Eden Hazard au sommet de son art : même Kevin De Bruyne peut se contenter de regarder © Gettyimages

Eden Hazard : « Je n’ai jamais vraiment rien préparé »

Thomas Bricmont

Eden Hazard vient d’annoncer sa retraite. L’occasion de se rappeler du sommet de sa carrière : ce Mondial 2018 où il a fait danser le Brésil.

À l’heure où la communication est cadenassée et les phrases pesées au gramme près, Eden Hazard est fidèle à lui-même : en détente. Le quart de finale de Coupe du monde face au Brésil est fixé le lendemain, l’heure est à la concentration optimale, mais le numéro 10 des Diables prend deux heures de son temps pour accorder une interview à Sport/Foot Magazine. Morceaux choisis de ces derniers mots prononcés en interview avant le match le plus abouti de sa carrière internationale.

Le Brésil doit être la consécration de votre génération.

EDEN HAZARD : Il y a quatre ans, contre l’Argentine, ça pouvait déjà être le cas même si on n’était pas vraiment prêt pour ça. Mais je pense que notre génération avait besoin d’un match comme celui du Japon où on a bien galéré. C’est ce qu’on s’est dit, on n’avait jamais connu un match comme ça : soit on gagnait facilement, soit on jouait contre plus fort que nous et on perdait. Cette génération avait besoin d’un match comme ça.

À 0-2, il y avait quelqu’un pour remobiliser les troupes ?

EDEN HAZARD : Oui mais au final qu’est-ce que tu fais quand c’est comme ça ? Parfois t’as envie de dire, arrête casse pas la tête, c’est fini.

Dans les moments difficiles, on demande souvent au meilleur joueur de l’équipe de les sortir de la mouise. Tu t’es dit que tu devais prendre les choses en mains ?

EDEN HAZARD : Oui, je me suis dit ça. Mais la pire chose à faire, comme face au Pays de Galles, c’est de vouloir forcer son jeu. Tu mets trop de pression et au final tu perds tes moyens.

Messi, aussi, avec l’Argentine, donne parfois l’impression de forcer son jeu.

EDEN HAZARD : Mais Messi, c’est encore différent : il a moins de qualité autour de lui. Moi j’ai des joueurs qui peuvent faire basculer le match : Kevin (De Bruyne, ndlr) par sa passe, Romelu (Lukaku, ndlr) par une accélération, t’as pleins de joueurs qui peuvent faire la différence. Mais je me dis quand même que si on perd, c’est de ma faute car j’ai tapé le poteau à 0-1. À la mi-temps, je n’étais pas inquiet par contre, je me disais juste qu’on ne faisait pas les bons choix dans les derniers mètres car on aurait pu mener au score 1 voire 2-0. Même si tu ne fais pas une exceptionnelle première mi-temps, tu vois que t’es plus fort. En début de deuxième par contre, c’était un carnage pendant 15 minutes. Et puis, on a repris le dessus. Je me sens bien, c’est comme si j’avais 20 piges. Mais c’est surtout après les matches que je sens que j’ai quelques matches dans les jambes derrière moi, quand tu commences à appeler le masseur à trois heures du matin. Je me dis que la Coupe du Monde, c’est celle-ci. C’est toi le capitaine, c’est toi le numéro dix de l’équipe. Modric, c’est lui qui porte son équipe, Neymar aussi, même s’il n’a pas fait une Coupe du Monde exceptionnelle, Cristiano est dehors aussi mais c’est lui aussi qui portait le Portugal.

Ça prouve aussi que t’as beau être le meilleur joueur du monde, tu ne peux pas porter une équipe.

