Yaël Nazé
Yaël Nazé © Anthony Dehez

Yaël Nazé, astrophysicienne: «La science, comme la culture, c’est de la curiosité»

Elle voulait devenir astrophysicienne à 10 ans, Yaël Nazé est aujourd’hui experte en étoiles massives. Elle voulait démystifier le domaine, elle écrit désormais des ouvrages et participe à des conférences de vulgarisation et de découverte des femmes astronomes.

Ce n’est pas le sujet de l’exposé. Mais la première diapositive du PowerPoint de l’astrophysicienne britannique Jocelyn Bell tape dans l’œil de Yaël Nazé. Il y a de quoi: Stars, la lithographie réalisée en 1938 par le peintre russe Vassily Kandinsky, a tout d’un corps céleste. Aussi coloré que fuyant. Aussi absorbant qu’énigmatique. Ce jour d’août 2012, au cœur de l’assemblée générale de l’Union astronomique internationale à Pékin, la Belge a un flash. «Je me suis rendu compte qu’il était temps que je m’y mette, rembobine-t-elle, plus d’une décennie après les faits. A mon retour, j’ai tout de suite entamé l’écriture d’un livre sur l’art et l’astronomie.» Sorti trois ans plus tard, Art & astronomie. Impressions célestes (Omnisciences, 2015) revisite l’histoire de l’art dans son rapport au ciel. Plus récemment, la chercheuse a créé une nouvelle liaison à première vue surprenante en donnant une conférence sur la musique et l’astronomie, accompagnée par sa fille de 12 ans au violon. «Pour les Grecs de l’ Antiquité, il existait sept planètes. Au moment de créer la gamme, ils ont donc choisi sept notes. La musique céleste viendrait ainsi des sons parfaits issus du mouvement des planètes.» Le lien entre musique et astres est organique. Certains compositeurs ont utilisé, par exemple, des données liées aux étoiles pour créer leur œuvre. Puis il y a toutes ces compositions des Rolling Stones, David Bowie ou encore Björk qui s’inspirent de concepts, objets ou explorateurs des cieux. «Le point commun entre la science et la culture, c’est la curiosité. C’est le fait de s’intéresser au monde, aux autres, à ce qui n’ est pas soi. Et de continuer à le faire.»

Philo, photo, actu… l’astrophysicienne boraine possède ce don d’ouvrir des portes accessibles et variées vers la science. Une façon de partager sa passion, de susciter de futures vocations et, de manière plus pragmatique, de montrer comment l’argent public peut être utilisé. «Beaucoup ont peur des sciences. L’astronomie est, selon moi, un bon moyen de briser la glace. Parce qu’elle englobe toutes les grandes questions – d’où vient-on?, vers où va-t-on?, est-on seul? – et parce que c’est une science dont on peut tirerdes exemples intéressants partout, chez les Aborigènes comme chez les Mayas ou dans certains coins d’ Afrique. L’ astronomie est globale, globalisée et tout le monde peut en faire, quel que soit le lieu sur Terre ou le genre.»

Vulgariser à tout prix

Yaël Nazé pratique la vulgarisation scientifique. Depuis une vingtaine d’années, elle donne des conférences un peu partout dans le monde et a écrit une douzaine de livres, régulièrement salués par la critique: Les Couleurs de l’univers (Belin, 2005), L’Astronomie des anciens (Belin, 2009), Cahier de (g)astronomie. La Cuisine du cosmos (Réjouisciences, 2012). «Il y a un gros boulot de préparation pour connaître à chaque fois le sujet. Le but est de simplifier sans être simpliste. En évitant le jargon trop technique, mais en utilisant des analogies correctes ou des références à la culture populaire. Il faut que l’ on puisse se raccrocher à ce qui est dit.»

La native de Baudour a pris l’habitude d’écrire pendant son adolescence. Principalement des textes de physique et d’astronomie restés dans des tiroirs, mais qui se sont révélés aussi instructifs que les réactions abasourdies de ses interlocuteurs lorsqu’une information n’est pas suffisamment bien vulgarisée. «Il existe des dispositifs de simplification très concrets comme des bricolages avec les enfants ou des escape games avec des plus grands. Il ne faut pas croire que l’on doit à chaque fois réinventer l’eau chaude. L’idée est de discuter, de s’ouvrir, de s’amuser…» C’est peut-être justement ce qui gêne certains acteurs du monde académique. Parce que si Yaël Nazé recevra des récompenses comme le Prix du livre d’astronomie ou le prestigieux prix Jean-Perrin, elle fera aussi face à un véritable boycott de plusieurs collègues de son propre étage à la sortie de son premier ouvrage, en 2005. De quoi lui rappeler aussi ce jour où elle s’est fait taper sur les doigts pour avoir donné une interview que tous ses collaborateurs avaient auparavant refusée. «On se rend de plus en plus compte de l’importance de communiquer la science, mais certains considèrent la vulgarisation comme une façon de se mettre en avant, ce qui n’est pas du tout le cas.» Il arrive d’ailleurs à l’actuelle citoyenne de Seraing de disparaître de la scène lors de ses conférences. Quand la bonne vision de son PowerPoint sur l’écran nécessite l’extinction des spots ou quand le câble pour relier l’ordinateur au projecteur est trop court et qu’elle doit s’installer au fond de la salle. «Je raconte une histoire que j’illustre, ma voix sert de guide. Ce qui est important, ce sont les belles images et le contenu, pas moi!»

