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Apnées du sommeil: ces pauses respiratoires qui nous assomment

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Les ronflements intenses suivis de longs silences révèlent un trouble qui a un réel impact sur notre vitalité: les apnées du sommeil.

«Je ronflais comme un marteau-piqueur: 92 décibels dans la chambre! On m’a envoyé chez une pneumologue qui m’a révélé qu’en fait, je souffrais d’apnées du sommeil sévères. On a fait une polysomnographie et on a vu que je ne respirais pas beaucoup.» Ce n’est qu’à l’aube de la quarantaine que le comédien, humoriste et porte-parole de l’Association pulmonaire du Québec, Anthony Kavanagh, a compris pourquoi il s’endormait partout, y compris au volant, pourquoi il se réveillait le matin plus à plat que la veille et parvenait à peine à assurer ses spectacles, comme il le relate dans le média en ligne Konbini, en décembre 2022.

Une fatigue intense, un état de somnolence, des maux de tête parfois, c’est ce que ressentent les personnes qui souffrent d’apnées (pauses respiratoires complètes) ou d’hypopnées (réduction du flux respiratoire) obstructives du sommeil (Sahos). Un trouble dont l’incidence augmente de façon quasiment linéaire avec l’âge: selon l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm), il concerne 7,9% des 20-44 ans, 19,7% des 45-64 ans et 30,5% des plus de 65 ans. Une proportion sous-estimée: près de sept personnes apnéiques sur dix ne seraient pas diagnostiquées. La somnolence est pourtant un sérieux indice: près de la moitié des gens qui piquent du nez en journée souffriraient d’apnées du sommeil.

Près de la moitié des gens qui piquent du nez en journée souffriraient d’apnées du sommeil.

Le surpoids, un indice, pas une généralité

Le syndrome touche aussi différemment les hommes et les femmes: on le détecte deux fois plus chez les messieurs, bien que l’écart ait tendance à se résorber avec l’âge, la ménopause entraînant un relâchement des tissus, y compris ceux de la gorge et du cou. On sait également aujourd’hui qu’il existe une corrélation entre les apnées du sommeil et l’hypertension artérielle, l’intolérance au glucose et la dyslipidémie (concentration importante de lipides dans le sang). Plus de 60% des individus présentant un syndrome métabolique font des apnées du sommeil et environ 16% des diabétiques de type 2.

Le lien est également établi avec le ronflement et l’obésité. Il n’est cependant pas systématique. On estime que plus de 90% des personnes présentant des apnées du sommeil ronflent mais que seulement 10% des ronfleurs souffrent de ce trouble. De la même manière, toutes ne sont pas en surpoids. Des personnes de corpulence normale, voire très mince, peuvent aussi en pâtir. Dans ce cas, le problème est souvent lié à d’autres troubles du sommeil, comme l’insomnie. Le syndrome peut aussi toucher les enfants, bien que ce soit nettement plus rare, principalement lorsqu’ils présentent une hypertrophie des amygdales ou des végétations et, de plus en plus, lorsqu’ils sont en surpoids.

Dans la majorité des cas, les apnées du sommeil sont provoquées par une obstruction des voies respiratoires. Le maillon faible? Le pharynx. L’évolution a doté l’homme d’un pharynx mobile et souple qui lui permet d’émettre les sons nécessaires au langage et de chanter. Mais au repos, cet avantage n’en est plus un puisque c’est cette plasticité qui favorise des sons nettement moins harmonieux: les ronflements. Ce sont généralement ces bruits de tronçonneuse suivis d’un long silence qui mettent la puce à l’oreille des personnes apnéiques, ou plutôt de leur entourage puisque, eux, ne s’entendent pas ronfler.

