Eden Hazard a gagné la Ligue des Champions mais dans un rôle de figurant © Gettyimages

Eden Hazard et sa prophétie inachevée (analyse)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Derrière les sourires, Eden Hazard avait tout planifié. Il a trébuché sur la dernière marche de sa route vers le sommet.

Au milieu des années 2000, la rumeur enfle dans les rues de Lille. Le domaine de Luchin, siège des installations du club nordiste, hébergerait un phénomène. L’un de ces talents qui peuvent vous faire rêver d’un titre, plus de cinquante ans après le dernier sacre hexagonal du LOSC. Très vite, le nom d’Eden Hazard devient familier aux oreilles locales. Parce que comme Sébastien Dewaest, défenseur formé chez les Lillois puis révélé à Charleroi, l’entend souvent de la bouche de son père : « Si celui-là ne devient pas pro, personne ne le deviendra. »

Eden Hazard se savoure d’abord par petites bouchées. Invité pour les Matines brugeoises, traditionnel match de gala qui précède le coup d’envoi de la saison chez les Blauw en Zwart, Lille débarque avec son ado d’à peine quinze ans qui transforme la fête en cauchemar pour les défenseurs locaux, massacrés à coups de crochets. « On ne l’a pas formé, on l’a juste guidé », résume Claude Puel, son entraîneur de l’époque, qui glissait subtilement aux tauliers de son vestiaire de mettre le pied un peu plus fort quand le Brainois débarquait à l’entrainement avec les chaussettes baissées, les lacets dénoués et les protège-tibias laissés au vestiaire.

Tout Lille savait qu’Eden Hazard était à part. Même lui, évidemment. Parfois en retard, souvent distrait, mais systématiquement génial quand le ballon passait par ses pieds, Eden se permettait de chambrer les anciens en plein centre-ville ou d’humilier techniquement un gardien qui lui reprochait de ne pas assez défendre quand il était dans son équipe. Le tout avec des clins d’œil et des sourires. À Lille, la prophétie ne parlait que de lui. Hazard avait déjà écrit la sienne, confiée à un proche dès qu’il a posé ses valises à Chelsea après avoir, comme prévu, ramené le titre chez les Dogues : « Je fais quelques années en Premier League, je signe au Real Madrid, je gagne le Ballon d’or puis à trente ans, je finis au PSG. »

La détermination du champion et l’insouciance de l’homme qui aime jouer autant que gagner. Rencontré à Londres, José Mourinho dira de lui qu’il est trop gentil pour devenir le meilleur joueur du monde. En 2018, pourtant, il est en passe de l’être, leader intouchable de ces Diables rouges qui l’avaient découvert comme tous les autres. « Il m’a fait deux petits ponts à l’entrainement que je n’oublierai jamais de ma vie », rembobine Gaby Mudingayi, asservi comme tous les autres à l’autorité technique du roi Eden. Hazard a toujours subtilement choisi les moments où montrer qu’il était le plus fort sur un terrain d’entraînement où il passait l’essentiel de son temps à rire aux éclats. Chez les Blues, la légende raconte qu’il était incapable de dire où se situait la salle de sport. Le talent suffisait. Après tout, il avait très vite pris de l’avance sur les autres, sa mère Carine continuant à jouer jusqu’à quatre mois de grossesse.

« Il voulait aller très haut et ne s’en cachait pas, tout en étant toujours dans les premiers pour déconner. »

Igor De Camargo

La prophétie déraille à l’été 2018. Au sortir d’un Mondial galactique, Eden Hazard est encore trop cher pour rejoindre un Real Madrid que vient de quitter Cristiano Ronaldo. Le Brainois débarque en Espagne avec une Europa League de plus, un an de retard et quelques kilos de trop, vestiges de ses premières véritables vacances depuis deux ans. Il découvre l’environnement le plus compétitif de la planète, un club où les trophées comptent bien plus que la façon de les gagner. Eden a toujours aimé le Real, alors que c’était peut-être le grand club le plus éloigné de sa personnalité. Ralenti par les blessures et attendu de pied ferme par la trentaine, celle qui ne pardonne plus les écarts de jeunesse, le Belge ne redevient plus jamais celui qu’il était.

Dans la foulée de la Coupe du monde au Qatar, quand il annonce sa retraite internationale, certains tentent encore de s’accrocher au rêve d’un dernier défi. Hazard, lui, sait sans doute déjà que c’est terminé. Aucune des propositions reçues pour quitter son exil madrilène doré n’est vraiment prise au sérieux. « Le jour où je ne trouverai plus de plaisir sur le terrain, je sais qu’il sera temps d’arrêter », confiait déjà il y a cinq ans celui qui raccroche aujourd’hui les crampons à 32 piges. Sans véritable prise de tête, pour lui qui fixait à « 35 ans maximum » la date de péremption de son corps à quelques heures de défier le Brésil en 2018, pour le chef-d’œuvre de sa carrière internationale. Bloqués derrière ses fesses cambrées pour protéger le ballon, piégés par une main qui se pose délicatement dans leur dos, comme pour les prévenir du danger qui les guette, ses nombreuses victimes apprécieront.

Parce qu’il est imperméable au stress, les parents d’Eden Hazard sont persuadés que leur aîné vivra vieux. Pour occuper les longues années qu’il lui reste, son ami Marouane Fellaini a une idée déjà exposée en 2018 : « On a tous les deux une maison dans le sud de l’Espagne, on va se faire quelques barbecues au soleil. » De Madrid, en plus d’une Ligue des Champions remportée dans un rôle de figurant, Eden Hazard aurait conservé l’amour du jambon ibérique. Il ne manque plus que Marouane, un peu de bois et quelques allumettes pour accomplir la dernière prophétie.

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