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Comment Pékin a réduit les particules fines au nord de la Chine en quatre ans

Leen Vervaeke Journaliste Knack

Le gouvernement chinois mène son Plan national de lutte contre la pollution de l’air de manière impitoyable : les centrales de charbon et les petites entreprises polluantes ferment en masse, les maisons sont connectées au réseau de gaz. La politique ambitieuse paie, mais n’est pas sans répercussions. Reportage à Baoding, où les écoliers souffrent d’engelures.

Air-pocalypse

Quatre ans après la déclaration de guerre de l’État chinois à la pollution, de plus en plus de chiffres indiquent que la république est en train de remporter cette guerre. En 2017, la concentration de particules nocives PM2.5 (particules fines) a baissé de 32% par rapport à il y a quatre ans. À Boading, même de 38%.

« Les progrès réalisés par la Chine entre 2013 et 2017 sont remarquables », déclare Lauri Myllyvirta, spécialiste de l’énergie du mouvement pour l’environnement Greenpeace à Pékin. « Je ne connais aucun autre pays qui a réduit la pollution en aussi peu de temps. On peut évidemment formuler des réserves, mais globalement c’est un succès. »

L’hiver dernier, la qualité de l’air chinois a fait un bond énorme, et notamment dans la région autour de Baoding. Au lieu de l' »air-pocalypse » qui descendait sur la ville chaque hiver, pour la première fois depuis longtemps, les habitants ont revu le ciel bleu et les nuages blancs. Ils avaient du mal à y croire, et beaucoup demeuraient sceptiques : la qualité de l’air s’est-elle vraiment améliorée, ou est-ce une aubaine temporaire ?

C’est en 2013 que tout a basculé. La pollution culminait dans toute la Chine, les protestations contre le smog s’intensifiaient, et l’état se rendait compte que ce n’était plus possible. Le pays a lancé son Plan national de lutte contre la pollution de l’air, assorti d’objectifs ambitieux. Après des décennies de croissance économique aux dépens de l’environnement, les priorités seraient adaptées, expliquait la Chine. « Les montagnes vertes et le ciel bleu sont aussi importants que les montagnes d’or et d’argent. »

2017 a été l’année clé du Plan national de lutte contre la pollution. D’ici là, la Chine devait maîtriser sa production d’acier, fermer ses centrales de charbon, ou les rendre plus écologiques, et remplacer le charbon par de l’énergie solaire et éolienne. Les villes devaient limiter le nombre de voitures sur leurs routes, et les régions industrielles devaient baisser leur taux en particules fines. Tout était chiffré : dans la région autour de Pékin, la concertation PM2.5 devait diminuer d’un quart.

Dans un premier temps, les objectifs ambitieux ont été accueillis sceptiquement, mais la Chine était sérieuse. Le pays a investi des milliards d’euros en énergie solaire et éolienne, et est devenu leader mondial en peu de temps. Elle a supprimé la construction de centaines de centrales de charbon et a durci les normes d’émission des centrales existantes. Elle a imposé des zones d’émission faible et des limitations du nombre de voitures sur base de la plaque minéralogique. Dans de nombreuses régions, les objectifs ont été atteints en 2016 et même en 2015.

Mais au nord, comme dans la province Hebei, les journées de smog étouffantes persistaient. L’économie y vit d’acier et de charbon, ce qui complique l’imposition de normes environnementales. Les gouvernements locaux fermaient parfois les yeux : les usines contraintes de cesser leurs activités continuaient en cachette la nuit. Depuis 2016 les émissions de l’industrie ont même augmenté.

Le remplacement du chauffage au charbon s’est également fait attendre, et l’hiver Hebei était enveloppé de brumes noires. Pire : cet air sale soufflait généralement vers Pékin, où les médias internationaux et les diplomates rapportaient les multiples états d’alerte pour le smog. C’était inimaginable, pour le dirigeant autoproclamé dans la lutte mondiale contre le changement climatique.

Lorsque début 2017, il s’est avéré qu’Hebei, et Pékin par la même l’occasion, auraient du mal à atteindre les objectifs du Plan national, les autorités chinoises sont intervenues. Elles ont fait savoir que les politiciens locaux et les fonctionnaires seraient tenus personnellement responsables de l’échec. Et elles ont imposé un plan d’hiver drastique à la région dont Baoding : en un hiver à peine, la pollution devait plonger sous la norme établie en 2013, qu’ils le veuillent ou non.