Revenons-en au pharynx. Lorsque nous dormons en position horizontale, les muscles dilatateurs situés dans le cou se relâchent. L’air passe alors plus difficilement et provoque sur son passage des vibrations, les ronflements. Chez les personnes souffrant d’apnées du sommeil, les parois font plus que se relâcher: elles s’effondrent, empêchant l’air de circuler correctement. Sous-oxygéné, le cerveau activera alors son système d’alerte et provoquera un microréveil permettant lui-même l’activation d’un système neurologique réflexe. En clair, il provoquera une contraction des muscles des parois du larynx et restaurera ainsi le passage de l’air. Jusqu’au prochain épisode. Dans les autres cas, le problème n’est pas imputable au relâchement musculaire mais à une mauvaise posture, à des voies aériennes étroites, une déviation de la cloison nasale ou un excès de tissus adipeux dans la zone du cou et de la gorge.

De modéré à sévère

Comment savoir si on est concerné? Un premier examen chez l’ORL est un bon début. Le patient sera généralement invité à passer une polysomnographie afin d’enregistrer les différentes variables physiologiques: rythme cardiaque, activité oculaire, activité électrique du cerveau et activité des muscles. Une polysomnographie ambulatoire est possible, mais les résultats seront moins précis et l’examen n’est pas remboursé.

Combien de fois faut-il faire le «grand bleu» par nuit pour être considéré comme apnéique? La littérature n’est pas unanime sur le sujet. Dans leur ouvrage Je rêve de dormir (Favre, 2016), le Dr Raphaël Heinzer, médecin chef et codirecteur du centre d’investigation et de recherche sur le sommeil au CHUV de Lausanne, et le Dr José Haba-Rubio, neurologue et spécialiste des troubles du sommeil dans le même centre, révèlent les résultats d’une étude qu’ils ont menée sur une population de 2 000 Lausannois de 40 ans qui ont accepté de tester leur sommeil à domicile. Près d’un homme sur deux et d’une femme sur quatre vivaient plus de quinze apnées du sommeil par heure, ce qui est largement plus élevé que ce qui avait été estimé auparavant.

«On peut déjà considérer qu’une personne est apnéique à partir de cinq apnées par heure, complète le Dr Pascal Legros, somnologue à la clinique Saint-Luc de Bouge. Mais selon les critères fixés par l’Inami, une intervention thérapeutique n’est nécessaire qu’à partir de quinze, ce qui n’est pas toujours respecté puisque chaque cas est évalué individuellement et que d’autres paramètres sont pris en compte. A partir de trente, on considère qu’il s’agit d’apnée sévère.» Et d’ajouter: «Chez les enfants, les apnées du sommeil sont plus difficiles à détecter, tout simplement parce qu’on n’y pense pas. On considère qu’une seule apnée par heure est déjà un critère. Les interventions sur les amygdales et les végétations donnent de bons résultats car leur tonicité musculaire est très bonne.»

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Dormeur masqué

En Belgique, 140 000 personnes bénéficient d’un traitement pour les apnées du sommeil. Car au-delà, les désagréments qu’occasionnent les ronflements, la répétition des apnées et des microréveils n’est pas sans danger pour la santé.

Et pour cause, exposent les Pr Heinzer et Haba-Rubio dans leur ouvrage, on observe d’une part une fragmentation du sommeil secondaire consécutive aux réveils provoqués par les étouffements pendant la nuit et, d’autre part, un manque d’oxygène et un stress lié aux arrêts respiratoires répétés. Les étouffements répétés, eux, provoquent un manque d’oxygène et un stress important, ce qui provoquera une augmentation du rythme cardiaque et de la pression artérielle. Ces variations augmentent de trois fois le risque de développer une hypertension, de deux fois le risque d’attaque cérébrale et semble favoriser la survenue d’insuffisance cardiaque. Les apnées favoriseraient également la dépression et peut-être le diabète. Pour compléter le tableau, l’état de somnolence accroît le risque d’accident de la route. Selon une étude parue dans TheNew England Journal of Medicine, celui-ci est 6,3 fois plus élevé chez les personnes qui en souffrent.

Chez les enfants, les apnées du sommeil sont plus difficiles à détecter, tout simplement parce qu’on n’y pense pas.