EDEN HAZARD : C’est impossible. Tu vas peut-être gagner un match si t’as été exceptionnel mais tu ne peux pas gagner un grand tournoi sans une équipe bien balancée. Regarde la France, c’est costaud derrière, au milieu, ça va vite devant. Le Brésil, c’est peut-être un peu moins fort devant qu’à la grande époque mais c’est dix fois plus solide derrière. C’est une équipe qui joue vraiment en équipe, que ce soit Gabriel Jesus ou Firmino, ce sont des joueurs qui bossent pour l’équipe. Regarde l’Angleterre, ce n’est pas exceptionnel non plus mais ça sait défendre.

Est-ce que tu as le sentiment que Roberto Martinez a mis tout le monde d’accord durant ce tournoi ?

EDEN HAZARD : Un coach sera toujours jugé uniquement sur les résultats. Si on était passé à la trappe contre le Japon, on n’aurait jamais compris ses choix. Mais là, les deux joueurs qu’il a fait monter ont marqué : ça devient Martinez, c’est un génie. Alors que 20 minutes avant, c’était Martinez il est bidon.

Qu’est ce qui a changé par rapport à il y a deux ans ?

EDEN HAZARD : L’expérience. Individuellement on est tous plus forts aussi. Automatiquement quand tu joues dans de grands clubs, tu t’habitues à la pression. Par exemple, la vie de Romelu a changé en signant à Manchester United. Tu te réveilles le matin, au petit-déjeuner, on te parle, on te dit de gagner.

Il y a quatre ans, c’était encore une équipe de gamins qui découvrait leur premier grand tournoi.

EDEN HAZARD : Il y a quatre ans, on était une équipe talentueuse, mais hormis Daniel (Van Buyten, ndlr) personne n’avait joué de grande compétition.

Et pourtant, l’objectif était déjà d’aller au bout quand vous en discutiez ensemble.

EDEN HAZARD : Oui mais on ne se rendait pas compte. Une Coupe du Monde, ça se gagne à l’expérience. Tu peux me dire ce que tu veux, les matches en quarts, demis, ça se joue sur un corner, un penalty.

Comment as-tu vu cette génération évoluer ? Tu n’as pas parfois l’impression que les médias ou le grand public l’ont placée trop haut alors qu’aucun joueur n’a remporté de finale de Ligue des Champions par exemple ?

EDEN HAZARD : Je suis d’accord avec toi. Dans l’équipe, tu as peut-être trois-quatre joueurs qui sont habitués à performer. Regarde la France, ils sont bien plus habitués au succès. Le Brésil, on en parle même pas. Nous en Ligues des Champions, hormis Yannick (Carrasco, ndlr) qui a marqué en finale, il n’y a personne. Moi qui suis censé être le meilleur joueur, je n’ai jamais disputé une finale de Ligue des Champions.

Souvent on te place au niveau talent pur dans la caste des Messi, Neymar, Ronaldo mais tu n’as pas la carrière qui va avec.

EDEN HAZARD : Je crois aussi que médiatiquement, je suis moins bon qu’eux. Si j’étais Brésilien, ce serait sans doute différent. Mas je suis très content d’être belge, je ne changerais pas de nationalité pour ça.

Comment tu définirais ce groupe ? Qu’est-ce qu’il a de particulier ?

EDEN HAZARD : Notre force c’est que notre équipe ne bouge pas depuis quelques années. Et quand les jeunes arrivent, ils viennent se greffer à un collectif bien huilé. Pour moi l’expérience au sein du groupe est exceptionnelle. On parle ici de 23 joueurs mais t’as en fait 30 à 35 joueurs qui sont toujours les mêmes.

Et ça ressemble à une famille.

EDEN HAZARD : Oui et ce n’est pas seulement que sur le terrain même dans les tribunes, avec nos parents, les proches, tout le monde s’entend bien. Et pourtant, on sait que c’est parfois tendu au pays entre Flamands et francophones, mais chez nous ça n’existe pas. Et ça, on n’en parle pas assez, mais c’est depuis Marc Wilmots. On l’a critiqué, on a fait ce qu’on a voulu avec lui, mais n’oublions pas que ça c’est grâce à lui.

