La marque Belgique cartonne

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

L’engouement des supporters des Diables rouges est immense, l’attrait économique de l’équipe important. Derrière ce succès, après une longue traversée du désert, des joueurs de talent. Et un homme, qui joue pleinement la carte belge en cette période de troubles nationaux.

L’agenda de Benjamin Goeders déborde. Le moment de vérité est venu pour les Diables rouges, et le sponsorship manager ne chôme pas, tant notre équipe nationale de football est devenue une attraction planétaire. Tout le monde se l’arrache. On la cite parmi les grands outsiders du prochain Mondial. On voit en elle le symbole d’un renouveau de l’identité belge.  » Les attentes du public sont énormes, acquiesce-t-il. C’est six sur six contre la Macédoine (ces vendredi 22 et mercredi 26) et plus personne ne touche plus le sol en Belgique. Certains se disent même qu’une qualification pour le Brésil permettrait de sauver le pays dans la perspective des élections de 2014. Il ne faut évidemment pas lier les deux.  » Il n’empêche : les Kompany, Hazard, Vermaelen, Vertonghen, Benteke et autres Dembele, stars en Grande-Bretagne, sont devenus des symboles de réussite, tant en Flandre qu’en Wallonie ou à Bruxelles.

Ce trentenaire dynamique, par ailleurs engagé en politique avec la liste du bourgmestre Hervé Doyen (tendance CDH) à Jette, où il est président du Foyer local, insiste :  » Les Diables rouges, c’est bien sûr quelque chose d’émotionnel, qui provoque plein de choses auprès du grand public. Mais c’est avant tout un produit. Notre mission, c’est de le rendre le plus attrayant possible en télévision, de le rapprocher le plus possible des gens. Il faut qu’à chaque instant de la vie de consommation du grand public, on puisse dire que les Diables rouges sont présents.  »

Et aujourd’hui, cela fonctionne. Chiffres à l’appui. Tous les matchs de l’équipe nationale au stade roi Baudouin se jouent à guichets fermés.  » Les listes d’attente sont impressionnantes, ajoute Benjamin Goeders. Nous pourrions remplir sans problème le Stade de France (NDLR : capacité de plus de 81 000 places) s’il y en avait un en Belgique.  » Commercialement, c’est l’euphorie.  » Nous ne travaillons pas pour 2014 mais pour 2016, notre objectif prioritaire étant l’Euro en France, voire 2018. Nous avons dix sponsors de premier plan et nous refusons les demandes. En cumulé, si on compte les droits télé, notre budget dépasse les 10 millions d’euros annuels. Quand je pense que j’ai connu les périodes où si on faisait 2,5 millions, on faisait la fête…  »

ACTE I : la honte

C’était en 2007. On était loin de la fièvre actuelle autour des Diables rouges. A l’époque, Benjamin Goeders gravite autour de l’Union belge via son travail au sein des clubs de La Louvière et du Brussels. Les résultats ne sont pas là, les Diables ne parviennent plus à se qualifier pour un grand tournoi, le public ne les suit plus…  » Tout a démarré quand, à l’époque, le secrétaire général de l’Union belge, Jean-Paul Houben, m’a dit : « Ecoute Benjamin, on touche le fond au niveau marketing, positionnement, tout. On voudrait repositionner les Diables. Es-tu prêt à essayer ? » L’enjeu n’était pas mince mais j’ai accepté. J’y croyais.  »

La volonté de revaloriser l’image des Diables n’est pas le fruit du hasard. Elle émane du plan stratégique rédigé par Roger Vanden Stock, président d’Anderlecht. Objectif ? Professionnaliser autant que possible des structures datant des années 1940-50.

Une cellule marketing et communication est enfin mise en place. L’Union belge doit pouvoir répondre de façon professionnelle le jour où les résultats suivent.  » Au moment où le produit s’enflamme de lui-même « , paraphrase Benjamin Goeders.

