Nicolas De Decker

La certaine idée de Nicolas De Decker | Pourquoi ils se bagarrent sur l’abattage rituel et le décret paysage

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Les bagarres sur l’abattage rituel et le décret paysage empêchent de tirer le bilan des gouvernements concernés. Et surtout d’affronter les vraies questions que posent ces dossiers

Quand il n’a pas d’idée et qu’il veut parler d’un match de foot, le commentateur sportif manie souvent le lieu commun et dit, par exemple, «à ce niveau-là, ça se joue sur les détails». Il est plutôt certain de ne jamais se tromper puisque, dans l’arborescence d’une phase décisive se trouvera toujours un incident infinitésimal, comme une passe inattendue ou une gaffe disruptive. Mais cette réduction clichée à un instantané est généralement aussi confortable que trompeuse, car en ne montrant qu’un détail elle cache ce qui se joue vraiment. La focalisation sur la partie empêche de comprendre le tout, comment la victoire s’est construite, comment la défaite s’est préparée, ou comment la supériorité du vainqueur consacre ou pas l’infériorité du vaincu.

Les commentateurs sportifs, alors, n’expliquent rien. Il décrivent le grain de sable plutôt que d’analyser la mécanique.

Ainsi se décideraient donc les matchs de ce niveau, qu’ils disent.

Ce lieu commun footballistique étend sa jurisprudence à la politique de ce niveau, surtout aux campagnes électorales, pendant lesquelles, fort souvent, la différence se fait sur un détail, et où un grain de sable galvanise les oppositions et tétanise les majorités.

Ces jours-ci, deux coalitions de Belgique francophone sont tombées, vraiment tombées, sur un de ces grains de sable. Le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et l’exécutif de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne sont pas les mécaniques les plus abouties de notre machinerie fédérale, ils n’avaient presque plus rien à faire d’ici au 9 juin prochain, ils tiendront encore pour la forme jusqu’aux élections. Mais dans les faits, c’est comme s’ils étaient tombés, dans les deux cas, sur des sujets qui énervent et qui interdisent la compréhension des phénomènes dont ils procèdent, sur des grains de sable qui empêchent d’examiner la mécanique.

Ces sujets énervants ne sont pas d’aussi anodins détails qu’une transversale éclairante ou un contrôle manqué, bien sûr.

L’abattage rituel n’est pas un détail pour les animaux et les abatteurs concernés.

Les conditions de réussite établies par le décret paysage ne sont pas un détail pour les étudiants et les professeurs concernés.

Le problème, c’est ceux qui ne parlent jamais de bien-être animal que lorsque les Juifs et les musulmans sont concernés, pour les défendre ou pour les attaquer, comme ceux qui réduisent la lutte contre les inégalités dans l’enseignement supérieur aux notes de fin d’année des étudiants concernés, pour les défendre ou pour les attaquer. Eux se focalisent sur la partie d’une question – l’étourdissement pour les uns, les crédits non validés pour les autres – qui les arrange. Ils en négligent le tout qui les dérange.

C’est ainsi que tout le code du bien-être animal se retrouve bloqué à Bruxelles, et que jamais autant d’étudiants n’ont dû travailler ou se faire aider par le CPAS pour payer leurs études et puis pour les terminer en Fédération Wallonie-Bruxelles, et ainsi que, pendant qu’ils se bagarrent sur un amendement au code du bien-être animal ou sur un bout de décret paysage, ils évitent que les grandes problématiques soient correctement affrontées.

Ils participent, avec leurs attitudes de commentateur sans idées, à la footballisation de la politique, vue comme un spectacle sportif, avec ses vainqueurs et ses vaincus. Mais contrairement aux mauvais pundits, eux, ils ne font pas que décrire par paresse un détail qui fait la différence ou un grain de sable qui a bloqué une drôle de mécanique. Eux, ils les produisent par intérêt.

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