C’est aussi dû au fait que vous êtes quasiment tous partis très jeune à l’étranger, vous êtres devenu une équipe internationale.

EDEN HAZARD : Une équipe anglaise même. Surtout depuis que le coach Martinez est arrivé.

Avec une mentalité ambitieuse qui ne correspond pas à celle qu’on a pu connaître il y a plusieurs années.

EDEN HAZARD : Parce que nous sommes de grands joueurs aujourd’hui, on évolue dans les meilleurs clubs du monde.

Avec un jeu offensif.

EDEN HAZARD : L’entraîneur, ça reste un Espagnol. Et je connais pas beaucoup d’entraîneurs espagnols qui aiment jouer défensivement. Il a la rigueur anglaise et cette volonté de toujours vouloir jouer vers l’avant d’un coach espagnol.

Le fait d’évoluer dans une équipe offensive, qui contraste avec le Chelsea de cette saison, ça a une influence sur tes performances ?

EDEN HAZARD : Oui, même si je retrouve des similitudes avec Chelsea. En Belgique, on n’est pas fait pour garder le ballon, on ne fait pas de tiki-taka. Notre force, c’est défendre et aller vite vers l’avant. Comme sur le troisième but face au Japon, on ne devrait faire que ça. Et ça c’est un peu le jeu de Chelsea. On joue un peu plus haut, mais si contre le Brésil t’avais joué aussi haut, tu serais cuit par exemple.

Quand vous voyez les images de liesse en Belgique, ça vous touche toujours ?

EDEN HAZARD : Évidemment, même si je préférerais voir nos supporters dans le stade, parce que là, on n’est pas beaucoup. Même si je sais que ce n’est pas toujours facile. Mais s’il y a beaucoup d’engouement au pays, on reste quand même un pays beaucoup moins foot que le Brésil ou l’Argentine. Je crois que les Belges préfèrent faire la fête en Belgique. Mais nous en tant que joueur, on aimerait faire la fête avec eux.

Tu as ressenti le climat quelque peu négatif autour des Diables avant le début de la Coupe du Monde ?

EDEN HAZARD : Ça va très vite dans un sens comme dans l’autre. Et puis à l’EURO, il y a eu une petite déception. Et en qualifications, pour nous et le public, c’était évident qu’on devait passer. Même après notre succès face au Japon, on n’allait pas faire la fête. Le scénario a fait qu’on était évidemment très heureux. Mais si tu commences à faire la fête parce que tu as battu le Japon, c’est que tu as un problème. Intérieurement t’es super content mais ça doit normalement être une formalité.

Tu as préparé ce tournoi différemment des autres grands événements de ta carrière ?

EDEN HAZARD : Je n’ai jamais vraiment rien préparé. Un peu comme à l’école (il rit). J’ai toujours pris les choses comme elles venaient. Je me suis seulement dit, c’est maintenant car la prochaine elle est dans quatre ans.

Tu ne crains pas pour la suite après le fin de carrière annoncée de plusieurs internationaux ?

EDEN HAZARD : La relève, elle est pas mal non ? On l’a vu contre l’Angleterre. Youri (Tielemans, ndlr) a fait un super match, il va falloir compter sur lui à l’avenir, Adnan aussi. Thorgan est un peu plus vieux, mais il est là aussi. Il va peut-être falloir former des défenseurs même s’il y a Leander (Dendoncker, ndlr). Mais s’il faut, je jouerai défenseur. Si on ne concède pas de corner, c’est pas un problème (il rit).

Tu penses avoir un autre statut encore à l’avenir chez les Diables ?

EDEN HAZARD : C’est quoi avoir un statut ? Je crois que ton statut, tu le construis par ton expérience. Si t’es un jeune qui débarque et que tu as Eden en face de toi qui a joué 90 matches, tu vas l’écouter.

Le fait que tu sois aujourd’hui plus décisif, c’est lié au fait que tu as davantage de liberté sur le terrain ?