Les débuts sont loin des attentes.  » On a vraiment touché le fond du panier en septembre 2009 quand on perd 2-1 notre match de qualification pour le Mondial 2010, en Arménie. Là, franchement, je me suis retourné et je me suis demandé si je ne devais pas changer de boulot. Je n’avais pas encore 30 ans et je me disais qu’il était impossible de défendre le produit. J’étais présent avec des sponsors et je me suis rendu compte que j’allais encore devoir sortir la 352e excuse : c’est une équipe jeune, en formation… Intenable.  »

C’est la période de renégociation des contrats. Pénible. Un sponsor voitures, Kia, lâche l’équipe.  » Je vais alors rencontrer le patron d’une autre société automobile française. Après un quart d’heure, il me dit que « les Diables rouges, c’est de la merde », qu’il n’y a pas d’avenir. Je ne me suis jamais fait rabrouer de cette manière-là.  » La valse des entraîneurs et des mauvais résultats continue d’endommager l’image de l’équipe : René Vandereycken, Frankie Vercauteren, Dick Advocaat… trépassent.

Ce n’est peut-être pas qu’une coïncidence : 2007-2010, c’est aussi la période où la Belgique est en crise politique permanente. Pour la première fois, on remet ouvertement en question l’unité du pays. Après la fin du cartel qui l’alliait au CD&V, la N-VA se prépare à devenir la première formation politique flamande aux élections législatives de juin 2010.

Pourtant, un déclic a finalement lieu. En août 2008, le Liégeois Jean-François De Sart avait déjà réussi à souder la jeune génération pour finalement atterrir au pied du podium des Jeux olympiques de Pékin. Mais ce sont les transferts successifs de nos joueurs vers de grandes équipes étrangères qui vont définitivement ancrer l’image des Diables. Avec, au bout du compte, après une parenthèse assurée par Georges Leekens, l’arrivée de l’entraîneur Marc Wilmots et une succession de résultats positifs. En 2012, le momentum tant attendu arrive.

L’explosion commerciale est concomitante. En 2011, le responsable sponsoring reçoit un coup de téléphone de BMW.  » C’est l’entreprise numéro un pour le sponsoring sportif. Ils me demandent si les Diables sont libres. Nous étions alors sous contrat avec Audi. Mais ils insistent. Le football, me disent-il, est le seul sport qui marche autant dans les huit groupes sociaux qui scindent la population en matière de marketing. Et les Diables, c’est le seul produit qui unit les huit. Ils nous voulaient. Je leur ai dit que l’on pouvait parler. En me disant qu’il est loin le temps où notre bon constructeur français me dégageait en quinze minutes.  » Marché finalement conclu. Avec 12 véhicules à la clé pour le staff technique de l’Union belge.

ACTE II : la griffe

Le plus extraordinaire de l’histoire ? C’est en jouant très clairement sur l’unité nationale que l’équipe a redoré son image.  » Nous, on mise sur l’identité belge, un point c’est tout !, clame Benjamin Goeders. Et ça cartonne ! J’ai l’impression que plus la Belgique semble se diviser sur son identité, plus les Diables rouges remportent un succès colossal. Il y a une histoire d’amour que nous avons tous héritée de nos parents, de nos grands- parents, de nos arrières grands-parents par rapport à l’identité de notre équipe nationale. Le Belge a tout simplement besoin de se retrouver et cela se renforce de semaine en semaine. En venant voir un match des Diables, les gens comprennent qu’ils peuvent encore faire la fête ensemble. Parce qu’aujourd’hui, on ne se connaît plus que via les médias.  »

