© getty images

Pourquoi l’astrologie séduit tant les ados ?

Avec les réseaux sociaux, l’astrologie se refait une santé auprès des millennials. Qui espèrent trouver ainsi des réponses à leurs questionnements…

Tiziano, 19 ans, rêve de devenir soigneur à Pairi Daiza. Vu le nombre limité de places, il sait qu’il pourrait tout aussi bien atterrir dans les rayons d’une animalerie. Mais au fond, il ignore totalement ce que la vie lui réserve. Il sait juste précisément ce dont il ne veut plus. «J’ai connu une passe compliquée il y a quelques années, confie-t-il. J’ai souffert de dépression à cause d’une rupture et d’un enchaînement de problèmes privés sur un court laps de temps. Je ne me comprenais pas, j’avais l’impression d’être seul au monde à être hypersensible. J’ai entamé une thérapie. Le psy m’écoutait parler, mais ce n’était pas assez concret pour moi et ça n’a pas abouti.» Un jour, le jeune homme tombe sur le descriptif de son signe astrologique, cancer: «Emotionnel, doté d’un fort caractère et passionné par les animaux…». Pour Tiziano, pas de doute: c’est typiquement lui. Motivé, il s’intéresse à la pratique, se renseigne sur son ascendant et son signe lunaire. «Lorsque j’ai découvert dans des livres les caractéristiques du cancer, l’astrologie m’a permis de comprendre que beaucoup de gens vivaient potentiellement les mêmes choses que moi. Ça m’a redonné confiance.» Aujourd’hui, son signe est tatoué sur sa main gauche et apparaît dans sa bio Instagram. Au même rang que son nom et son âge.

Ils sont venus à une petite dizaine d’ados de 12 à 14 ans, ça m’a surprise qu’ils soient autant et si jeunes.

Ni devineresse ni guérisseuse

Douze millions de publications flanquées d’un #astro sur Instagram ; 53 milliards de vues pour le même hashtag sur TikTok. Des comptes spécialisés de plus en plus nombreux. Puis cette enquête, menée par l’Ifop en 2020, selon laquelle 69% des Français de 18 à 24 ans interrogés déclarent croire à au moins une des parasciences, avec une nette préférence pour l’astrologie. Pas de doute, l’interprétation des correspondances entre les configurations célestes a le vent en poupe auprès de la jeune génération.

Shana Lyès, elle, est tombée dedans dès l’enfance, quand elle lisait l’horoscope avec sa grand-mère. «A 15 ans, j’ai souffert d’endométriose, rembobine la Liégeoise. Mon meilleur ami m’a alors fait mon thème astral (NDLR: l’établissement des caractéristiques d’un individu selon la position des étoiles lors de sa naissance). C’était criant de vérité. Tant sur ma personnalité, puisqu’il évoquait mon goût pour l’écriture, la communication et les langues, que sur des éléments concrets comme cette maladie gynécologique.» Perturbée, Shana décide de se former en autodidacte en bibliothèque, puis s’essaie à quelques exercices, comme une description des douze personnalités selon les signes astrologiques. Sa publication fait un tabac sur Instagram, où elle reçoit un nombre impressionnant de réactions. Dans la foulée, elle étaie son compte, @astro.lya, se forme auprès d’une astrologue professionnelle et se lance dans une modernisation de la pratique en vulgarisant les propos. «Je reproche à l’astrologie traditionnelle d’il y a cinquante ans d’être trop mystérieuse, reprend la lectrice des astres. Transit de Pluton, trigone, sextile… ces termes sont trop éloignés de la réalité du quotidien.» L’autre boulet que traîne, selon elle, l’astrologie est l’amalgame qui en est fait avec la voyance. «C’est pourtant très rationnel: je vois qu’à tel moment, telle planète dans le ciel m’amène à conseiller à un individu d’aller voir son banquier ou d’entamer une nouvelle réflexion professionnelle… Je ne suis ni devineresse ni guérisseuse, je propose juste une base pour susciter d’autres réflexions sur la vie.» Professionnelle depuis 2019, Shana possède près de 25 000 followers sur Instagram, parmi lesquels figure Kenza, 18 ans.

Frappée par le diabète depuis sa plus tendre enfance, Kenza a cherché à l’adolescence à parler à des personnes extérieures à sa famille. De ses souffrances, mais aussi de cette sensation qu’elle a d’être coincée par son altruisme, cette tendance à constamment faire passer les autres avant elle, au point de s’oublier. «En dessous de chaque post de description de signes de Shana, j’ai vu que des gens commentaient en fonction de leur propre expérience, glisse Kenza. Ces témoignages m’ont donné la confiance nécessaire pour m’ouvrir aux autres. Ça m’a permis de mieux me connaître et de m’accepter: je m’en étais toujours voulu de me trouver renfermée, introvertie et rancunière puis soudainement, je voyais que je n’étais pas une extraterrestre, c’était « normal ». J’ai pu commencer à me sentir moi-même avec des personnes qui me comprenaient. Ça fait beaucoup.»

