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La mélatonine, ni un somnifère ni un produit miracle

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

La mélatonine est à la mode: pour soulager l’insomnie, réduire le jet-lag, éviter la déprime… Les scientifiques ne sont pas aussi enthousiastes que le grand public.

De 30% à 50% des Belges se plaignent d’insomnies temporaires et 20% luttent contre l’insomnie chronique. Beaucoup parce qu’ils ne pensent pas à consulter ou n’osent pas le faire, se jettent sur des compléments alimentaires des concentrés de nutriments distincts des médicaments et régis par une réglementation spécifique. Millepertuis, valériane, safran, passiflore, lavande… L’offre est aussi pléthorique que la demande, dont la fameuse mélatonine. Elle est la première bouée de sauvetage vers laquelle se tournent ceux qui ont des nuits trouées.

Ce produit a d’ailleurs un statut étonnant. A la fois complément alimentaire à faible dose et médicament au-delà d’une certaine limite – 300 mg par prise, ce qui est normalement réservé au traitement de l’insomnie primaire chez les personnes de plus de 55 ans. Une molécule le plus souvent en vente libre, parfois sur ordonnance, mais dont le maniement s’avère, en réalité, délicat. Découverte en 1958, cette hormone est secrétée de façon physiologique par le cerveau (lire ci-dessous), le soir et pendant la nuit. Elle permet de synchroniser les rythmes biologiques en réponse à l’alternance du rythme lumière/obscurité, pour maintenir le cycle veille/sommeil. Synthétisée, on la trouve en pharmacie ou en parapharmacie sous forme de comprimés, de spray, de solution buvable, à libération immédiate ou prolongée.

Le meilleur somnifère qui soit est le changement des habitudes de vie et de sommeil.

«La mélatonine aide à mieux s’endormir, mais une partie de l’effet clinique est probablement aussi placebo. Quoi qu’il en soit, elle est l’un des rares somnifères que je prescris sans avoir mauvaise conscience», commente Steven Laureys, neurologue et directeur du Centre du cerveau au CHU de Liège, dans Le Sommeil, c’est bon pour le cerveau (Odile Jacob, 2023). Son efficacité se limite pourtant à quelques indications précises. Ainsi elle peut être utile pour son rôle chronobiotique, qui permet d’avancer l’horloge interne de personnes souffrant d’un syndrome de retard de phase des rythmes circadiens, caractérisé par un endormissement et un réveil tardifs. «L’efficacité de la lumière demeure supérieure à celle de la mélatonine. Cette dernière ne peut donc avoir d’effets bénéfiques que chez les patients ayant une bonne hygiène de sommeil et d’exposition à la lumière», avertit Claude Gronfier, chronobiologiste et neurobiologiste à l’Inserm.

Chez les plus de 60 ans

Elle possède aussi des propriétés soporifiques, qui faciliteront l’endormissement notamment chez les sujets plus âgés, généralement vers 60 ans, dont la glande pinéale devient paresseuse – la production de mélatonine faiblit au fil du temps. Mais elle n’améliore ni la qualité ni la durée du sommeil: elle aide à s’endormir, pas à maintenir le sommeil. Surtout, ses résultats dépendent de la dose et du moment où elle est prise.

Pour réguler un sommeil décalé, elle se prend à distance du coucher: en faible dose (0,5 mg), dans l’après-midi, quatre à six heures avant le coucher, pour avancer l’endormissement, ou le matin, pour retarder les rythmes biologiques des personnes trop matinales. L’effet soporifique s’avère, lui, dose-dépendant, et il faut souvent en prendre plus de 1 à 2 mg avant d’aller au lit, pour obtenir l’endormissement. Et à condition de s’astreindre à des comportements adaptés au sommeil. «Si vous en prenez et qu’ensuite vous passez trois heures devant un écran, cela ne fonctionnera pas. Le meilleur somnifère qui soit est le changement des habitudes de vie et de sommeil», note Steven Laureys. Pour observer un réel changement, il faut d’ailleurs en prendre au minimum durant quinze jours. En revanche, la molécule n’a aucun effet sur les insomnies dues à l’anxiété ou sur les ruminations qui perturbent l’entrée en sommeil.