Le symbole parfait de cette identité en plein renouveau, c’est Vincent Kompany, le capitaine des Diables.  » Il est francophone, d’origine africaine, il a été à l’école en flamand, il parle allemand parce qu’il a joué à Hambourg, anglais parce qu’il est à Manchester City, il est d’une intelligence redoutable. Qui mieux que tout cela réuni en une seule personne peut représenter l’identité de la Belgique ? Tous ceux qui vivent à l’étranger se rendent bien compte que l’on connaît la Belgique et Bruxelles, mais pas la Wallonie ni la Flandre. Commencer à expliquer cela à l’étranger, c’est une perte de temps et d’énergie. Quand des gens comme Kompany te disent : « Il faut jouer l’étiquette belge, c’est cela qui marche », tu ne vas pas aller les contredire…  »

N’est-ce pas contradictoire avec le succès de la N-VA ? Francophone travaillant majoritairement avec des Flamands, le responsable sponsoring des Diables dément :  » Je suis convaincu qu’aujourd’hui, très peu de Belges veulent la fin du pays. On pense que les Flamands souhaitent le séparatisme en votant pour la N-VA. C’est totalement faux. Il y a simplement un parti politique qui surfe sur une vague et qui ose dire : « C’est fini d’être deux ans au chômage et de ne rien faire, en restant à la maison, sans qu’on te motive, alors que le monsieur qui travaille te paye tous les mois ». Les gens se disent que ce n’est pas un discours stupide. Les électeurs de la N-VA votent pour réclamer des changements, ils ne veulent plus une Belgique à deux vitesses. Les autres partis traditionnels, qu’est-ce qu’ils font ? Rien. Il suffit de voir la cote de popularité de Maggie De Block (NDLR : secrétaire d’Etat Open VLD à l’Asile, l’Immigration et l’Intégration sociale) qui explose dans les sondages. Elle ne s’est jamais présentée à aucune élection et elle est passée de totale inconnue à cinquième personnalité la plus populaire de Belgique. Tout simplement parce qu’elle a osé traiter des dossiers et poser la question de savoir si la Belgique devait accueillir tout le monde, juste par principe. Les gens sont contents qu’on ose enfin en parler.  »

Belge avant tout, donc. Y compris sur le plan des partenariats.  » Ce n’est pas pour rien que l’on a signé cette année un gros contrat pour développer le Chokotoff rouge. C’est un produit qui est né en Belgique, qui a été fabriqué à la gare du Midi. C’est l’identité belge ! Cette campagne cartonne ! A tel point que Kraft Food est venu nous dire : « Grâce aux Diables rouges, on a positionné notre produit en quelques semaines. Si on avait dû le faire d’une autre manière, cela nous aurait pris des mois et des mois ». Prenez aussi la Jupiler : c’est inconcevable aujourd’hui pour un supporter d’aller voir un match des Diables sans une jup’. Dès que l’on peut s’associer à du belge, on le fait.  »

Pour les matchs contre la Macédoine, l’Union belge va distribuer à chaque supporter un petit pot avec neuf Chokotoffs.  » Parce que dans notre mémoire d’enfant, Chokotoff, c’est le slogan « Un Chokotoff, dix minutes de plaisir, de quoi tout oublier ». Neuf Chokotoff pour nonante minutes de plaisir, la durée d’un match.  » Surtout, chaque personne recevra sur son siège une écharpe noire-jaune-rouge avec, au verso, les paroles de la Brabançonne dans les trois langues. Un fameux engagement quand on se souvient de la polémique suscitée en août 2012 par la connaissance plus qu’approximative qu’ont les joueurs de l’hymne national.

Et si, sportivement, les Diables revenaient bredouilles de leur double match contre la Macédoine ? Le soufflé ne retomberait-il pas ?  » Il faut canaliser le grand public parce que la particularité du Belge, c’est qu’il encense très vite. Il faut rappeler que l’on a une équipe solide mais que le chemin est encore long. Le coach, Marc Wilmots, le fait très bien dans sa communication. Nous misons sur le long terme. Et l’acquis, en ce qui nous concerne, n’est jamais sportif.  »

OLIVIER MOUTON

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