Jeu de société et effet de mode

Elle devait simplement faire office de petit jeu d’accueil, mais l’initiation à l’astrologie proposée par la Maison des jeunes de Ciney lors des dernières vacances de carnaval a plutôt cartonné. «Ils sont venus à une petite dizaine d’ados de 12 à 14 ans, ça m’a surprise qu’ils soient autant et si jeunes», s’étonne encore Philippine Vins, animatrice du foyer. Cet après-midi-là, au château Saint-Roch, dans la capitale du Condroz, les jeunes prennent place autour d’une table et du jeu de société Witch Night. Le but: découvrir son chemin de vie en effectuant des gages, en s’alimentant des prédictions de Nostradamus et d’un morceau de l’histoire de l’astrologie. «Je leur ai précisé que c’était à prendre avec du recul, qu’il ne fallait pas faire aveuglément confiance à l’horoscope du matin», reprend l’animatrice. Face à elle, les gamins sont, si pas subjugués, particulièrement intéressés par l’activité. Les mots clés de l’astrologie résonneraient-ils directement dans leur esprit? «En échangeant leurs ressentis, c’était comme s’ils essayaient d’approfondir leur recherche d’eux-mêmes, de leur personnalité, leur identité, leur moi profond.» Une façon de parler de soi sans se dévoiler directement. Une façon de se confier sans bousculer sa pudeur.

© Instagram Shana Lyès

Lors de ses consultations individuelles, l’astrologue Shana Lyès a pris l’habitude de rencontrer des jeunes en recherche de conseils pour améliorer une relation ou de réponses par rapport à leur cheminement professionnel: est-ce que ces études ou ce métier sont vraiment faits pour eux? «Beaucoup ont l’impression de se connaître, puis un événement remet en question leurs certitudes et ça embraie souvent sur du développement personnel, précise-t-elle. Dans ce monde où tout va à une vitesse folle, l’astrologie permet aussi de prendre de la hauteur et du temps pour soi. Elle ne remplace pas la religion, mais permet un autre rapport à la spiritualité, c’est un refuge où l’on se retrouve face à soi-même. Avec des croyances, scientifiques ou pas.»

Selon l’astrophysicienne et vulgarisatrice scientifique Yaël Nazé, une partie du succès actuel de l’astrologie peut être attribuée à l’ambiance globalement morose qui règne dans le monde. «En temps de crise, avoir des prévisions pour le futur – quel que soit le moyen d’explication ou de divination – peut rassurer. Mais il y a aussi un énigmatique effet de mode derrière le retour en force de l’astrologie auprès des jeunes, tout comme l’intérêt pour la sorcellerie est remonté en flèche depuis le confinement.» Ancien astrologue devenu sceptique, Serge Bret-Morel met en garde sur «l’absence d’information critique sur l’astrologie dans les médias ou sur les réseaux sociaux, ce à quoi s’ajoutent ces bulles cognitives en place dans les milieux de croyants.» Il tient également à alerter sur «l’irresponsabilité des astrologues amateurs des réseaux qui ne connaissent pas les débats sur la discipline, éclatant en cela toutes les barrières habituelles».

53

milliards de vues pour le hashtag #astro sur TikTok, douze millions de publications sur Instagram.

Comprendre les autres

Kenza estime être dotée d’un certain esprit critique: ce n’est pas la position des planètes qui déterminera son destin. «Je me réfère à l’astrologie dans certaines situations, comme quand j’ai un doute, mais je prends moi-même les décisions importantes de ma vie, assure l’étudiante en tourisme, sans par ailleurs renier l’influence de la lecture des astres dans ses relations. Ma sœur est de signe poisson, c’est une personne hypersensible. Je sais qu’elle a besoin de temps pour elle. Il lui faut ces moments, seule dans son coin, où elle peut pleurer sans devoir se montrer aux autres. Je n’ai aucune méfiance envers les autres sciences, mais l’astrologie me permet de mieux comprendre et appréhender mes proches, tout en sachant que deux personnes de même signe n’ont pas automatiquement le même caractère.»

Quand il est seul chez lui, Tiziano tire parfois les cartes. Pour en savoir plus sur son futur. Il l’a fait peu avant de passer son permis de conduire théorique, pour jauger ses chances de réussite. «Les cartes m’ont indiqué les mots « ambition », « travail », « réussite ». C’était le signe que je n’étais pas tout à fait prêt, que je devais encore étudier. Ces clés m’ont néanmoins mis en confiance pour avancer.» Plutôt logique, pour une question de voiture.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire