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« Les gens ne veulent plus qu’on leur impose un âge fixe de départ en pension »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Quel avenir pour les pensions lors de la nouvelle législature ? Les carrières et les parcours de vie ne sont plus ceux du xxe siècle. Les retraites non plus. « Il faut laisser les gens décider du moment où ils quittent le monde du travail », estime Michel Jadot, président de la mutualité Solidaris.

La N-VA envisage de retarder l’âge légal du départ en pension au-delà de 67 ans, en raison de l’allongement de l’espérance de vie. Ce seul critère de l’âge est-il à vos yeux pertinent ?

Non. Fixer un âge pour le départ en retraite, même à 65 ans, est une ineptie. Les temps ont changé : les pensionnés des prochaines années sont ceux des Trente Glorieuses. A part la crise pétrolière des années 1970, ils n’ont pas connu de problème majeur. Les pensionnés de demain, en revanche, auront vraisemblablement un parcours professionnel nettement plus fragmenté. Il faut en tenir compte. Auparavant, il y avait un âge pour étudier, un autre pour travailler, durement, et un troisième pour se reposer. A cette époque, l’espérance de vie était limitée. Aujourd’hui, on assiste à une déstandardisation des âges. L’organisation ancienne des temps sociaux est délégitimée. Les gens ne veulent plus qu’on leur impose un âge fixe de départ en pension.

Ne parler des pensions qu’en termes de budget et de finances est une erreur.

Le gouvernement impose des tas de décisions avec lesquelles la population n’est pas forcément d’accord. Alors, pourquoi pas celle-là ?

Parce qu’alors, ce sera la guerre. Remarquez d’ailleurs que la pension à points et la pension à mi-temps sont les seuls dossiers sur lesquels le gouvernement Michel a fait machine arrière. Les Belges veulent choisir le moment où ils arrêtent, après avoir respecté un nombre minimal d’années de cotisations. Il n’y a pas d’âge idéal pour arrêter. Cela dépend du parcours de chacun, qui doit pouvoir le choisir. Pas forcément pour quitter plus vite le marché du travail : selon une enquête de Solidaris, 26 % des sondés étaient prêts à travailler au-delà de 65 ans, parfois pour des raisons financières mais aussi parce qu’ils aiment leur travail et leur ambiance de travail.

Michel Jadot, ancien patron du Service public fédéral Emploi, président de la mutualité socialiste Solidaris.
Michel Jadot, ancien patron du Service public fédéral Emploi, président de la mutualité socialiste Solidaris.© ALEXIS HAULOT/REPORTERS

La conception même de la retraite a-t-elle changé ?

Oui. Avant, il s’agissait d’une période de repos, méritée après une dure carrière. Aujourd’hui, il s’agit d’une période d’autres activités, pour faire du bénévolat, se former, s’occuper de sa famille… Les sexagénaires n’ont pas envie d’être considérés comme improductifs. Dans les années 1960, la retraite durait en moyenne huit ans. Aujourd’hui, elle dure en moyenne vingt ans.

Quel serait, dès lors, le système idéal à vos yeux ?

Du temps où Jean-Luc Dehaene était Premier ministre, nous avions proposé une formule de départ flexible à partir de 60 ans, afin de tenir compte des différences de condition de vie et de santé que l’on rencontre dans la population. La décision a été détricotée par les gouvernements suivants. On est passé à une pension anticipée possible à partir de 63 ans seulement, avec 42 ans de carrière. Ces conditions sont impossibles à remplir pour une majorité de femmes. Je propose donc un départ possible mais non obligatoire à partir de 60 ans et 35 ans de carrière (toujours calculés en 45es), ce qui correspond à la carrière moyenne des femmes. Ceux qui travailleraient au-delà de 60 ans percevraient bien sûr une pension majorée. Il faudrait d’ailleurs permettre la poursuite d’une activité professionnelle rémunérée sans aucune limite après l’âge de la retraite. Un bonus pension pourrait être proposé au-delà de 65 ans et de 40 ans de carrière.