Baoding a même été décrété « zone exempte de charbon ». En quelques mois, les dernières vieilles centrales de charbon ont été arrêtées, et 660 000 ménages se sont vu retirer leurs poêles à charbon pour les remplacer par des conduites de gaz. Dans les villages autour de Baoding et toutes les maisons possèdent un compteur à gaz jaune flambant neuf. « C’est un soulagement », dit Wang Ming, épicière au village de Beiqicun. « Même si le gaz est plus cher que le charbon, il en vaut la peine. »

Les chantiers dans la ville ont été arrêtés pendant des mois, et les nombreuses usines de ciment ont dû réduire leur production de moitié. Et cette fois, elles n’ont pas été contrôlées par les inspecteurs locaux, mais nationaux. Lors de leur premier tour d’inspection, ils ont constaté des infractions auprès de 70% des entreprises. « Aujourd’hui, ils contrôlent beaucoup plus avant de donner leur feu vert », déclare Hua, manager de l’usine de ciment Jiuhe. « Beaucoup de petites entreprises, qui n’ont pas eu de licences, sont définitivement fermées. »

Glacial

Le résultat vaut la peine: l’hiver dernier, la concentration PM2.5 à Baoding a diminué de 49% par rapport à l’hiver de 2013. À Pékin, grâce aussi à l’aide du vent du nord persistant, elle a même baissé de 58%. Avec une concentration de 84 microgrammes PM2.5 par mètre cube, l’air à Baoding est encore très loin des normes européennes (25 microgrammes), mais une réduction de moitié en quatre ans est unique.

Michael Greenstone, directeur de l’Energy Policy Institute de l’Université de Chicago, a calculé que grâce à la qualité de l’air améliorée les Chinois ont rallongé leur espérance de vie de 2,4 années en moyenne entre 2013 et 2017, et les habitants de Baoding même de 4,5 années.

C’est un rythme que seul un régime autoritaire peut atteindre, qui ne doit pas tenir compte de groupes d’intérêt et de procédures de codécision, une aisance que les gouvernements occidentaux envient parfois. Mais il y a aussi un revers à un rythme aussi effréné. À Baoding, par exemple, des milliers d’habitants avaient déjà perdu leur chauffage au charbon, mais n’étaient pas encore connectés au réseau de gaz, quand les températures ont plongé sous les zéro degré.

Sur les réseaux sociaux, plein de gens se plaignaient de leur maison devenue glaciale. Dans un coin perdu de Baoding, onze écoles se sont retrouvées sans chauffage, et certains enfants ont même souffert d’engelures. Les autorités locales ont été clairement excessives dans leur tentative d’atteindre les normes nationales.

Quel que soit le tribut humain, les experts pensent que la leçon a été utile. La suppression du chauffage à charbon se poursuit, et d’ici 2021, elle doit couvrir tout le nord de la Chine. « Après les problèmes de cet hiver, toutes les autorités réaliseront qu’elles doivent mieux se préparer », déclare Lauri Myllyvirta de Greenpeace. « On misera moins sur le gaz uniquement, et on créera plus de diversité dans les remplaçants du charbon, tels que la biomasse ou les pompes à chaleur. »

Déplacer le problème

La question cruciale, c’est si la Chine persistera dans sa lutte contre la pollution. Le pays a tendance à mener des campagnes dures pour atteindre ses objectifs, mais ensuite à assouplir sa politique. Alors que cet hiver le nord a fourni un effort supplémentaire, le rythme a baissé dans les autres régions. Ils ont essayé de stimuler l’économie cahotante à coup de projets d’infrastructure, avec une hausse de production de ciment et d’acier et donc de pollution. Leurs objectifs étaient de toute façon atteints.

La politique chinoise traverse une période de transit: lors du congrès populaire du mois dernier, elle a présenté un nouveau ministère renforcé de l’Écologie et de l’Environnement, qui prépare un nouveau Plan d’action. « Idéalement, ils imposent de nouveaux objectifs ambitieux, cette fois pour 2020, et ils instaurent des inspections nationales dans toute la Chine », explique Myllyvirta. « Les attentes sont tendues. »

« Au cours d’une prochaine étape, nous allons devoir miser sur des mécanismes plus durables », déclare Ma Jun, fondateur du think tank de l’Institute of Public and Environmental Affairs (IPE) à Pékin. « Je pense que nous devons surtout instaurer davantage de transparence, et exposer davantage les entreprises à la surveillance du grand public. Avec l’IPE, nous travaillons à une appli qui permet aux citoyens de suivre les émissions des entreprises en temps réel. »

La Chine et la transparence: ce n’est pas une association habituelle. Pourtant Ma Jun estime qu’il y a de l’espoir. À Baoding, on a construit neuf cents stations de mesure supplémentaires ces dernières années, dont les résultats sont publics. Environ cinq mille entreprises chinoises mettent leurs données d’émission en temps réel en ligne. « Les progrès de ces cinq dernières années m’inspirent confiance », dit-il. « Nous n’y sommes pas encore, le smog va revenir. Mais suite aux résultats de l’hiver dernier, les gens aspirent plus que jamais à un ciel bleu. »

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