Le carrefour Léonard, centre névralgique du trafic autoroutier belge. © BELGA/BELPRESS

«Nationalisme routier», «mépris total»: comment le carrefour Léonard est devenu le symbole de la cacophonie institutionnelle belge

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La nouvelle phase des travaux au carrefour Léonard engendre une pagaille monstre, tant sur les routes que dans les sphères politiques. Bruxelles et la Wallonie reprochent à la Flandre son obstination et son absence totale de coordination.

Le kilomètre carré de la discorde. D’ordinaire, le carrefour Léonard – point de rencontre entre le ring extérieur de Bruxelles et l’autoroute E411 – s’apparente déjà à un véritable calvaire pour les automobilistes. Alors que des travaux plongent les navetteurs dans un désarroi encore plus profond, l’annonce de nouvelles complications dès la mi-avril a été jusqu’à déclencher une crise institutionnelle majeure. La Région bruxelloise, la Wallonie et les communes avoisinantes montent au créneau et réclament la suspension du chantier, dont la Flandre est responsable.

Coup d’oeil dans le rétro. En avril 2023, la Flandre entreprend une grande opération de rénovation du tunnel Léonard. Durant onze mois, les interventions s’opèrent essentiellement la nuit, sans trop de perturbations. En mars 2024, le chantier entre dans sa seconde phase, avec une réduction du nombre de voies de circulation depuis Zaventem vers la E411. Des kilomètres de file se forment aux heures de pointe, et impactent particulièrement les travailleurs wallons sur la route du retour. Ces embarras se répercutent également dans les communes d’Auderghem et de Woluwe-Saint-Pierre, qui voient des tas d’automobilistes déviés dans leurs rues résidentielles. Bref, le chaos est déjà de taille. Mais la pagaille devrait être totale dès le 16 avril: à la surprise générale, les autorités flamandes ont en effet récemment annoncé des problèmes dans l’exécution des travaux, qui entraîneront la fermeture du «tourne-à-droite» vers Waterloo depuis Hermann-Debroux jusque fin octobre, et dans le sens inverse dès le mois de juin.

Une mise en demeure

A Auderghem, la pilule a du mal à passer. «On va vers une situation de blocage dantesque et une nuisance insupportable pour les quartiers riverains», s’offusquent la bourgmestre, Sophie de Vos, et l’échevin de la Mobilité, Matthieu Pillois (DéFI). Le 8 avril déjà, la commune demandait la suspension temporaire des travaux afin d’élaborer un plan de mobilité adapté et des mesures d’accompagnement. Face à l’absence de coopération de l’Agence flamande des Routes et de la Circulation, la commune a décidé, vendredi, de mettre la Flandre en demeure. Sophie de Vos n’exclut pas d’intenter une action en justice.

De son côté, le bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre, Benoît Cerexhe (Les Engagés), dénonce un «mépris total». «La Flandre considère qu’elle est chez elle et agit sans le moindre respect pour la Région bruxelloise et ses communes, tonne le maïeur. Si les Bruxellois faisaient la même chose aux entrées de la Région flamande, imaginez le tollé que ça provoquerait!». Benoît Cerexhe regrette le manque de professionnalisme et d’anticipation de la Flandre. «Environ 100.000 voitures passent quotidiennement au carrefour Léonard, mais aucun aménagement n’a été prévu, aucune évaluation des flux de circulation ni aucune concertation avec les communes. On voudrait se moquer de nous qu’on ne ferait pas pire.»

«Un énorme amateurisme»

A Watermael-Boitsfort, jusqu’ici peu impactée par les perturbations, l’inquiétude grandit. La chaussée de la Hulpe risque de se retrouver fort congestionnée à partir de mardi, sans qu’aucune alternative (déviation, offre de transports en commun) n’ait été mise en place, regrette le bourgmestre Olivier Deleuze (Ecolo). «La Flandre fait preuve d’un énorme amateurisme dans ce chantier. Je n’ai jamais vu ça», peste l’écologiste.

«On voudrait se moquer de nous qu’on ne ferait pas pire»

Benoît Cerexhe, bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre.

Face aux inquiétudes des pouvoirs locaux, la ministre bruxelloise de la Mobilité Elke Van den Brandt (Ecolo) réclame une pause des travaux le temps d’établir «des mesures d’accompagnement dignes de ce nom». «La Flandre est tenue par un accord de coopération avec les deux autres régions concernant le réseau routier, datant de 1991, qui prévoit des concertations pour les voiries limitrophes», rappelle la ministre, qui a également initié une réunion avec l’Agence flamande des Routes et de la Circulation, ce vendredi à 15h, rassemblant Bruxelles Mobilité, Mobiris et les communes d’Auderghem, Woluwe-Saint-Lambert, Woluwe-Saint-Pierre et Watermael-Boitsfort.

Côté wallon, le ministre de la Mobilité Philippe Henry (Ecolo), critiqué pour sa «passivité» dans le dossier, a finalement appelé jeudi à une suspension des travaux et à la tenue d’une Commission Interministérielle (CIM) avec son homologue flamande, Lydia Peeters (Open VLD). Une demande jusqu’ici restée sans suite, la ministre flamande étant visiblement en vacances.

«Il a fallu hurler»

Pour le député wallon Olivier Maroy (MR), qui a interpellé Philippe Henry en séance plénière mercredi, le ministre réagit toutefois trop tard. «Il a fallu hurler pour qu’il se bouge, résume-t-il. Pendant des semaines, il est resté au balcon, muet, comme si la situation n’impactait pas ses concitoyens. Il est grand temps qu’il fasse entendre la voix des automobilistes wallons, qui sont les grands oubliés dans ce dossier. Et qui, contrairement à la vision romantique d’Ecolo, n’ont pas tous la possibilité d’utiliser des offres de transport alternatives. »

Enfin, pour le président de DéFI François De Smet, la Flandre a inventé le «nationalisme routier», dont les Bruxellois et les Wallons sont les «premières victimes». Il appelle à davantage de coopération interrégionale sur ce genre de chantiers. «La sixième réforme de l’Etat avait pourtant mis sur pied la communauté métropolitaine de Bruxelles – un organisme de concertation sur des matières telles que la mobilité – mais force est de constater que cette concertation est nulle», fulmine-t-il.

Jusqu’ici, la Flandre reste inflexible sur la poursuite des travaux, qui ont nécessité un investissement colossal de 28 millions d’euros. L’Agence flamande des Routes et la Circulation s’excuse toutefois pour les perturbations, occasionnées par la tournure «imprévue» des événements et la découverte de dégâts importants de stabilité dans le tunnel Léonard.

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