Avez-vous calculé ce que coûterait un tel système ?

Non, puisque j’ignore les choix que feront les futurs pensionnés. Mais ne parler des pensions qu’en termes de budget et de finances est une erreur. On ignore complètement le capital humain. Et affirmer que les pensions sont impayables, c’est faux. Car ce que d’aucuns oublient de dire, c’est que le produit intérieur brut (PIB) augmente aussi vite, sinon plus vite, que le coût des pensions. Il y a donc de l’argent pour les payer. On oublie aussi que la sécurité sociale fait l’objet d’une gestion globale, avec des ressources à affecter aux différents postes de dépenses en fonction de choix politiques. J’ajoute enfin qu’il y a des ressources financières à récupérer dans les différentes niches sociales et fiscales.

Même les jeunes croient pourtant aujourd’hui qu’ils ne pourront en sortir à la fin de leur vie professionnelle sans cotiser de leur propre initiative pour des pensions complémentaires…

Le gouvernement Michel, à travers plusieurs mesures, a tout fait pour cela, par exemple en augmentant l’exonération d’impôts sur l’épargne-pension individuelle. Cette démarche ne vise qu’à affaiblir le premier pilier, celui de la pension légale, alors que c’est celui qui résiste le mieux aux crises, comme on l’a vu en 2008.

Comment prendre en compte la pénibilité du travail dans ce système de départ flexible à partir de 60 ans ?

Je maintiendrais ce seuil d’âge minimum pour toutes les professions mais je proposerais une pension plus élevée par année de travail pénible.

Faut-il maintenir le principe du rachat possible d’années d’études pour le calcul de la pension, tel qu’il existe aujourd’hui dans le secteur privé ?

J’alignerais plutôt le secteur privé sur le secteur public, où les années d’études sont intégrées automatiquement et gratuitement dans la durée de la carrière. Il faut savoir ce que l’on veut : si l’on souhaite avoir une population mieux formée et plus qualifiée, il ne faut pas que les années d’études soient pénalisantes.

« On a perdu beaucoup d’énergie pour rien, alors qu’il y a urgence »

Jean Hindriks, professeur à l'UCLouvain, membre de la Commission sur les pensions.
Jean Hindriks, professeur à l’UCLouvain, membre de la Commission sur les pensions.© JEAN MARC QUINET/REPORTERS

Jean Hindriks, professeur d’économie à l’UCLouvain et membre de la Commission sur les pensions, exhorte le prochain gouvernement à ne plus se focaliser sur l’âge de départ à la retraite. Selon lui, cela crispe inutilement la concertation sociale.

Qu’attendez-vous du prochain ministre des Pensions ?

Qu’il ne base plus la réforme des pensions sur l’âge légal de départ à la retraite. Ça n’a aucun sens. Cela ne peut rien changer à court terme. La pension à 67 ans, on en verra les effets dans dix ans. Or, il y a urgence. Aujourd’hui, les pensions coûtent 15 milliards de plus qu’il y a dix ans. C’est dès maintenant qu’il faut inverser la vapeur et faire en sorte que les gens qui partent massivement à la pension à 60-61 ans poursuivent leur carrière encore quelques années.

On n’a pas besoin d’un jeu de postures politiques dans ce dossier.

Comment faire ?

Il faut encourager les travailleurs à le faire, via des formules de bonus pension, que le gouvernement sortant a abandonnées, et des systèmes d’allègement du temps de travail. L’exécutif s’était pourtant mis d’accord sur la pension à mi-temps, mais ce projet n’a finalement pas été voté. Il faut que les Belges trouvent un réel intérêt à rester plus longtemps sur le marché du travail, que les années de travail au-delà de 60 ans se traduisent par un revenu de pension supplémentaire. Côté employeur, il faut réfléchir à l’obstacle du coût dû aux barèmes liés à l’ancienneté, mais aussi à l’adéquation entre la formation du travailleur plus âgé et les nouvelles technologies. J’aime citer l’exemple de Volvo qui a préféré convertir ses mécaniciens, même les plus anciens, à l’électronique plutôt que de s’en séparer.

Faut-il prévoir des incitants financiers ?

Ne soyons pas naïfs. C’est le portefeuille qui va jouer. Les gens comptent. Ils savent que partir à la pension après 60 ans ne leur rapportera pas davantage. Donc, le choix est vite fait. Il faut reprendre la logique du  » travailler plus longtemps pour gagner plus « , soit un système de pension à points, tout en tenant compte qu’à 60 ans, tous les travailleurs ne sont pas égaux au niveau santé et conditions de travail. On doit prévoir des aménagements différents.

Les femmes ne risquent-elles pas d’être désavantagées par la pension à points ? Elles sacrifient plus souvent que les hommes leur carrière pour s’occuper des enfants.

Il faut en tenir compte, bien qu’un récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montre que la Belgique n’est pas un si mauvais élève, notamment en matière de compensation d’interruption de carrière. Elle se situe dans la moyenne européenne. Mais il reste du chemin. La Commission sur les pensions avait d’ailleurs proposé un système de points permettant de créer des comptes individuels de pension, pouvant être partagés au sein d’un ménage. Cette mutualisation des points pourrait faire l’objet, par exemple, d’un contrat devant notaire. Cette idée de comptes individuels, appréciée par les administrations de pension, n’a jamais été reprise au niveau politique.

Vous plaidez aussi pour une harmonisation des régimes de pensions, salarié, indépendant, fonctionnaire.

Cela doit aussi être un chantier du prochain ministre, d’autant que de plus en plus de travailleurs ont des carrières mixtes, changeant de statut, parfois plusieurs fois. Il faut poursuivre la convergence des statuts.

N’est-ce pas compliqué ? Les fonctionnaires ont une pension plus importante…

Mais ils n’ont pas accès à une pension complémentaire dont bénéficient plus de 2,7 millions de salariés du privé. On pourrait ouvrir les pensions complémentaires au secteur public et aligner le calcul de leur pension sur le privé. Pourquoi pas ? Des pays voisins l’ont fait.

Pourquoi les politiques se focalisent-ils tant sur l’âge de la retraite ?

Par facilité, sans doute. C’est plus simple à expliquer que la durée de carrière qui peut varier d’une personne à l’autre en fonction de l’âge où on a commencé à travailler. La Commission sur les pensions ne l’a en tout cas jamais recommandé. Nous avions juste réalisé une simulation pour voir ce qu’un départ à 67 ans donnerait. Ensuite, cela a été mal interprété. Tout le monde s’est focalisé sur ce chiffre avant même que le rapport, qui avait fuité, soit officiellement présenté. Nous avons échoué, il faut le reconnaître. On a très vite assisté à un jeu de postures politiques. Or, ce n’est pas de cela dont on a besoin dans ce dossier.

A-t-on perdu du temps ?

On a perdu beaucoup d’énergie pour rien, d’autant que personne n’est encore concerné aujourd’hui par cet âge légal de 67 ans qu’on n’est d’ailleurs pas certain de voir subsister. Le problème est que la pression sur les ressources pour financer les pensions est déjà considérable. On est déjà à l’os. Je ne vois pas où le gouvernement va trouver des recettes alternatives dans les prochaines années.

Le prochain ministre des Pensions doit-il être davantage technicien que politique ?

Il doit, en tout cas, s’entourer de bons techniciens et aussi mieux veiller à la concertation sociale. Avec les 67 ans, on a crispé la machine de concertation sociale. C’était contre-productif. Si le gouvernement avait opté pour des modifications progressives comme nous le recommandions, il n’y aurait pas eu de grèves ni de manifestations comme celles organisées pour protester contre la mesure brutale des 67 ans. Mais ne jetons pas la pierre qu’aux politiques. Certains partenaires sociaux ne parviennent pas avoir de position claire et stable sur le sujet.

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