen, les contacts entre chefs d’Etat et de gouvernement se sont multipliés, certains tournant autour de l’idée d’une alliance dite  » progressiste  » entre socialistes, libéraux-centristes et Verts.  » Même soutenue par l’extrême gauche, cela ne ferait pas une majorité suffisante au Parlement européen, prévient Philippe Lamberts. On entend beaucoup, ces temps-ci, la petite musique d’Emmanuel Macron ou celle du social-démocrate Frans Timmermans, n°2 de la Commission : libéraux et socialistes rêvent tous deux de  »satelliser » les Verts, pour aller ensuite négocier en position de force avec le PPE.  » On l’aura compris : la grande alliance à quatre qui se dessine ne sera pas simple à sceller.

Eurodéputés belges : du brun, du vert…

Sur le plan belge, le premier enseignement à tirer des élections européennes du 26 mai est la progression spectaculaire du Vlaams Belang. L’extrême droite flamande, représentée par un seul élu dans le Parlement européen sortant, Gerolf Annemans, décroche trois sièges dans la nouvelle assemblée, qui tiendra sa session inaugurale le 2 juillet prochain. Ces trois eurodéputés viendront étoffer les effectifs du groupe nationaliste piloté par la Ligue de Matteo Salvini, grand vainqueur des élections en Italie, et par le Rassemblement national de Marine Le Pen, arrivé en tête en France. Le Vlaams Belang fait ainsi jeu égal, en sièges, avec la N-VA, à qui il rafle un élu. L’OpenVLD, qui comptait trois élus, en perd un lui aussi, également au profit du Vlaams Belang ; et cela malgré la performance personnelle du chef de file libéral, l’ancien Premier ministre Guy Verhofstadt, crédité de 342 460 voix de préférence. C’est le deuxième score belge, devancé de peu par celui du N-VA Geert Bourgeois (343 290 voix). Si le CD&V conserve ses deux sièges, c’est surtout grâce à la présence, en tête de liste, d’un poids lourd politique, le ministre fédéral Kris Peeters (troisième score en Flandre), qui quitte la scène nationale pour l’Europe. Suivent, sur la troisième marche, le SP.A et Groen, qui conservent chacun un siège.

Aucune surprise, en revanche, dans le collège électoral francophone : les résultats sont conformes aux projections publiées avant le scrutin. Porté par la vague verte bruxelloise et wallonne, Ecolo décroche un second siège (Saskia Bricmont rejoindra Philippe Lamberts dans l’hémicycle). Le PS et le MR, en recul d’un siège, en conservent deux. L’ex-président du CDH, Benoît Lutgen, parvient à sauver le seul siège du parti humaniste. Et le PTB a un élu, Marc Botenga, qui connaît bien la  » maison  » : il était jusqu’ici conseiller politique du groupe européen d’extrême-gauche GUE/NGL. Pas de siège pour les trois candidats atypiques placés à des  » places de combat  » : le Français Nicolas Barnier (fils du négociateur européen du Brexit, MR), Olivier De Schutter (ex-rapporteur des Nations unies sur l’alimentation et défenseur des circuits courts, Ecolo) et Benoît Cassart (éleveur bovin, DéFI).

Paul Magnette, tête de liste des socialistes, est le champion francophone des voix de préférence (crédité de 295 339 votes), mais il laisse son strapontin européen à son suppléant, le député sortant Marc Tarabella, le Carolo ayant prévenu qu’il préférait rester bourgmestre. L’ex-président du MR Olivier Chastel, tête de liste du parti réformateur, monte sur la deuxième marche du podium (120 125 votes), sur lequel figure aussi Philippe Lamberts, tête de liste Ecolo (115 922), qui se verrait bien rester chef de file des Verts européens. Suivent Frédérique Ries (MR), Benoît Lutgen (CDH) et Marie Arena (PS).

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