Le traitement le plus connu du grand public – avec la technique bricolée des balles de tennis cousues sur le pyjama – est certainement la CPAP, pour «continuous positive airway pressure». Le dispositif envoie un léger flux d’air dans un masque nasal que le patient doit porter pendant la nuit. De cette manière, les voies respiratoires restent ouvertes et la sensation d’étouffement ne survient pas.

«Il s’agit du seul dispositif permettant de traiter complètement les apnées mais il n’est pas toujours bien toléré», expose le Pr Raphaël Heinzer, à la Radio télévision suisse (RTS). Un tiers vont mieux et en sont donc contents, un tiers sont des hésitants mais qui continuent à long terme et un tiers arrêtent, dont 20% la première année et 10% par la suite.» Il est vrai que la CPAP, avec son masque nasal, ses élastiques et son tuyau raccordé à un boîtier, est un peu un tue-l’amour, bien qu’elle existe aujourd’hui en format plus petit et moins bruyant.

Les résultats obtenus lors de la prise en charge avec la CPAP dépendent entre autres du profil du patient, précise le docteur Legros. «Les patients les plus faciles à traiter sont certainement les jeunes, tant les hommes que les femmes, qui présentent un surpoids et qui sont somnolents. Les effets sont moins positifs chez les plus âgés, surtout s’ils présentent des comorbidités car le problème est déjà bien installé. Autre type: les femmes en péri- ménopause qui souffrent d’insomnies. Comme elles supportent difficilement le traitement, le degré d’abandon est important. On tente alors de les aider à cadrer leur sommeil, et de les diriger vers des thérapies cognitivo-comportementales. Lorsque tout cela est mis en place, on peut alors proposer la CPAP. Reste une dernière catégorie: les très jeunes patients, minces, et qui n’éprouvent pas de sensation de somnolence. Ce sont les moins réceptifs à la CPAP et ils ont tendance à se tourner vers d’autres dispositifs comme l’orthèse avancée mandibulaire ou la chirurgie ORL. Cette dernière option s’avère malheureusement souvent décevante. Pour nombre d’entre eux, il n’y a pas vraiment d’amélioration.»

Le stimulateur de nerfs serait-il une bonne alternative à la CPAP? La neurostimulation du nerf hypoglosse (nerf crânien destiné à la musculature de la langue) est proposée aux patients présentant des apnées modérées à sévères. Son efficacité est établie à court comme à long terme. L’implant, équipé d’un capteur placé entre les muscles intercostaux, provoque une stimulation de faible intensité du nerf hypoglosse de manière synchronisée avec le cycle respiratoire. Ainsi, le flux respiratoire est conservé durant toute la nuit sans que le sommeil s’en trouve perturbé. Le patient dispose d’une télécommande qui lui permet de régler l’intensité de son «tirage de langue».

Une technique plus expérimentale, enfin, consiste à rééduquer les voies respiratoires. La thérapie myofonctionnelle, comme on l’appelle, vise à renforcer les muscles de la langue, dont le génioglosse qui permet la protraction de celle-ci, et de la gorge en pratiquant une gymnastique quotidienne. Si le dispositif est en vogue, constate le Dr Legros, «les études menées à ce jour ne livrent guère de résultats convaincants. De ce que nous observons ici (NDLR: au centre des troubles du sommeil à la clinique Saint-Luc, à Bouge), cette nouvelle approche ne semble pas changer fondamentalement les choses. Par ailleurs, cela demande de la régularité. Or, j’ai du mal à croire que les patients puissent exécuter ces exercices toute leur vie.»

Le business des solutions contre les troubles du sommeil s’est fortement développé au cours des dix dernières années. Sur le marché, on trouve des gadgets dont les effets n’ont jamais été prouvés, tels que les bagues d’acupression antironflement, mais également des technologies plus prometteuses comme les coachs électroniques destinés à mesurer l’activité nocturne. Leur efficacité est encore difficilement objectivable mais à l’avenir, ils pourraient faire partie des dispositifs préventifs ou curatifs. Pour que nos nuits soient aussi connectées que nos jours?

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