Les propriétés soporifiques de la mélatonine facilitent l’endormissement chez les 60 ans et plus.
Les propriétés soporifiques de la mélatonine facilitent l’endormissement chez les 60 ans et plus. © getty images

Le dosage a également toute son importance. C’est presque du sur-mesure. Il oscille entre 0,5 mg et jusqu’à 1 mg pour un dérèglement plus important. Il doit aussi être adapté selon les habitudes: le tabac et l’alcool, par exemple, diminuent sa biodisponibilité. De même, si la mélatonine est généralement bien tolérée, l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé déconseille son usage dans de nombreuses situations, dont l’enfant de moins de 12 ans, la femme enceinte et allaitante ou encore le patient souffrant d’une maladie inflammatoire. L’agence rappelle enfin que des interactions sont possibles avec de nombreux médicaments.

Enfin, autre écueil, la qualité des compléments alimentaires proposés en vente libre n’est pas garantie. Dans une récente enquête, Testachats pointait que la teneur en produit actif n’était pas toujours cohérente avec celle mentionnée sur l’étiquette. Les indications pouvaient également induire le consommateur en erreur sur les conditions d’emploi.

D’autres pistes

Qu’en est-il alors des autres compléments? La littérature récente montre que la combinaison de la valériane, du houblon et de la passiflore donne les meilleurs résultats. Une méta-analyse (une littérature combinant les résultats de recherches récentes), publiée dans la revue Sleep Medicine Reviews, en mars 2022, identifie le safran. Selon ces travaux, une dose quotidienne de 100 mg améliore significativement la qualité du sommeil. Le safranal, un de ses composés, activerait les neurones favorisant le sommeil et inhiberait ceux responsables de l’éveil. De plus, l’épice semble présenter des effets positifs sur l’humeur et des propriétés anxiolytiques qui aident à diminuer le stress, ce qui pourrait améliorer l’état des personnes souffrant de troubles du sommeil liés au stress. Néanmoins, les auteurs se montrent très prudents dans leurs conclusions et précisent que d’autres d’études seront nécessaires afin de conclure à l’efficacité et l’innocuité à long terme de différents dosages de safran.

Le magnésium présente également un intérêt. Ce minéral essentiel au corps humain participe à de nombreuses réactions enzymatiques et intervient notamment dans la production des acides gamma-aminobutyrique (Gaba), qui jouent un rôle essentiel dans le contrôle de l’éveil et du sommeil en ralentissant globalement l’activité du cerveau. Une étude publiée dans Sleep en 2021, qui a suivi les habitudes alimentaires de près de quatre mille personnes pendant plus de vingt ans, suggère que ceux qui consomment régulièrement et en quantité appropriée du magnésium dorment mieux et plus longtemps. Mais là encore, les auteurs reconnaissent que leur travail se borne à montrer une corrélation et non une causalité, qui devra être confirmée à travers d’autres études. A ce jour, il n’existe en effet aucun essai définitif, de grande envergure sur des populations en bonne santé, ou celles atteintes de maladies spécifiques, sur de longues périodes.

La préparation idéale reste encore à inventer.

220 milliards d’euros

Les professionnels du secteur estiment que le marché mondial des compléments alimentaires atteindra 220 milliards d’euros à l’horizon 2024, un montant proche de celui des cosmétiques.

L’«hormone du sommeil»

La mélatonine est une hormone sécrétée essentiellement dans le cerveau par l’épiphyse (appelée aussi glande pinéale), mais également par la rétine, l’intestin, la peau, les plaquettes et la moelle osseuse. Sa principale fonction est d’informer l’organisme de l’alternance jour-nuit, ce qui permet de favoriser l’endormissement et de maintenir le sommeil. Elle semble avoir d’autres effets, notamment sur l’humeur, le système immunitaire, la motricité intestinale et le comportement sexuel (elle augmenterait la libido). Elle intervient également dans la régulation de la température corporelle. L’hormone est produite la nuit, pour atteindre son maximum vers 3 heures. A l’inverse, le cortisol favorise l’éveil et sa production atteint son pic vers 8 heures.

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