EDEN HAZARD : Non, je ne crois pas. J’ai toujours été libre, c’était déjà le cas avec Wilmots. À Chelsea, c’est aussi le cas. C’est difficile de m’empêcher d’être libre sur un terrain.

Tu n’étais pas inquiet par le niveau des Diables avant la Coupe du Monde ?

EDEN HAZARD : Je n’ai jamais été inquiet même si je me disais que d’un point de vue collectif, ça pouvait être meilleur. Le match où je me suis dit qu’on devait mieux jouer, c’est face à l’Arabie saoudite. OK t’as gagné 4-0 mais pour moi l’Arabie saoudite méritait de l’emporter. Mais en contrepartie, on avait gagné facilement cette rencontre dans les chiffres.

Mais grâce à des exploits individuels…

EDEN HAZARD : Oui mais le foot c’est ça. Sans les exploits individuels de Mbappé face à l’Argentine, qui te dit que la France serait passée ? C’est aussi la force des grandes équipes. Le tiki-taka, il s’en fout, Deschamps. Les seuls qui continuent avec le tiki-taka, c’est l’Espagne et ils sont dehors.

Face au Brésil, vous n’avez pas peur de vous prendre une gifle ?

EDEN HAZARD : Non, même s’ils ont plus de chance de t’en mettre une si tous leurs joueurs sont à 100 % que l’inverse. Individuellement, et même si on a des grosses qualités, ils sont meilleurs à tous les postes. C’est aussi la première fois où l’on peut se dire qu’on n’est pas favoris. On n’a rien à perdre : tu perds c’est pas grave, mais tu donnes tout.

Plus d’un mois sans la famille, ce n’est pas trop dur ?

EDEN HAZARD : Non, on s’est vu après le match contre la Tunisie. Ils sont revenus après la demi-finale. Une grande compétition, c’est tous les deux ans, on peut quand même faire ça. Une carrière professionnelle s’arrête à 35 ans, voire moins, j’aurai beaucoup de temps à passer avec les petits par après. Et puis avec les téléphones, on peut toujours les voir un peu. Ils ne sont pas présents physiquement mais c’est comme si….

Ils jouent aussi au foot, les petits ?

EDEN HAZARD : Oui et ils me fatiguent. Si je suis fatigué à la 85e minute, c’est à cause d’eux.

Et pour tes trois fils, ça ne va pas être trop dur de porter le nom Hazard s’ils continuent dans le foot ?

EDEN HAZARD : Mon père aussi a fait une grande carrière et je n’ai pas eu de difficultés à porter son nom (il rit). Honnêtement, je ne me pose pas la question. C’est évident qu’un jour, s’ils jouent au foot, on va leur ressortir le nom du père. C’est la même chose pour le fils de Cristiano ou de Messi.

Et pour ton frère, Thorgan, le fait d’être continuellement comparé à toi, ça n’en devient pas pesant ?

EDEN HAZARD : Non ça va, c’est quelqu’un de très tranquille par rapport à ça. Et je crois qu’il est content d’avoir un frère qui est un des meilleurs joueurs au monde (il rit).

Tu as conscience d’être un des meilleurs joueurs sur cette planète ?

EDEN HAZARD : Oui j’en ai conscience. Je ne dis pas que je suis le meilleur, mais je fais partie des meilleurs, c’est tout.

Depuis 4-5 ans ?

EDEN HAZARD : Non depuis 27 ans (il rit). Plus sérieusement depuis 2-3 ans. J’étais un très bon joueur à Lille mais j’étais davantage catalogué comme un des meilleurs jeunes joueurs au monde. En passant dans un grand club, j’ai franchi une étape. Mais je pense que je peux encore m’améliorer. Au niveau des statistiques évidemment même si ces stats, c’est très bien quand seulement ça te permet de gagner des matches. Car tu peux dire ce que tu veux, le foot c’est un sport collectif. Tu as besoin d’individualités mais ce sera toujours le collectif qui te fera gagner des trophées.

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