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Désert sonore

Une fois par mois, l’écrivaine sort de sa bibliothèque un livre qui éclaire notre époque.

D’épidémie galopante, il est question dans Le Hussard sur le toit, l’un des plus beaux romans de Jean Giono. Printemps 1832. Angelo, jeune colonel italien proche des carbonari, fuit son pays à la suite d’un duel et rencontre le choléra en Provence. Après nombre de péripéties, son confinement se passera sur les toits de Manosque, d’où il observera le lynchage d’un étranger accusé d’empoisonner les puits, l’agonie de gens de tous âges vomissant, se tordant, s’effondrant, l’enlèvement des corps par des hommes masqués, qui meurent à leur tour. Le tout dans un silence inquiétant ou, plutôt, dans le  » désert sonore  » provoqué par le bourdonnement obsédant des mouches nécrophages.

Giono, un chantre de la nature.
Giono, un chantre de la nature.© PHOTO NEWS

Le livre est long, fouillé, et ne contient pourtant guère d’autres péripéties que celles qui surgissent d’un temps où les seules actions consistent à fuir ou à porter secours. Quelques héros sur le chemin : un jeune médecin dévoué, qui succombera, une nonne active au chevet des moribonds et une jeune femme altière qu’Angelo parviendra à arracher à la maladie. La bravoure inconsciente semble passer à travers les mailles du filet de l’épidémie : personne n’aura tenté de sauver autant de victimes que ce trompe-la-mort d’Angelo. De sorte qu’il finira par rejoindre – tout est bien qui finit bien – l’Italie, alors préservée du virus, aujourd’hui coeur souffrant de la pandémie.

Le Hussard sur le toit, par Jean Giono, Gallimard, 1951, 397 p., rééditions en Folio.
Le Hussard sur le toit, par Jean Giono, Gallimard, 1951, 397 p., rééditions en Folio.

Le corona n’est pas le choléra. Même si, d’un côté comme de l’autre, l’absence de symptômes n’exclut pas la contagiosité, ceux du corona paraissent moins abominables que les atrocités que Giono nous décrit. Sans compter que, de nos jours, ce ne sont plus des chevaux que l’on vole pour fuir, mais des masques dont les personnes les plus fragiles se trouvent dès lors privées. Mais ce qui frappe, de tout temps, c’est la lâcheté des uns et le dévouement des autres. Et l’inégalité devant la maladie : Angelo, issu de l’aristocratie, a toujours une balle dans son pistolet et une pièce d’or dans sa poche, ce qui aide, évidemment. Cela dit, la différence majeure entre les deux épidémies semble être dans leurs conséquences visibles, audibles, olfactives. Notre monde aseptisé ne con- naît plus les nuages de mouches attachées aux cadavres et dont  » le bourdon continu établissait une sorte de désert sonore  » : évocation frappante que l’on pourrait croire sans équivalent de nos jours. Détrompons-nous : l’expression  » désert sonore  » est de plus en plus utilisée pour signaler la dégradation de notre environnement sonore par le ronronnement obsédant qui s’élève des routes et des autoroutes.

Sauf qu’au temps du corona, les bagnoles se font rares. Du jour au lendemain reviennent les chants d’oiseaux, le murmure des ruisseaux, le souffle du vent dans les arbres, bref tout ce que l’on trouve aussi à foison, superbement détaillé, dans le roman que Giono situe avant la révolution industrielle. L’intensité de la nature ne s’exprime jamais autant que lorsque les humains faiblissent. Une leçon intemporelle. Une consolation qui traverse les siècles.

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