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Comment Remco Evenepoel est devenu la star du mercato

Avant le départ d’une Vuelta dont il est le tenant du titre, Remco Evenepoel a mis les choses au point sur son avenir. Sans parvenir à étouffer les rumeurs.

C’est un coup de téléphone impulsif, mais réfléchi. Patrick Lefevere décroche. Le patron de l’équipe Quick-Step, alors reine du peloton, sait que Joxean Fernández Matxín n’est pas du genre à l’appeler pour rien. Quelques minutes plus tôt, le recruteur basque discutait avec Patrick Evenepoel, père du jeune Remco qui vient de dévorer la concurrence sur l’étape reine du Tour du Pays basque pour les juniors. Nous sommes en juillet 2017, et la première course de l’enfant de Schepdael ne date que de trois mois. Matxín tombe des nues quand il apprend que six mois plus tôt, Remco était encore footballeur. Dès la fin de la conversation, il appelle Lefevere: il a découvert un diamant brut.

Pourquoi Remco a-t-il autant tardé avant de se positionner officiellement sur son avenir?

Il ne faut que quelques jours pour qu’un rendez-vous soit fixé entre le boss de Deceuninck Quick-Step et les parents Evenepoel. Durant quatre heures, la Brasserie de la gare, à Berchem-Sainte-Agathe, est le théâtre d’une longue démonstration de Lefevere. Un plan par étapes pour le développement de Remco, résumé dans un e-mail qui suivra de peu cette conversation conclue par un accord verbal. L’année suivante, quand le phénomène ridiculise le peloton à chacune de ses apparitions sur le circuit des juniors, les rangs des courtisans se gonflent. On y trouve évidemment le Team Sky, surpuissante équipe britannique qui vient de remporter cinq des six dernières éditions du Tour de France. Les Anglais posent un contrat de cinq ans et un montant «vertigineux» sur la table, selon Patrick Evenepoel.

Lefevere n’hésite plus. Il retourne parler avec le père de Remco, manager de son fils. En plein Tour de France, la grande nouvelle tombe: Evenepoel passera professionnel chez Deceuninck Quick-Step en 2019 par la grâce d’un contrat de deux saisons, assorti d’une option pour deux années supplémentaires. Les Brabançons n’ont pas choisi l’argent, dit-on alors, préférant le discours d’un Lefevere qui a promis aux parents de prendre soin de Remco comme de son propre fils. Sportivement, l’objectif est néanmoins clair. Dès ses 19 ans, le Belge annonce qu’il veut «devenir l’un des meilleurs coureurs de tours de ma génération».

Le projet Remco Evenepoel, de 2020 à 2026

Les confirmations tombent dès la première saison. Une première classique, remportée au Pays basque, puis un titre de champion d’Europe contre-la-montre. Il ne faut même pas attendre l’automne pour voir Lefevere lever l’option de deux ans du contrat de Remco, et même l’allonger jusqu’à 2023. «Certains managers d’équipe, pas très collégiaux, ne doivent désormais plus essayer d’attirer Remco», prévient alors le patron du team belge. Dans le clan Evenepoel, Patrick a le sourire: «Le financier n’a joué aucun rôle et nous n’allons pas sonder le marché. Remco doit se sentir bien.» Son fils confirme: pour lui, Quick-Step est «comme une deuxième famille».

Très vite, pourtant, les convoitises et les débats reviennent. Au retour de sa convalescence, après une impressionnante chute lors du Tour de Lombardie 2020 et avant même son retour à la compétition lors du Tour d’Italie 2021, Remco voit l’équipe allemande Bora lui offrir un énorme contrat. Les parents Evenepoel ont les nerfs à vif, à tel point que Lefevere prend l’avion pour rejoindre Tenerife, où son protégé prépare son come-back avec un stage en altitude. Le diamant de Schepdael confirme alors qu’il veut rester chez Quick-Step: «Ce contrat de Bora est à la poubelle. Fais-moi une offre pour une plus longue période, et nous pourrons nous mettre à table.»

Les deux Patrick conviennent finalement d’un accord courant sur cinq ans, jusqu’à la fin de l’année 2026. Jamais auparavant, Lefevere n’avait conclu un si long contrat avec un coureur. Il n’a alors même pas de signature de Soudal, son nouveau sponsor principal, mais c’est une question de détails. Remco en est un. L’une des raisons majeures, en tout cas, de la volonté du sponsor de quitter l’équipe Lotto pour s’associer à l’équipe de Lefevere pour une période de six ans, jusqu’en 2027, avec l’objectif de remporter le Tour de France. Lefevere, qui réfléchissait à son avenir de CEO de l’équipe, est soulagé: «J’ai 66 ans, officiellement je suis déjà pensionné. Pour moi, c’était un plan à long terme ou rien.» Le coureur est tout aussi ravi: «Un vrai loup ne quitte pas sa meute», sourit Remco, en référence au surnom de son équipe, le «Wolfpack».

Jamais avant Remco Evenepoel, Patrick Lefevere n’avait signé un si long contrat avec un coureur.
Jamais avant Remco Evenepoel, Patrick Lefevere n’avait signé un si long contrat avec un coureur. © belgaimage

Une photo pour calmer Ineos

Son abandon lors du Giro suivant n’est qu’un léger contre-temps. En 2022, à 22 ans, le Brabançon gagne Liège-Bastogne-Liège, la Vuelta et les Championnats du monde. Même Patrick Lefevere ne s’attendait pas à un décollage si spectaculaire. Les bonus qu’il doit payer à Evenepoel dépassent le budget initialement prévu. Cela engendre quelques frictions avec Patrick Evenepoel, mais le patron de l’équipe promet de résoudre le problème avant l’échéance. Sur Instagram, il poste même une photo de lui au restaurant, en compagnie des Evenepoel père et fils.

Le cliché n’est évidemment pas anodin. Lefevere veut surtout assommer un concurrent bien précis: Ineos Grenadiers, successeur du Team Sky, est toujours intéressé par Remco. Dans la foulée du titre mondial du Belge, le manager britannique Dave Brailsford se permet même un petit message adressé à son confrère: «Si tu veux le vendre un jour, appelle-moi.»

Plusieurs médias le confirmeront: c’est bien plus qu’un flirt sans lendemain. Ineos est à la recherche d’un vainqueur potentiel du Tour de France, et a beaucoup de millions dans les poches pour le dénicher. Patrick Evenepoel concède à Velonews qu’il est depuis des années en contact direct avec Brailsford et son bras droit, Rod Ellingworth. Il ne nie pas qu’un deal avec les Britanniques est possible: «Ce n’est pas à moi de parler de ça, nous verrons bien.» La réponse de l’autre Patrick ne tarde pas: «0,0% de chances.» Au cœur des débats, Remco est évidemment invité à réagir sur le sujet, et prend plutôt le parti du patron: «Je n’ai jamais parlé d’un transfert. Pour l’instant, ça n’arrivera pas.»

Patrick contre Patrick, duel pour Remco Evenepoel

La rumeur revient encore dans la foulée du dernier Giro, que le Belge doit quitter avec le maillot rose sur les épaules en raison d’une infection au Covid. Elle naît de la bouche de Patrick Evenepoel, distributeur d’informations en off aux journalistes et agents de cyclistes auxquels il confie un mécontentement au pluriel: l’équipe n’aurait pas assez protégé Remco d’une infection potentielle durant le Giro, Soudal Quick-Step dispose d’une maîtrise scientifique trop limitée dans son encadrement, les moyens dont bénéficie Lefevere sont trop limités pour entourer son leader d’une équipe digne de ce nom et le contrat de son fils – qu’il a pourtant négocié lui-même deux ans plus tôt – ne reflète plus la valeur sportive et commerciale de Remco. Les droits à l’image d’Evenepoel sont, par exemple, la propriété de l’équipe, et le contrat ne comprend ni un pourcentage des montants touchés par l’équipe pour emmener son champion du monde au départ de certaines courses, ni des clauses pour augmenter son salaire de base, ni une clause de rachat. Les émoluments devraient certes augmenter en 2026, mais même des bonus très élevés ne suffiraient pas à tutoyer les montants offerts par Ineos, où l’on parle d’un salaire annuel de six à sept millions d’euros.

En plein Tour de France, les Britanniques de Cycling Weekly racontent, sur la base de «17 sources différentes», que Remco Evenepoel veut quitter Soudal Quick-Step et que son père a parlé avec différentes équipes. Ineos, bien sûr, mais aussi la riche Israël-Premier Tech. A la veille de la course en ligne des Mondiaux de Glasgow, Patrick Evenepoel confirme à la DH qu’il «a eu des contacts avec cinq équipes, dont trois se sont montrées très concrètes» et ne souhaite pas affirmer que son fils roulera encore pour l’équipe belge en 2024: «On va d’abord attendre de voir comment l’équipe évolue. Remco veut rester, mais pour pouvoir lutter contre Vingegaard et Pogacar, l’équipe ne doit pas faire un pas en avant, mais quatre ou cinq.»