© Anthony Dehez

Dans un ouvrage de 2006 intitulé L’Astronomie au féminin (CNRS Editions), la quadragénaire a tenu à mettre en évidence le parcours de plusieurs femmes. «Au début des années 2000, je pensais plutôt bien connaître l’histoire de ma discipline, mais je suis tombée sur une liste de filles astronomes dont je ne connaissais pas la moitié. J’ai commencé à me renseigner. Lorsque j’ai rassemblé toutes mes notes, j’avais suffisamment de matière pour un livre.» Jusqu’ici plutôt épargnée par les remarques sexistes, Yaël a en revanche souvent entendu des histoires de femmes ayant dû se battre bec et ongles pour convaincre leur famille de les laisser étudier la physique à l’université ou pour se faire une place dans le milieu. «Ce livre était aussi l’occasion de montrer tout ce qui a été fait par ces femmes. C’est en soulignant ces exemples – et on a de la chance parce que les premières femmes astronomes remontent à l’ Antiquité – que l’on fera définitivement admettre à tous leur place naturelle.» Quoi qu’il en soit, le sujet plaît: une nouvelle version du livre vient d’être éditée en format de poche et on invite toujours la scientifique pour des causeries dans des cercles pas forcément dévoués aux sciences.

Les étoiles mystérieuses

De son bureau posé au deuxième étage du bâtiment 5C du Sart Tilman, Yaël Nazé travaille également comme chercheuse au Centre spatial de Liège de l’ULiège. Un destin forgé au tournant du millénaire, au détour d’un couloir, quand elle fait la rencontre du professeur Jean-Marie Vreux, originaire de son village de Warquignies, neuf cents âmes. «Plus tard, on sera jusqu’à sept chercheurs originaires du Borinage à travailler en même temps à l’Institut d’astrophysique et au Centre spatial de Liège. Par rapport à la petite taille de la région, c’est quand même frappant. C’est peut-être un réflexe lié à notre histoire globale: après avoir regardé en bas dans les mines pendant des années, on a voulu lever les yeux au ciel.»

La Hainuyère commence quant à elle à tracer sa voie dès ses 10 ans, âge auquel elle prend la décision de devenir astronome parce qu’ elle a «l’impression que c’est un moment où il faut se décider sur son futur. Il n’y a pas eu de déclic, c’est une accumulation d’éléments comme mon intérêt pour la météo, les bouquins sur l’astro et les missions spatiales qui m’ont convaincue.» Logiquement peu accoutumée aux séances de maths et de sciences fortes, la très jeune adolescente se forme alors à sa façon en se plongeant dans les romans de science-fiction d’ Arthur Clarke et Isaac Asimov ou de fantastique du Belge Jean Ray. Ses parents donnent aussi de leur personne en enchaînant les détours lors des vacances pour transiter par l’Observatoire de Haute-Provence ou le radiotélescope de Nançay. Après des études d’ingénieure en électricité à la faculté polytechnique de Mons, Yaël débarque au Centre Spatial de Liège puis, par l’entremise de Jean-Marie Vreux, se lance dans l’étude des étoiles massives.

Une vingtaine d’années plus tard, elle utilise toujours le même télescope spatial pour observer ces astres dix mille à dix millions de fois plus lumineux que le soleil, sources d’énergie mécanique, de lumière ionisante et d’éléments chimiques. «On travaillera une fois sur l’interaction binaire, une autre fois sur l’origine de l’émission d’une étoile… Certains pensent encore que l’astronome est ce vieux gars qui reste l’œil collé à la lunette, mais ça fait des années que ce n’est plus ça. C’est tellement varié qu’il n’y a pas de journée type et pas de routine non plus.»

Heureuse d’exercer une activité observationnelle et non théorique – «je préfère voir des trucs concrets face à moi plutôt que de réfléchir devant des équations» – l’astrophysicienne a conscience que les étoiles massives restent médiatiquement moins sexy que des thématiques comme les confins de l’univers ou les exoplanètes. «Elles font pourtant partie de notre culture et posent énormément de questions. L’ étoile Gamma Cas de la constellation Cassiopée, par exemple, est visible en Europe depuis la préhistoire… mais on ne sait toujours pas d’où vient son émission à très, très haute énergie, soit cent millions de degrés.» Tant mieux, voilà encore quelque chose de nouveau à découvrir. Puis à vulgariser.

Son plus gros risque

«Opter pour l’astronomie à 10 ans, un âge où je ne connaissais pas mes capacités réelles. J’aurais pu ne pas y arriver.»

Son mantra

«Rester curieux.»

Sa plus grosse claque

«Sentir que l’opposition à la vulgarisation venait de collègues plutôt que du public qui ne s’intéresse pas à la science.»

Dates clés

1986 «Je suis avec attention les infos liées au passage de la comète de Halley près du soleil.»

1997 «J’ai 21 ans, je donne ma première conférence et je publie mes premiers articles.»

1999 «Lancement du télescope XMM-Newton, soit l’aboutissement de mon mémoire et le début de mon doctorat. Il fonctionne toujours!»

2005 «Sortie de mon premier livre, Les Couleurs de l’univers.»

2009 «Je deviens officiellement chercheuse qualifiée au Fonds de la recherche scientifique (FNRS).»

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