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Lorsque des soldats nord-coréens assassinent des Chinois pour du pain

Le Vif

Un mur de barbelés de trois mètres de haut et le fleuve Tumen séparent la bourgade chinoise de Nanping de la Corée du Nord. Pas de quoi rassurer pour autant ses habitants, sous le coup d’une vague d’assassinats par des intrus venus « d’en face ».

Depuis un an, une dizaine au moins de villageois ont été tués par des Nord-Coréens – des soldats pour la plupart – venus pour cambrioler après avoir traversé le fleuve Tumen, étroit et facile à franchir à cet endroit-là, selon les autorités et la presse officielle chinoises. La situation alimentaire est si problématique en Corée du Nord qu’elle pourrait être à l’origine de ces intrusions transfrontalières chez les voisins chinois. Officiellement, Nanping compte 6.000 habitants, la plupart d’ethnie coréenne. En réalité, c’est devenu un village fantôme. La plupart des habitations sont abandonnées, vitres cassées ou volets fermés, jardins en friche. En quelques heures sur place, l’équipe de l’AFP n’a croisé qu’une vingtaine d’habitants. Tous les jeunes sont partis travailler en Corée du Sud ou ailleurs en Chine, laissant derrière eux des personnes âgées et vulnérables. Et un petit contingent de soldats chinois. Les deux rues parallèles sont surveillées par des caméras. Wu Shigen, la trentaine, est de loin le plus jeune habitant, dit-il. Secrétaire du Parti communiste et, à ce titre, chef du village, il a un plan pour assurer la sécurité: couvre-feu volontaire et rétention d’information. Même si la plupart des victimes ont été tuées à leur domicile, « je dis aux habitants de ne pas sortir la nuit et de prendre garde à leur sécurité », dit-il. « Il n’y a eu aucun témoin de ces meurtres et on n’a pas dit grand-chose aux habitants. Moins ils en savent, moins ils ont peur », ajoute-t-il.

Des meurtres pour du pain ?

En face, sur l’autre rive, la Corée du Nord. Un Etat doté de l’arme nucléaire mais aux prises avec des pénuries alimentaires aggravées par une sévère sécheresse, qui ravivent le spectre de la famine des années 1990. Avec le risque d’actes désespérés. En avril, un trio de soldats nord-coréens à la recherche de nourriture et d’argent a abattu trois citoyens chinois près de Nanping, selon les autorités chinoises. En décembre, deux couples de personnes âgées avaient été tués par un autre soldat nord-coréen, abattu ensuite par les militaires chinois. Il avait volé 100 yuans (14 euros) et un peu de nourriture. Trois mois plus tôt, c’était un civil nord-coréen qui était capturé après avoir tué une famille lors d’un cambriolage. Pékin avait réagi en « lançant des démarches » auprès de Pyongyang qui a fait part de ses « regrets », les deux parties s’accordant à prendre l’incident « très au sérieux », selon une porte-parole de la diplomatie chinoise. En Corée du Nord, où l’armée est glorifiée, les militaires jouissent généralement d’une position avantageuse et sont ravitaillés en priorité.

Déserteurs sans retour possible

Tout soldat nord-coréen traversant la frontière est forcément dans une situation désespérée, car c’est le peloton d’exécution qui l’attend s’il revient, relève Scott Snyder, chercheur au Council on Foreign Relations, un « think tank » américain. « Dans le système de distribution nord-coréen, plus vous êtes loin de Pyongyang et d’autres grandes villes, plus vous êtes en bout de chaîne », explique-t-il, en évoquant aussi « la corruption » et « les défaillances ». Selon un site basé à Séoul, DailyNK, le chef du Bureau général de sécurité, qui supervise les gardes-frontière, a été limogé avec trois commandants régionaux après ces incidents. Au septième meurtre en quatre mois, des patrouilles mixtes de civils et militaires chinois avaient été annoncées. Mais d’après les villageois, elles n’ont jamais vu le jour. « Il n’y a pas de milice, ici. Qui donc voudrait en être ? Tous les jeunes sont partis », déclare l’épicier Cai, qui ne donne que son nom de famille. A 100 mètres de là, un flot continu de camions rouges immatriculés en Corée du Nord pénètre en Chine à un poste-frontière. Les deux Etats communistes sont alliés depuis la Guerre de Corée (1950-53), quand Mao Tsé-toung avait envoyé plus d’un million de soldats chinois sauver Pyongyang. Mais si Pékin reste son principal protecteur, les relations ont discrètement tourné à l’aigre ces dernières années. Sous Kim Jong-un, le régime nord-coréen alterne offres d’apaisement et menaces nucléaires contre ses ennemis. Et le jeune héritier de la dynastie communiste des Kim ne s’est toujours pas rendu en visite officielle à Pékin.

‘Qu’ils restent chez eux’

A Nanping, les soldats capturés après les meurtres ont été remis à l’armée chinoise, selon le secrétaire du village, qui n’en sait pas plus sur leur sort. Les militaires sur place ont décliné toute réponse. Les Nord-Coréens qui fuient leur pays doivent passer par la Chine pour gagner la Corée du Sud. Mais ils sont renvoyés dans leur pays s’ils sont capturés en Chine. En mai, les gardes-frontière chinois ont ouvert le feu et abattu une personne qui tentait de franchir la frontière, selon les autorités locales. Hantise de Pékin, un effondrement du régime provoquerait un afflux énorme de réfugiés à la frontière. Déjà, des dizaines de milliers de Nord-Coréens avaient fui en Chine la famine des années 1990 et 2000. A l’époque, ils avaient été accueillis chaleureusement: « On leur donnait du riz et du maïs », raconte Cai l’épicier. « Mais c’était avant. Maintenant, il vaut mieux pour eux qu’ils restent de l’autre côté de la frontière ».

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