Selon Remco, son père et son patron feraient mieux de se taire.
Selon Remco, son père et son patron feraient mieux de se taire. © belgaimage

Patrick Lefevere est furieux et brandit la menace d’un procès. Remco n’est pas beaucoup plus amusé: juste avant le départ de la course, il dit que son père et son patron feraient mieux de se taire. Une semaine plus tôt, il avait qualifié les rumeurs de «small bullshit» (petites conneries), sans pour autant déclarer clairement qu’il resterait chez Soudal Quick-Step.

«Normalement, oui, répond-il enfin, dans une interview accordée au podcast Lanterne Rouge. J’ai un contrat jusqu’à la fin 2026 et c’est quelque chose qui se respecte. Le cyclisme n’est pas le football, où on paie 200 millions pour attirer un joueur.» Malgré l’arrivée annoncée de Mikel Landa, grimpeur basque dont le palmarès affiche sept Top 10 de grands tours, le désormais champion du monde contre-la-montre pointe néanmoins d’importants points de travail, à tous les niveaux.

La fusion et le fabricant

Le feuilleton est-il enfin terminé? Provisoirement, c’est probable. Evenepoel donnerait un très gros coup à son image s’il venait à rompre son contrat cette année. Par contre, ses mots pourraient coller à une rumeur qui enfle dans le peloton ces derniers mois. Souvent bien informé, le journaliste Raymond Kerckhoffs a évoqué sur le site wielerflits.nl la possibilité d’une fusion entre Ineos Grenadiers, propriété du milliardaire britannique Jim Ratcliffe, et l’équipe Soudal Quick-Step possédée par Lefevere (20%) et le riche Tchèque Zdenek Bakala (80%). On parle même d’une reprise de l’équipe belge par la formation britannique.

Les managers des deux équipes ont beau avoir démenti, la rumeur ne s’atténue pas. Il faut dire qu’Ineos a laissé filer des grands noms comme Daniel Martínez, Pavel Sivakov ou Tao Geoghegan Hart, avant le départ probable de son joyau Carlos Rodríguez, et n’a surtout pas encore annoncé de transfert entrant ou prolongation de contrat en vue de 2024. Sur le marché des agents, on dit que tous les dossiers sont à l’arrêt. En attendant, il reste à l’équipe britannique quinze coureurs sous contrat pour la saison prochaine. Chez Soudal, ils sont vingt. Ensemble, cela fait donc 35, alors que les équipes du World Tour ne peuvent compter qu’un maximum de trente coureurs.

Un autre acteur joue un rôle important dans cette histoire. Specialized, le fabricant de cycles américain, est l’un des sponsors les plus importants de Soudal Quick-Step et a un deal personnel avec Remco Evenepoel, notamment comme partenaire de sa récente R.EV Brussels Cycling Academy. On dit que le florissant marché anglais aurait séduit les Américains, qui auraient ainsi jeté leur dévolu sur le Team Ineos. L’équipe britannique a néanmoins un contrat jusqu’à la fin de l’année 2024 avec le fabricant italien Pinarello, racheté en juin dernier par le milliardaire sud-africain Ivan Glasenberg. Sans accord de la part de Pinarello, il n’y aurait donc aucune ouverture possible pour Specialized. Et sans Specialized, une fusion ou un transfert de Remco vers Ineos est invraisemblable.

Il faut néanmoins constater que malgré toutes les déclarations de son père, à micro ouvert ou en off, Remco Evenepoel a attendu le milieu du mois d’août pour annoncer clairement la prolongation de son séjour chez Soudal Quick-Step. Parce qu’un transfert vers Ineos ou une fusion est finalement impossible pour cette année? Parce que Lefevere a finalement donné des garanties sportives ou financières supplémentaires? Ou simplement parce qu’Ineos souhaite éviter une bataille juridique autour du contrat d’Evenepoel?

Selon Frank Hendrickx, professeur en droit du sport à la KU Leuven, Remco pourrait encore utiliser la loi de 1978 pour casser son contrat s’il payait un dédommagement équivalent à 36 mois de salaire. «Mais Ineos risquerait, dans ce cas, une plainte de Lefevere et de ses sponsors en tant que tierce partie dans la rupture de contrat. Après tout ce qui a été raconté sur leur intérêt, il n’est pas impossible qu’un tribunal leur donne raison sur ce point. N’oubliez pas non plus que le règlement de l’UCI (Union cycliste internationale) interdit un transfert d’un coureur qui est encore sous contrat s’il n’y a pas d’accord entre les équipes, sous peine d’amende, voire d’une suspension d’un à quatre mois.»

A moins d’une fusion ou d’une étonnante rupture de parole, Remco Evenepoel sera donc encore un coureur de Soudal Quick-Step en 2024. Sera-ce encore le cas en 2025? C’est beaucoup moins sûr.

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